Les articles de: Michel

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Politique

18-07-2018 Par

F T Y

Il est temps de protéger la liberté d’expression, aussi au Luxembourg…

Dans plusieurs de nos contributions antérieures à Goosch.lu, nous avons évoqué quelques événements qui nous amènent à nous demander où en est la liberté d’expression et d’opinion, en Europe, au Luxembourg, et, plus globalement, dans le monde.

Une problématique « actuelle » ?

Dans plusieurs de nos contributions antérieures à Goosch.lu, nous avons évoqué quelques événements qui nous amènent à nous demander où en est la liberté d’expression et d’opinion, en Europe, au Luxembourg, et, plus globalement, dans le monde.

Ainsi : – les procès dont sont l’objet, en France, des organisations ou des personnes engagées dans la promotion et la défense des droits du peuple palestinien et, plus globalement, d’une « paix juste au Proche-Orient » ; – les campagnes de dénigrement et de dé-légitimation menées depuis plusieurs années par les gouvernements israéliens à l’égard d’organisations des droits de l’homme, palestiniennes, israéliennes et internationales ; – ainsi encore les difficultés de faire des virements bancaires de soutien, individuels ou par des ONG, en faveur de telles organisations palestiniennes et israéliennes.

De nouveaux faits, récents, au Luxembourg, en Europe et dans le monde, mais aussi des faits plus anciens, mais répétés, systématiques, qui prennent un nouveau sens à la lumière des évolutions récentes, nous invitent à reprendre à bras le corps cette problématique de la liberté d’expression, à nous interroger plus en profondeur sur ces mises en question et sur les défis à affronter en vue de sauvegarder, maintenir et … renforcer cette liberté d’expression, même s’il risque de nous en coûter.
Dans la présente contribution, il s’agira de revenir sur certains dossiers et événements qui concernent aussi le Luxembourg, d’en présenter les principales composantes, les questions qu’ils nous posent, les interpellations que nous devons lancer à leur sujet au monde politique et à la société civile, particulièrement lorsqu’il s’agit de parler, de s’exprimer et d’agir pour la Palestine et, plus globalement, pour la paix au Proche-Orient.

Deux dossiers seront ainsi abordés, avec comme questions-guides :
• Accuser l’autre d’antisémitisme : une stratégie en vue de délégitimer les critiques envers l’État d’Israël ?
• Certaines interdictions bancaires, ou le règne du « tout sécuritaire »

Un cadre pour resituer nos questions : le droit et un « esprit » démocratique

Le premier élément-clé à prendre en considération nous paraît être ce que prévoient les divers niveaux du droit au sujet de la liberté d’expression : la Déclaration universelle des Droits de l’homme, les chartes internationales et européennes, les Constitutions des pays démocratiques. Le deuxième élément concerne les manières dont les « démocraties occidentales » intègrent ce droit dans leur système politique et le mettent en œuvre dans le fonctionnement de leur système politique et en assurent et garantissent l’esprit dans la vie quotidienne des citoyens et de la société civile organisée : l’« esprit » démocratique et les « attitudes fondamentales » traduisant cet esprit dans les comportements des uns et des autres.

• Les grandes chartes des droits garantissent la liberté d’expression

Quelles que soient les critiques qui ont été faites et le seront encore de ces grandes chartes, elles n’en restent pas moins la référence de base de toute démocratie aujourd’hui. Et un rempart contre toutes les formes d’atteinte aux droits qu’elles contiennent (1). La « liberté d’expression » constitue l’un de ces droits (art. 19 §2 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme – DUDH -et art. 11, §1 de la Charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne).

Il est bon de rappeler aussi que les articles 29, §2 de la DUDH et l’article 11, §1 de la Charte européenne ont été inclus pour guider les États dans la mise en œuvre et le respect de ces droits. Ainsi, la DUDH prévoit que : Dans l’exercice de ses droits et dans la jouissance de ses libertés, chacun n’est soumis qu’aux limitations établies par la loi exclusivement en vue d’assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés d’autrui et afin de satisfaire aux justes exigences de la morale, de l’ordre public et du bien-être général dans une société démocratique. Mêmes précisions dans la Charte européenne.

Instruits largement par l’histoire antérieure des peuples, les instances politiques et les législateurs de ces divers niveaux de droit international, ont en outre prévu l’existence d’organismes divers de suivi et de contrôle de la mise en œuvre de ces chartes, ainsi que d’instances judiciaires internationales et européennes chargées d’instruire les cas d’atteintes importantes, graves et systématiques de droits promus et protégés par ces Chartes. Ainsi les Commissions des Droits de l’homme de l’ONU, la Cour de justice de l’Union européenne, les Commissions internationales et européennes sur le racisme et l’antisémitisme, les évaluations régulières des pays en matière de respect de ces droits et des conventions qui les garantissent…

Y a-t-il danger en la matière ?

Depuis des dizaines d’années, les rapports annuels de ces instances de suivi et de contrôle sont remplis de cas et d’exemples de telles atteintes dans un très grand nombre des États qui constituent notre planète.

Qui plus est, parce que ni les organisations internationales du plus haut niveau ni les organisations européennes ne remplissent adéquatement leur mission et sont paralysées par les jeux politiques et les ingérences de puissants lobbies – sans parler de leur propre lourdeur organisationnelle -, les sociétés civiles de la plupart des pays de la planète se sont organisées et ont créé chacune de nombreuses associations et organisations de défense des droits de l’homme et des citoyens. Chaque année, ici aussi, leurs rapports annuels regorgent des cas nombreux et flagrants d’atteintes graves, répétées et systématiques à ces mêmes droits.

C’est dire à la fois combien ces droits sont devenus une réalité fondamentale et une exigence profonde et permanente de la vie de nos sociétés, mais aussi combien ceux-ci sont et restent fragiles, au point qu’on pourrait penser que leur application et leur respect restent exceptionnels, du moins rares et limités.
Des contextes récents aggravent les dangers d’atteinte à ces droits

En même temps, divers contextes actuels interviennent pour amener des gouvernements, des États ou d’autres instances internationales, à « égratigner » un peu plus, « énerver », sinon mettre en danger, ce droit fondamental et bien d’autres droits qui lui sont liés. Nous n’en retiendrons que deux pour l’instant : d’un côté, la survalorisation du « sécuritaire » et, d’un autre côté, « l’anonymat » croissant des grandes multinationales.

