Accord des Prespes : une bonne nouvelle pour l’Europe?
Les gouvernements de la Grèce et de l’ancienne République yougoslave de Macédoine se sont rencontrés, sur le bord du grand lac Prespa, sur le point frontière entre les deux États, pour signer un accord, par lequel ils mettent fin à une dispute qui avait éclaté depuis la déclaration, en 1991, de l’indépendance de cette république fédérée yougoslave.
L’enjeu, irrationnel et difficilement compréhensible pour les non-initiés, portait sur le nomde cet État issu de l’éclatement de la Yougoslavie. Une levée des boucliers du côté grec, dont les gouvernements, avec un soutien populaire vociférant, considéraient que la Grèce était titulaire d’une espèce de copyright© sur le nom ‘Macédoine’ depuis le temps d’Alexandre le Grand…
Côté grec, les gouvernements successifs des deux principaux partis, Néa Démokratia (PPE) et PaSoK (S & D), après s’être livrés à une surenchère au plus grand patriote, ont compris qu’il fallait débloquer la situation et trouver une solution de compromis : à savoir une dénomination composée avec une désignation géographique. Mais, pris eux-mêmes au piège de leur rhétorique nationaliste, ces deux partis n’ont jamais osé avancer une solution.
De l’autre côté de la frontière, et puisque les nationalismes s’alimentent mutuellement, le parti de droite nationaliste VMRO (également affilié au groupe PPE) a promu un culte de l’antiquité, se référant, lui aussi, à Alexandre le Grand…
Les deux nationalismes opposésconsidéraient, et considèrent toujours, tout compromis comme une ‘trahison’ : l’un soutenant que ce nouvel État n’avait aucun droit d’utiliser le mot ‘Macédoine’, l’autre, au contraire, n’acceptant aucun ajout à la dénomination ‘République de Macédoine’. Même principe, conclusions opposées…
Syriza, le parti principal de gauche grec, arrivé au gouvernement en 2015, avec Alexis Tsipras comme premier ministre, a hérité non seulement d’un pays dévasté par l’austérité et la corruption, mais aussi de cette guéguerre nationalisteavec l’ancienne République yougoslave de Macédoine.
Heureuse coïncidence, côté nord de la frontière, le VMRO a perdu le pouvoir sous le poids de la corruption. Le gouvernement social-démocrate de Zoran Zaev a souhaité une résolution du différend avec la Grèce.
Les négociations entre les deux gouvernements ont abouti à l’accord des Prespes, par lequel la Grèce reconnaît l’autre partie sous le nom ‘République de Macédoine du Nord’, à utiliser à l’intérieur comme vers l’extérieur. Mais l’histoire ne se termine pas là. Il fallait que l’accord soit ratifié par les parlements des deux pays. On y est parvenu de justesse.
Le parti de la droite grecque (Néa Démokratia,PPE), suivi par le parti de centre gauche «patriotique» (PaSoK, S & D) a cautionné les manifestations menées par toutes les variantes de l’extrême droite, y compris les Nazis, une partie du clergé et des descendants d’anciens combattants !
Les partis grecs en question, animés d’une volonté d’opposition acharnée contre le gouvernement de gauche, ont agi contrairement à la position de leurs groupes politiques européens (PPE, S & D). Ces partis considérant Syriza comme « des locataires circonstanciels du pouvoir exécutif » ont comme souci permanent de l’évincer du pouvoir et ceci par tous les moyens.
De façon symétrique, en Macédoine du Nord, le VMRO s’est opposé à l’accord, encouragé en cela par Orbán, Poutine et Erdoğan. Comme d’habitude, le Spitzenkandidatdu PPE Manfred Weber a pris une position ambiguë.
Si l’accord avait capoté, la Macédoine du Nord aurait été déviée de sa perspective européenne, en ouvrant la voie à la pénétration de la Russie de Poutine et de la Turquie d’Erdoğan.
Le clivage créé autour de l’accord des Prespes, devenu désormais un modèle pour la solution de différends de nature identitaire, est en train de redessiner le paysage politique en Grèce. Syriza, délesté de son petit partenaire nationaliste ANEL, a trouvé de nouveaux appuis de la part de parlementaires qui ont refusé de suivre le camp nationaliste.
Une majorité parlementaire s’est ainsi mise du bon côté de l’histoire, pour apporter, enfin, une bonne nouvelle à une Europe déchirée par la montée des nationalismes !
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Parmi les opposants à l’accord des Prespes se sont trouvés les partis et formations autres que Syriza, qui se positionnent à gauche de l’échiquier politique.
Le seul autre parti de gauche représenté au parlement grec est le Parti Communiste de Grèce (KKE, parti frère du KPL). Celui-ci, à part son opposition traditionnelle aux ‘manœuvres impérialistes’ visant à intégrer ce petit État des Balkans à l’OTAN et à l’UE, a adopté en même temps l’angle d’attaque de la droite : en prenant le contre-pied de sa position traditionnelle, qui était de défendre les droits des Slaves macédoniens, il a pris le même angle d’attaque que la droite nationaliste, à savoir que le gouvernement grec a ‘cédé’ au pays voisin la langue et l’identité ethnique macédoniennes, en ouvrant la voie à ‘l’irrédentisme macédonien’.
Sans surprise, le Nouveau parti communiste de Yougoslavie (NKPJ) attaque, lui aussi, l’accord avec la Grèce, avec les mêmes arguments inversés…
Sans surprise également, les groupes et ‘personnalités’ qui, en été 2015, ont quitté Syriza après le compromis pénible avec les créanciers, s’opposent dans leur grande majorité à l’accord avec la Macédoine du Nord. Sans surprise, ceux qui étaient prêts à suivre le projet de M. Schäuble d’éjecter la Grèce de la zone euro adoptent maintenant des positions nationalistes.