Plus précisément, en rapport avec les « attentats terroristes » récents et, plus lointainement, en écho aux « attentats du 11 septembre », des décisions politiques, tant nationales qu’européennes et internationales, courent le risque d’ériger en loi permanente certaines restrictions temporaires à la liberté d’expression et d’opinion et à d’autres libertés, permises dans certaines limites par la formulation des droits rappelés ci-dessus et leur propre principe de mise en œuvre ou de restriction.

Plus généralement et globalement, certains États ou grandes organisations internationales ont appelé et appellent encore à « revoir » ou à « adapter » certains de ces grands textes ou le fonctionnement des organisations et institutions internationales et européennes créées pour assurer leur respect et leur mise en œuvre. Depuis longtemps déjà, les États-Unis et d’autres grandes puissances ont cherché à se dispenser ou à dispenser leurs entreprises, leurs institutions et leurs citoyens de leur redevabilité à l’égard de ces institutions et de leurs organes, dont, par exemple, la Cour pénale internationale. Les mêmes et d’autres veulent « réformer » l’ONU, devenue une grande machine sans réelle efficacité, mais dont certaines « Résolutions » les gênent … grandement. Certes, l’ONU, comme l’Union européenne, et leurs institutions, devraient être évaluées et revues dans leur définition, leurs objectifs et leurs moyens. Entre autres, le fameux « droit de veto » accordé et laissé depuis 70 ans maintenant à quelques « grands États ». Mais, à ce droit justement, les États qui poussent le plus à réformer l’ONU n’ont pas envie qu’on y touche… puisqu’il leur permet de SE protéger contre des résolutions qui vont à leurs yeux à l’encontre de leurs intérêts.

Par ailleurs, la mondialisation des économies, l’internationalisation des entreprises et la « disparition » des grands acteurs internationaux derrière l’anonymat, font régulièrement passer à l’arrière-plan le respect des droits évoqués ci-dessus et les dissolvent dans les grands principes du libre-échange, de la « libre concurrence » ; ils ne sont plus des « cibles » clairement identifiables, donc responsables, donc « interpellables » … Ce qui n’est pas sans accentuer et multiplier les atteintes régulières, quotidiennes et parfois systématiques aux droits de l’homme, en particulier à la liberté d’expression et d’opinion. Les grandes multinationales sont devenues tellement complexes dans leur structure juridique, et leur fonctionnement tellement opaque, qu’elles peuvent continuer, pendant des années, à violer les droits fondamentaux de populations qu’elles exploitent directement, qu’elles dépossèdent, ou dont elles s’approprient les terres, l’eau et les autres ressources naturelles, sans être vraiment ou gravement inquiétées, dans l’impunité. Dans de telles situations, le droit à la liberté d’expression est souvent visé : les populations concernées ne sont pas ou sont peu organisées et la moindre revendication exprimée, après avoir été ignorée, est punie par des sanctions, des représailles … ; ou alors, elles sont organisées, mais leurs manifestations ou revendications sont réprimées par les pouvoirs politiques locaux, souvent corrompus et de mèche avec les multinationales présentes …

La donne a donc changé de manière importante au cours des 20 à 30 dernières années pour les défenseurs des droits de l’homme, sous cette double poussée du tout sécuritaire et de la puissance des multinationales. Et la liberté d’expression n’y a rien gagné. Mais cette double poussée continue son avancée et se voit accompagnée maintenant et renforcée, à la fois par la montée des extrêmes droites politiques et de leur cynisme populiste, et par l’apolitisme fréquent des citoyens. La liberté d’expression n’y gagne rien non plus. Les diverses formes et moyens de sa mise en question nous alertent de plus en plus et nous poussent à sonner haut et fort une « sonnette d’alarme » qui nous réveille, ainsi que les habitants de notre pays et de l’Europe dans son ensemble, pour la défense de ce droit fondamental de nos démocraties et d’autres droits fondamentaux qui lui sont intimement liés.

La liberté d’expression, l’un des droits fondamentaux de la « démocratie » ?

Si la liberté d’expression est l’un des droits fondamentaux présents dans les diverses chartes rappelées ci-dessus, elle l’est aussi dans les Constitutions et les Lois fondamentales des États qui se définissent comme « démocratiques » et pour lesquels les Chartes évoquées constituent une base de référence-clé (2).

Et le système démocratique de tous ou la plupart des États qui s’affirment tels, n’énoncent pas seulement des droits et des garanties à l’exercice de ces droits, ils contiennent aussi la création et le renouvellement d’institutions et de règles de leur fonctionnement, destinées à assurer la mise en œuvre de ces droits (3).

On notera que la plupart des textes concernant ces institutions comportent de nombreuses notations concernant la « liberté » : élections libres, liberté du suffrage, liberté de candidature. Éléments qui montrent la prégnance de la « liberté » dans tout le corps législatif et institutionnel de démocraties dignes de ce nom. Parmi les principes et les valeurs à garantir, le corps de ce qu’on appelle les « libertés publiques » (l’ensemble des prérogatives reconnues aux citoyens et garantissant leurs droits, notamment face à la puissance publique (l’État), possède une place de choix : les libertés de la personne (libertés individuelles : liberté de conscience et liberté religieuse, liberté d’opinion), les libertés de communication (liberté de la presse, de l’information, de la communication audiovisuelle), liberté d’enseignement (recevoir l’enseignement de son choix),…), les libertés économiques (droit de propriété, c’est-à-dire d’utiliser librement un bien qui nous appartient, liberté d’entreprendre, liberté du travail…), libertés d’association et d’action collective (liberté d’association, de réunion, liberté syndicale, liberté de manifester, droit de grève…). Divers organes institutionnels sont prévus pour garantir, contrôler, surveiller le respect de ces libertés et limiter les abus (du politique le plus souvent) à leur sujet.
À travers ce bref retour au cœur de nos institutions, on voit à la fois l’importance des droits – dont les droits publics, et, parmi eux, de la liberté d’expression –et l’existence de garants de leur mise en œuvre et de leur respect.

La liberté d’expression exige aussi un terreau, un climat et une atmosphère

L’expérience historique des derniers siècles, surtout du 20e s., a montré que « la démocratie » ne pouvait fonctionner réellement et dans toutes ses dimensions comme système politique original que si elle était portée et animée par un « esprit démocratique ». J’entends par là un ensemble de postures et d’attitudes fondamentales du citoyen individuel, du citoyen organisé, et des institutions, dans leurs propres rapports à ce système. J’y ajoute la création et l’entretien permanent d’une « atmosphère », d’un « climat » positifs et encourageants à l’exercice de ce droit. On pourrait parler aussi en termes de « terreau » à nourrir et à renouveler sans cesse.

Quel que soit le terme utilisé, il s’agit d’un ensemble d’attitudes et de comportements, en rapport avec diverses valeurs qui ne peuvent être, en tant que telles, coulées dans des lois ou des règles et qui renvoient davantage à une posture globale des personnes, des groupes, des organisations et des institutions, et qui ont trait à la relation à l’autre, aux autres, à la société, au politique, etc (4).

On peut dire que la liberté d’expression a besoin, pour être pratiquée et s’épanouir, du climat qui peut résulter du mélange des attitudes et des capacités évoquées ci-dessus et en note. Et il peut exister un tel « climat » lorsqu’une majorité des membres d’une société est animée par un tel esprit et que chacune et chacun, qui s’efforce de le vivre honnêtement, peut s’attendre à ce que, habituellement, les comportements des autres soient animés par le même esprit. C’est une dimension et une condition parmi d’autres de la cohésion sociale. Si les lois et les institutions et organisations publiques constituent un élément clé de toute démocratie, le « pendant » indispensable en est cet « esprit démocratique » qui donne vie à la démocratie au quotidien.

Or, ici aussi, l’actualité récente et les 15-20 dernières années ne concourent pas à donner le sentiment ou la perception d’un climat démocratique où il soit normal de s’exprimer librement, d’évaluer, de critiquer, de proposer ou de contre-proposer, particulièrement dans certains domaines et concernant certains sujets. Sur la base de plusieurs expériences récentes, je pense pouvoir affirmer que la liberté d’expression est entrée dans une phase de mise en danger, y compris au Luxembourg, et que ce danger est particulièrement vérifiable à propos de plusieurs thèmes que nous travaillons régulièrement au Comité pour une Paix Juste au Proche-Orient, particulièrement certains qui tournent autour du conflit israélo-palestinien. Cette liberté de s’exprimer sur la Palestine, sur Israël, sur leurs relations, sur les causes et les conséquences du conflit, sur les conditions et voies de solution, est de plus en plus souvent mise en péril par des pratiques, tantôt directes, tantôt indirectes, sinon sournoises, de contrôle, de censure, et même à des attaques frontales.

Ce sont justement de telles pratiques que je me propose de présenter et d’analyser dans la suite de cette contribution et dans de prochaines contributions à Goosch.lu.
Elles concerneront les accusations de plus en plus fréquentes d’ « incitation à la haine raciale », de discours « antisémites », de « soutien à des organisations terroristes », de « dépenses de l’argent public pour manipuler les esprits des lycéens » et tutti quanti, de tentatives d’intimidation.

Dans ce contexte, la proposition votée au Parlement européen d’élargir la définition de l’antisémitisme pour y inclure des exemples comme « la critique de l’État d’Israël » et la promotion du boycott de (produits israéliens – portée par le mouvement BDS, boycott-désinvestissement-sanctions) et de faire adopter cette définition élargie par les États européens, dont le Luxembourg, recèle la possibilité de graves dérives que n’ont pas vu ou voulu voir les nombreux députés européens qui ont voté en sa faveur, y compris plusieurs députés européens du Luxembourg.

Une autre thématique qui sera présentée et développée concernera la mise sur une liste noire par des institutions bancaires de notre pays d’organisations palestiniennes qualifiées de « terroristes » ou soupçonnées de soutenir des groupes terroristes, injustement, abusivement et sur base de sources partiales. Notre expérience à ce sujet est loin de représenter la seule, tant au Luxembourg que dans des pays voisins. Il est d’autant plus important d’en parler : clairement et librement, avec responsabilité certes, mais aussi en prenant les risques que la défense de la liberté d’expression requiert.

En ce qui concerne les thématiques traitées dans le cadre de la problématique israélo-palestinienne, il faut encore tenir compte d’une donnée déjà ancienne, mais qui connaît de nouveaux développements depuis plus ou moins deux à trois ans, après déjà plusieurs phases antérieurement : c’est celle d’une nouvelle campagne de « hasbara » israélienne, c’est-à-dire, littéralement, l’explication, l’éclaircissement des politiques israéliennes (5).

Celle-ci a connu de nouveaux développements depuis la création d’un ministère israélien inédit : le « ministère des affaires stratégiques ». La nécessité d’un tel ministère était justifiée aux yeux du cabinet de la Knesset par l’existence d’au moins deux menaces stratégiques pour Israël : l’Iran et … le mouvement BDS (Boycott – Désinvestissement – Sanctions). À quoi il faut ajouter, depuis peu, le constat, par Israël, des divisions croissantes au sein des communautés juives de par le monde, principalement et d’abord aux USA, puis petit à petit dans de nombreux autres pays, lorsqu’il s’agit des politiques de l’État d’Israël et de la nature même de l’État d’Israël.

Après avoir feint d’ignorer le mouvement BDS pendant plus de 10 ans ainsi que les autres campagnes menées par les sociétés civiles au nom des droits de l’homme, de la justice et de l’égalité, après avoir surestimé le soutien « indéfectible » des États-Unis et de ses deux principaux partis politiques, après avoir négligé et sous-estimé l’opposition juive croissante à ces mêmes politiques, l’État israélien, non seulement crée un « ministère des affaires stratégiques » pour les contrer, mais y consacre annuellement des centaines de millions de dollars et entretient des dizaines de milliers de fans et de groupes nationaux et locaux de tels supporters : il s’agit en effet de contrer l’image de plus en plus détériorée d’Israël et de ses politiques dans le monde, aux USA et, même parmi les communautés juives toujours plus divisées sur les politiques israéliennes tant aux USA qu’en Israël et dans les 5 continents. Pour Israël actuellement, le combat par les images et les idées est devenu presqu’aussi important que le combat par ses soldats et son armée.

Cette large introduction était nécessaire pour situer les cas qui seront analysés. Je souhaite sincèrement que cette première livraison incite les lecteurs intéressés à participer à ce début d’enquête, aux analyses qui seront proposées et aux moyens qui pourraient être débattus en vue de garantir, défendre et réinstaurer la liberté d’expression, si fondamentale à l’esprit démocratique.

Prochain article : « l’antisémitisme: une arme à … double tranchant – ou un boomerang qui se retourne contre son propre lanceur ? »

(1) Voir : http://www.ohchr.org/EN/UDHR/Documents/UDHR_Translations/frn.pdf).
(2) Ainsi, dans la Constitution du Grand-Duché de Luxembourg, dans sa version coordonnée actuelle (voir : http://data.legilux.public.lu/file/eli-etat-leg-recueil-constitution-20161020-fr-pdf.pdf ). L’article 24 est ainsi formulé : La liberté de manifester ses opinions par la parole en toutes matières, et la liberté de la presse sont garanties, sauf la répression des délits commis à l’occasion de l’exercice de ces libertés.
(3) Voir http://profdeses-sciencepolitique.e-monsite.com/pages/v-les-institutions-de-la-democratie.html, qui résume bien en quelques paragraphes les principes et principales institutions d’une « démocratie ».
(4) Je retiendrais, parmi les éléments caractéristiques et constitutifs de cette posture, quelques-uns, qui sont loin d’être exhaustifs et qui peuvent varier, prendre d’autres couleurs, acquérir une plus grande importance, selon les conjonctures.
Dans les rapports interindividuels : attitudes d’accueil, de tolérance, de compréhension et d’ouverture à l’autre, aux autres, à la différence, y compris lorsque cette différence gêne ; empathie avec les autres, particulièrement les « souffrants », proches et lointains ; solidarité, particulièrement avec les exclus, proches et lointains ; respect des autres et de leur dignité ; respecter les décisions prises ensemble et les règles décidées ensemble ; transparence, honnêteté, vérité ; faire confiance à et s’appuyer sur les capacités et potentialités individuelles et des petits groupes ; capacité d’autocritique, de recul.
Dans les rapports à la société : sens et respect du bien collectif, du bien commun ; sens de la responsabilité ; soutien à la création collective ; participation active et soutien à la vie collective ; capacité à prendre des risques ; capacités d’indignation, de critique, de résistance, de contre-proposition ; capacité d’engagement et de prise de parti ; capacité d’objectivité ; sens profond de la justice, de l’égalité, de l’équité ; capacités d’analyse, de diagnostic et de stratégie ; souci et capacité de relier les cas et problèmes individuels à leurs dimensions collectives et politiques, le local au global, les 3 niveaux d’analyse de toute problématique sociale : micro, mezzo et macro ; capacité à ajuster réciproquement éthique de conviction et éthique de responsabilité.
Par rapport aux lois et règles existantes : les connaître, en comprendre l’esprit et le bien-fondé, les appliquer honnêtement, en détecter les limites, s’engager dans les changements souhaitables et possibles, résister à leur mise en œuvre lorsqu’elles paraissent non fondées ou gravement injustes et proposer collectivement des alternatives …
(5) Ce terme est utilisé par Israël et les groupes pro-israéliens pour désigner des opérations de communication et de propagande qui cherchent à défendre le point de vue et la politique de l’État d’Israël auprès de l’opinion publique internationale. Le ministère des affaires étrangères israélien propose ainsi à la diaspora juive des cours en ligne de hasbara. Selon Chomsky « le mot « hasbara » (…) désigne la propagande israélienne, exprimant la thèse que la position d’Israël est toujours juste quelle que soit la question considérée, et qu’il est seulement nécessaire de l’expliquer ». Voir Wikipédia, article « hasbara ».

Politique

10-07-2017 Par

F T Y

L’âme sur la terre – Les mémoires de François Houtart

François nous a quittés en juin dernier.

François nous a quittés en juin dernier.

Beaucoup d’entre vous, ici à Luxembourg, l’ont rencontré, apprécié ses interventions, que ce soit sous forme de conférences ou de journées de formation, ou de compagnon de manifestation. À ce propos, je me souviens : lors de la 2e manifestation à Luxembourg contre la guerre en Irak, je devisais avec des amis quand, tout à coup, je vois à quelques mètres devant moi, un imperméable gris que j’avais connu déjà de longues années auparavant, quand je travaillais avec lui à Leuven, puis Louvain-la-Neuve. Je n’en croyais pas mes yeux, mais, c’était bien lui : François, avec des camarades ouvriers et employés, faisait partie de la manifestation devant moi ; à la proposition de ses camarades luxembourgeois, il avait accepté avec joie de suspendre la formation et de participer à la manifestation.

Ainsi a été François : un homme, un chrétien, un prêtre de conviction, engagé socialement, politiquement, chrétiennement ; par les idées, les écrits, les actes, les solidarités. Je laisse la parole à nos amis de Cuba pour vous rappeler ce qu’a cherché à être, à vivre, à croire et à faire François, et l’héritage qu’il nous laisse. C’est avec beaucoup d’émotion que j’ai appris son départ. Inattendu !

Par Fernando Martinez Heredia. Traduit par Alain de Caltant.

Politique

29-05-2017 Par

F T Y

Grève de la faim dans les prisons israéliennes

L’emprisonnement des palestiniens, utilisé depuis toujours par Israël comme stratégie globale pour briser la résistance de tout un peuple, est aujourd’hui projeté dans l’actualité par une grève de la faim de prisonniers qui dure maintenant depuis plus de 5 semaines: réponse non violente ultime à la violence ultime?

1. Mise en perspective

L’emprisonnement des résistants a toujours constitué une pratique et un moyen stratégiques clés de la part des dictatures, des pouvoirs forts, des fascismes de toutes sortes: fermer la bouche à l’opposition, décourager la résistance, saper sinon détruire le «moral», la confiance en soi, l’espoir d’une vie meilleure, … des peuples opprimés, des résistants à la barbarie.


De la même manière et avec leurs spécificités, l’emprisonnement des Palestiniens et ses diverses formes constituent un élément politique clé de l’occupation israélienne et, plus largement, de leur stratégie d’épuration ethnique et d’accaparement d’un maximum de terres avec un minimum d’ « arabes » sur ces terres – cœur du projet sioniste sur la Palestine, du XIXe s. à aujourd’hui. Et lorsque ces prisonniers décident d’entrer en grève de la faim, comme l’ont fait les prisonniers politiques palestiniens, il y a 5 semaines déjà, à l’appel de Marwan Barghouti, et mettent gravement leur vie en danger, c’est d’abord pour obtenir de l’occupant israélien des conditions de détention « normales », conformes aux standards du Droit international en la matière. Et notre devoir est de les soutenir, de les encourager, d’inciter les instances nationales, européennes et internationales pour qu’elles fassent pression sur l’état d’Israël dans cette direction.

Il est donc opportun, certes, de pointer et de dénoncer les conditions d’arrestation et d’emprisonnement des Palestiniens dans les geôles israéliennes. Nombre d’organisations locales et internationales des Droits de l’homme ne cessent de le faire depuis des années : Addameer, en Palestine, B’tselem en Israël, Amnesty International dans le monde, pour n’en citer que quelques-unes.

C’est ce qui se passe pour l’instant un peu partout dans le monde, en accompagnement de cette grève de la faim menée par plus de 1.500 prisonniers politiques palestiniens depuis plus de 5 semaines: manifestations, grève de la faim d’une journée symbolique ce jeudi 25 mai dans de nombreuses villes du monde, grève de la faim de plusieurs jours par des militants, des personnalités politiques, culturelles, religieuses, académiques, des étudiants de divers campus… Nous pouvons, nous devons les soutenir, et, pourquoi pas, nous associer personnellement, comme groupe, comme parti, à cette grève.

Il n’en reste pas moins que ce combat à court et moyen termes doit être relayé par l’autre combat, à longue échéance : mettre un terme aux diverses formes d’emprisonnement pratiquées par l’État d’Israël, faire libérer tous les prisonniers politiques palestiniens et, last but not least, mettre fin à l’occupation, à la colonisation et au projet d’épuration ethnique qui sous-tend et justifie cette occupation et cette colonisation.

2. L’emprisonnement des Palestiniens, un fait permanent et de longue date

Aussi loin qu’on remonte dans l’histoire de la Palestine moderne – début du mandat britannique -, l’emprisonnement des résistants palestiniens a fait partie des pratiques et de la politique des pouvoirs en place – comme dans les autres formes ou stades de colonialisme.

À ce jour, la situation est la suivante dans les prisons israéliennes (voir https://www.plateforme-palestine.org/Prisonniers):

• On compte, au mois d’avril 2017, 6 300 prisonniers palestiniens dont 61 femmes, 13 membres du Conseil législatif palestinien.
300 enfants (moins de 18 ans) sont également dans les prisons militaires israéliennes.
Entre 2015 et 2016, le nombre d’enfants détenus a triplé.
458 prisonniers purgent des sentences de prison à vie, et 459 des sentences de plus de 20 ans de prison.
• Selon le Club des Prisonniers Palestiniens, 1 700 prisonniers malades sont incarcérés dans les prisons israéliennes; 25 d’entre eux seraient dans un état critique et ne recevraient pas les traitements appropriés.
• Depuis 1967, 850 000 Palestiniens ont été emprisonnés par les autorités israéliennes. Presque toutes les familles palestiniennes ont des membres qui ont subi des peines d’emprisonnement.


Les principales augmentations du nombre de prisonniers sont liées à des événements ou périodes significatifs: libérations de prisonniers, la 2e intifada, les «guerres» contre Gaza, et, plus récemment, depuis 2014, les révoltes de jeunes et les répressions accrues dans le cadre de gouvernements d’extrême droite, marqués par le poids des colons …

3. Arrestations et emprisonnements «administratifs»

Outre les liens entre les diminutions ou augmentations de prisonniers et certains événements extérieurs, depuis la 2e intifada, il y a de manière permanente un «volant» de 4 à 5.000 Palestiniens dans les prisons israéliennes. Les dernières années se sont caractérisées à la fois par une reprise des « détentions administratives » et une augmentation d’arrestations et d’emprisonnements de jeunes de moins de 18 ans, dont beaucoup en détention « administratives ».

La détention « administrative » ?

« La détention administrative est une procédure qui permet à l’armée israélienne de détenir une personne pour une période de six mois maximum, renouvelable de manière indéfinie, sans inculpation ni procès. Le détenu administratif est emprisonné le plus souvent sur la base d’informations considérées comme « secrètes » par l’armée et qui ne sont donc accessibles ni au détenu ni à son avocat.

Les conditions pour un procès juste et équitable ne sont jamais réunies. En l’absence d’accès au dossier, réservé aux seuls procureurs et juges militaires, il est impossible au détenu ni à son avocat de contester efficacement leur placement en détention. Par ailleurs, la détention administrative s’accompagne souvent de mauvais traitements voire de tortures exercées à l’encontre du détenu lors de son arrestation, de son interrogatoire ou au cours de sa détention » (voir : http://plateforme-palestine.org/Detention-administrative-un-deni,3657).

Si les emprisonnements de résistants constituent déjà en tant que tels et en eux-mêmes une politique cherchant délibérément à mettre fin à la résistance, y compris non violente, des Palestiniens, les arrestations et détentions « administratives » d’hommes adultes, de femmes et de jeunes représentent le nœud de cette politique, dans la mesure où elle ajoute une dose maximale d’arbitraire à l’enfermement : la personne arrêtée ne sait pas à cause de quoi elle est arrêtée ; son emprisonnement de 6 mois peut être renouvelé indéfiniment sans cause précise et connue; absence d’avocat et le plus souvent absence de communication avec l’extérieur (la famille …). Tortures physiques ou morales pour obtenir on ne sait pas quoi … Tout est rassemblé pour isoler, démoraliser, décourager, faire plier. Et si, soudainement, l’un de ces prisonniers est libéré sans qu’il sache pourquoi, pourquoi maintenant, sans explication, à sa sortie de prison, il peut être repris et ré-emprisonné au 1er check point rencontré, ou les Israéliens ont organisé des scénarios destinés à faire suspecter ce « libéré » de trahison, de délation, de communication à l’occupant de données sensibles … Ce qui inflige au « libéré », à sa famille, à sa communauté, une souffrance morale supplémentaire qui peut lui être fatale.

4. Des formes de tortures sans cesse renouvelées

Les organisations de droits humains et les associations de défense des droits des prisonniers ont recensé plusieurs centaines de moyens de tortures utilisés contre les prisonniers palestiniens dans les prisons israéliennes pendant les interrogatoires (1).

Un rapport de l’ONU répertorie quelques 200 moyens de torture. L’organisation israélienne de défense des droits humains, B’Tselem, en recense quant à elle environ 105. Quel que soit leur nombre exact, tous ces rapports montrent l’importance des abus dont sont victimes les Palestiniens arrêtés.

Selon Fouad Khuffash, le directeur du Centre Ahrar d’étude des prisonniers et des droits humains, la torture peut être divisée en deux catégories : physique et psychologique. Pour certains, la torture psychologique est moins préjudiciable que la torture physique, mais les cicatrices mentales laissées par les deux sortes de torture peuvent être à l’origine de traumatismes durables.

Khuffash ajoute : « La torture dans les prisons israéliennes est systématique et commence avec l’arrestation du prisonnier, pas avec son interrogatoire. Elle est pratiquée selon des méthodes étudiées pour répondre au cas du détenu et à la nature de son dossier. Les officiers du renseignement se relayent, chacun jouant le rôle qui lui est assigné. »

Selon Fahd Abu Al-Hajj, le directeur du Centre Abu Jihad des Affaires des Prisonniers à l’Université de Jérusalem, 73 méthodes d’interrogatoire sont considérées comme « très populaires » dans les prisons israéliennes. Ces techniques témoignent de la barbarie et du manque de respect des principes de base des droits humains, a-t-il déclaré.

Il a ajouté : « La preuve en est qu’un grand nombre de prisonniers meurent pendant les interrogatoires, le dernier d’entre eux étant Raed Al-Jabari. »

Al-Hajj pense que l’usage de la torture par les services secrets israéliens est systématique et qu’aucun prisonnier dans aucune prison n’y échappe.

Selon lui, les prisonniers sont passés à tabac, douchés alternativement à l’eau brûlante et glacée, attachés pendant de longues heures, les mains menottées derrière le dos, à une fenêtre ou une porte ; on les fait aussi asseoir sur des chaises pour les battre avec des bâtons jusqu’à ce qu’ils perdent connaissance ; ces bastonnades visent les endroits sensibles du corps provoquant des blessures qui mettront des années à guérir quand elles n’engendrent pas des maladies chroniques.

L’organisation israélienne des droits humains, B’Tselem, dit, dans son rapport, que 105 moyens de torture qui sont utilisés contre les détenus palestiniens, constituent de sévères violations des droits humains. Un comité des droits humains de l’ONU dit que la torture dans les prisons israéliennes « traverse la ligne rouge », et précise que les Israéliens ne reculent pas devant des méthodes aussi brutales que briser le dos des prisonniers, leur arracher les doigts et leur tordre les testicules.

Les Renseignements israéliens basent la torture des détenus sur de soi-disant instructions secrètes approuvées en 1987, après le déclenchement de la première Intifada. Ces directives les autorisent à appliquer une pression physique et psychologique « modérée » sur les prisonniers. Cela a servi de couverture légale à la torture pratiquée par les agents des services secrets israéliens.
Au cours des 10 dernières années, les méthodes d’interrogatoire ont évolué : de centrale, la torture physique est devenue l’auxiliaire de tortures psychologiques d’une violence telle qu’elles laissent des traces indélébiles.

Mohammed Kilani, qui a subi de nombreux interrogatoires, dit que ce qu’il a vécu de pire c’est d’être resté plus de deux mois à l’isolement, attaché à une chaise. Il dit aussi qu’il n’y a pas de moyen de tortures pratiqué dans quelque prison que ce soit dans le monde qui n’ait été soit conçu, soit utilisé par les autorités israéliennes à un moment donné. Selon les statistiques, environ 72 prisonniers sont morts sous la torture dans les prisons israéliennes depuis 1967, sur un total de plus de 200 prisonniers morts en prison. »

Le premier prisonnier mort sous la torture a été Yousef Al-Jabali le 4 janvier 1968 dans une prison de Naplouse. Beaucoup d’autres prisonniers sont morts depuis dans les mêmes circonstances, comme Qassem Abu Akar, Ibrahim Al-Rai, Abdul Samad Harizat, Attia Za’anin, Mustafa Akkawi et d’autres, jusqu’au dernier en date, Arafat Jaradat.

5. Le combat des prisonniers grévistes de la faim au cœur de la résistance palestinienne

Tout ce qui précède relève d’atteintes permanentes, récurrentes, sans signes d’améliorations, au droit international et aux standards internationaux concernant les arrestations, les emprisonnements et les conditions de détention de prisonniers politiques en situation de guerre ou de conflits armés.

Tout ce qui précède – et qui est loin d’être neuf, qui est largement documenté depuis des dizaines d’années – reste sans suite chez nos élus et dans les sphères politiques nationales, européennes et internationales.

Tout comme l’occupation – et ses formes de plus en plus pernicieuses – et la colonisation – et ses stratégies de plus en plus fallacieuses sinon grossières. Non. Rien n’y fait. Tout cela continue.



C’est pour ces raisons que, en 2005, s’inspirant des événements et processus survenus en Afrique du sud, 160 organisations et institutions palestiniennes ont fait appel « aux femmes et hommes de conscience » de par le monde en leur demandant de boycotter les produits israéliens et les entreprises complices de la colonisation et de l’occupation, et de faire pression sur les sphères politiques nationales, européennes et internationales pour qu’elles sanctionnent enfin l’État d’Israël aussi longtemps que celui-ci refusera de se conformer au Droit international. Pratique européenne courante vis-à-vis d’autres États bien moins coupables de telles violations, mais « non applicable » à Israël, parce que…, parce que… , parce que … Israël est l’exception !

Cet appel de 2005 a pris acte de tout ce qui précède, mais aussi de l’avis de la Cour internationale de Justice de la Haye en juillet 2004, condamnant le « mur » construit par Israël en bonne partie dans les Territoires palestiniens, et tout son système associé (barrages, colonies, routes de contournement réservées aux colons, etc.). Mais un an après cette condamnation, rien n’avait changé.

Aujourd’hui, avec cette xième grève de la faim, large et massive, nous entrons dans une étape nouvelle, grave et dangereuse.
Cette grève est massive, de par le nombre actuel de participants : plus de 1.500 ! Elle est large, de par la variété des factions et des groupes de la société palestinienne participant à la grève et à leur représentativité de la société palestinienne.

Cette grève est grave et dangereuse. Non seulement, la vie des prisonniers est chaque jour un peu plus mise en péril et leur avenir hypothéqué en cas de cessation du mouvement. Mais elle semble aussi vouloir constituer un va tout décisif dans la main de fer qui s’est amorcée entre les gouvernants israéliens et les prisonniers. Il est clair que le gouvernement israélien est prêt à aller loin, très loin, manipulé qu’il est par son extrême droite jusqu’auboutiste. Il est clair en même temps qu’Israël, particulièrement attentif, sinon « malade » de son image à l’étranger, doit éviter de passer une ligne « rouge » (laquelle), ce qui risquerait pour lui des dommages difficilement réparables – comme après la 3eguerre contre Gaza.

Mais il est tout aussi clair que, si peu ou prou d’ambassades de l’étranger réagissent jusqu’ici, si l’UE reste muette, le mouvement de solidarité qui s’est amorcé dans les sociétés civiles de par le monde est en train de se multiplier, de s’élargir, de se diversifier. Si, d’un côté, la détermination des prisonniers et de leurs leaders n’a pas faibli jusque maintenant, après 5 semaines, la détermination des sociétés civiles est loin d’avoir atteint son apogée et pourrait, à moyen terme, amener les politiques à enfin se mouiller.

En même temps, la colère monte en Palestine (Cisjordanie et Gaza) face au silence l’Autorité Palestinienne quant à cette grève, devant diverses instances où sa parole aurait pu au moins informer, sinon interpeller … . La colère monte en Palestine parce que l’Autorité palestinienne, au lieu de soutenir sa société civile en ébullition et en rébellion, la réprime et … l’emprisonne, montrant de la sorte son alliance objective avec l’occupant. C’est aujourd’hui ou demain, plus qu’en 2014 et 2015 avec la « révolte des couteaux », qu’une 3e intifada pourrait bien naître – en tous cas trouver un terrain favorable.

Car d’autres étapes d’un large processus de protestation sont encore nécessaires avant qu’un tel « terrain » ne soit mûr. L’un de ceux-ci est le niveau de revendications des prisonniers en grève de la faim : au stade présent, ils revendiquent seulement ce qui relève de leurs droits humanitaires les plus élémentaires en tant que prisonniers. Dans une 2e phase, puis une 3e, il n’est pas impossible qu’ils élèvent et élargissent de manière tout à fait légitime leurs niveaux de revendication : vers la fin des arrestations administratives, vers la libération de tous les prisonniers politiques, et finalement vers la fin de l’occupation et de la colonisation ou des négociations au finish. C’est l’interaction entre la persévérance des grévistes, l’élargissement du mouvement de solidarité, l’émoi possible au sein des instances politiques de divers niveaux, qui pourrait contribuer à faire mûrir ce terrain.


À nous de montrer notre solidarité réelle et profonde dans les prochaines semaines.

(1) Nous reprenons ici une description détaillée réalisée par le Middle East Monitor : https://www.middleeastmonitor.com/news/middle-east/14957-torture-in-is… -Traduction : Info-Palestine.eu – Dominique Muselet, http://www.info-palestine.eu/spip.php?article15020

Politique

28-04-2017 Par

F T Y

Des signes d’espoir… dans une situation désespérante

Quelques constats et réflexions au retour d’une mission d’évaluation au camp de réfugiés de Jénine (Cisjordanie)

Quelques constats et réflexions au retour d’une mission d’évaluation au camp de réfugiés de Jénine (Cisjordanie) (suite…)

International

21-03-2017 Par

F T Y

Le Boycott académique et culturel d’Israël: Pourquoi? Pour – quoi?

Devant le ralliement de plus en plus d’universitaires et d’artistes à la campagne BDS, désormais coordonnée au niveau international par le PACBI, les autorités israéliennes perçoivent la menace, et mettent en place un impressionnant dispositif de propagande, la hasbara, le terme hébreu pour explication, qui, en 2016, a été dotée d’un budget de 30 millions d’euros.

Un bref rappel

C’est en 2005 que plus de 150 organisations et fédérations palestiniennes lancent leur appel au boycott, au désinvestissement et aux sanctions. Elles

«invitent les organisations des sociétés civiles internationales et les gens de conscience du monde entier à imposer de larges boycotts et à mettre en application des initiatives de retrait d’investissement contre Israël, semblables à ceux appliqués en Afrique du Sud à l’époque de l’Apartheid. Nous vous appelons à faire pression sur vos États respectifs afin qu’ils appliquent des embargos et des sanctions contre Israël. Nous invitons également les Israéliens scrupuleux à soutenir cet appel dans l’intérêt de la justice et d’une véritable paix.»

Ainsi est né le fameux mouvement BDS contre les politiques israéliennes d’occupation et de colonisation. Les raisons principales en étaient l’échec des Accords d’Oslo (accélération de la colonisation, répressions de toutes les formes, non violentes et violentes, de résistance, etc.), ainsi que la paralysie internationale et européenne un an après que l’ONU eut adopté une résolution, la résolution ES 10/15, consacrant fin juillet 2004 l’avis de la Cour internationale de Justice de La Haye contre le mur israélien et son système associé (début juillet 2004).

Ce que l’on oublie généralement, c’est qu’un autre « appel » avait précédé celui-là : l’« appel au boycott académique et culturel », signé par plus de cent organisations et fédérations palestiniennes, représentant bien l‘ensemble de la société civile palestinienne.

Avant d’analyser plus en profondeur la pertinence et l’importance stratégique de cet appel et d’en restituer le sens profond, contre diverses incompréhensions ou hésitations, il est bon de prendre connaissance une fois pour toutes de l‘entièreté de cet appel, souvent méconnu et travesti.

Le texte de l’appel au boycott universitaire et culturel

Attendu que l’oppression coloniale, fondée sur l’idéologie sioniste, qu’Israël exerce sur le peuple palestinien comporte les éléments suivants:
– le déni de sa responsabilité dans la Nakba – notamment dans les vagues d’épuration ethnique et les spoliations qui sont à l’origine du problème palestinien – et, en conséquence, son refus de reconnaître les droits inaliénables des réfugiés et des personnes déplacées tels que définis et protégés par les lois internationales,
– l’occupation militaire et la colonisation de la Cisjordanie (y compris Jérusalem-est) depuis 1967, en violation des lois internationales et des résolutions de l’ONU,
– la mise en place d’un système de discrimination raciale et de ségrégation des Palestiniens citoyens d’Israël, comparable à l’ancien système d’apartheid en Afrique du Sud,
Attendu que les institutions universitaires israéliennes (la plupart contrôlées par l’État) et la majorité des intellectuels et universitaires israéliens contribuent directement au maintien, à la défense et à la justification des formes d’oppression décrites ci-dessus ou s’en rendent complices par leur silence,
Attendu que toutes les interventions internationales n’ont pas réussi à contraindre Israël à respecter le droit humanitaire ou à mettre fin à l’oppression du peuple de Palestine, oppression qui s’exerce de multiples façons, notamment en assiégeant, en tuant indistinctement, en détruisant gratuitement, en construisant ce mur raciste,
Considérant le fait qu’au sein de la communauté universitaire et intellectuelle internationale, des hommes et des femmes de conscience ont historiquement endossé la responsabilité morale de combattre l’injustice, comme l’a montré leur lutte pour abolir l’apartheid en Afrique du Sud grâce à diverses formes de boycott,
Conscient que l’expansion du mouvement de boycott international contre Israël rend nécessaire la rédaction de ses lignes directrices,
Dans un esprit de solidarité internationale, de cohérence morale et de résistance à l’injustice et à l’oppression,
Nous, universitaires et intellectuels palestiniens, appelons nos collègues de la communauté internationale à boycotter toutes les institutions universitaires et culturelles israéliennes, afin de contribuer à la lutte pour mettre fin à l’occupation israélienne, à la colonisation et au système d’apartheid, en adoptant les pratiques suivantes :
– s’abstenir de toute participation, sous quelque forme que ce soit, à la coopération universitaire et culturelle, à des collaborations ou des projets communs en partenariat avec les institutions israéliennes,
– plaider en faveur du boycott complet des institutions israéliennes aux niveaux national et international, y compris la suspension de toute forme de financement et de subvention de ces institutions,
– encourager les désinvestissements et le désengagement vis-à-vis d’Israël de la part des institutions universitaires internationales,
– œuvrer en faveur de la condamnation de la politique d’Israël en incitant les associations et des organisations universitaires, professionnelles ou culturelles, à adopter des résolutions,
– soutenir directement les institutions universitaires et culturelles palestiniennes sans faire de leur éventuel partenariat avec leurs homologues israéliens une condition implicite ou explicite de ce soutien.

L’importance fondamentale et stratégique du boycott académique et universitaire d’Israël : analyses et arguments de Eyal Sivan et de Armelle Laborie

« Nous connaissons tous le cinéaste israélien Eyal Sivan. En octobre 2009 il avait décliné l’invitation qui lui avait été faite par le Forum des Images d’être associé à une rétrospective intitulée Tel Aviv, le paradoxe, et qui bénéficiait du soutien du gouvernement israélien. En y présentant son film « Jaffa, la mécanique de l’orange », il aurait participait à un événement célébrant des artistes et des cinéastes, qui, comme il l’écrivait aux organisateurs, célèbrent des artistes et des cinéastes qui évitent « de s’exprimer clairement au sujet de la brutale répression des populations palestiniennes. Ce sont les arguments invoqués dans cette lettre qu’il reprend et développe dans un livre écrit en collaboration avec la productrice Armelle Laborie, et qui est sorti en librairie le 21 octobre 2016.
Contre ceux, encore trop nombreux, qui soutiennent que « l’université et la culture seraient par nature situées au-delà des querelles politiques », les deux auteurs montrent qu’aujourd’hui les productions culturelles et les institutions de savoir sont, à la différence des kumquats et des avocats ou même des armements, clairement identifiées à une nation. Dans la mesure où les institutions universitaires et culturelles forment une « vitrine dans laquelle Israël présente d’elle-même une image démocratique, libérale et critique », l’appel au boycott est comme « un pavé lancé dans cette vitrine ».


Devant le ralliement de plus en plus d’universitaires et d’artistes à la campagne BDS, désormais coordonnée au niveau international par le PACBI, les autorités israéliennes perçoivent la menace, et mettent en place un impressionnant dispositif de propagande, la hasbara, le terme hébreu pour explication, qui, en 2016, a été dotée d’un budget de 30 millions d’euros. Un ministre, Gilad Erdan, est même désigné pour mener à bien le combat contre BDS. Il s’agit de restaurer l’image d’Israël et tous les moyens vont être bons, qu’il s’agisse de proposer une image positive d’Israël ou de conduire une cyber-guerre, voire une guerre juridique globale. On se souvient qu’en mars 2016, un autre ministre, Israël Katz, a même annoncé « l’élimination civile ciblée » des principaux militants du BDS.
Eyal Sivan et Armelle Laborie répondent point par point à tous ces arguments de propagande. Ils montrent avec précision, que l’université israélienne, loin d’être le lieu d’une culture pluraliste et dynamique, non seulement garde le silence sur l’occupation et les crimes de guerre, mais sert d’auxiliaire à l’armée et fabrique des discriminations. Défendre le boycott universitaire, ce n’est en aucun cas s’opposer aux libertés académiques, c’est au contraire permettre de les développer, d’autant plus que tel qu’il est défini dans les directives de PACBI, le boycott n’empêche nullement la collaboration avec des universitaires israéliens pris à titre individuel. Et il offre même une possibilité d’expression et d’échange à tous ceux qui souffrent d’un isolement croissant.


La culture israélienne, telle qu’elle s’est affichée, par exemple à Paris, au Salon du livre de 2008, jouit d’un grand prestige en Occident. Cependant « elle est en complet décalage avec la réalité israélienne ». Les écrivains et les cinéastes considérés comme appartenant au « Camp de la paix » et qui sont tellement présents sur la scène nationale, constituent en quelque sorte une « dissidence officielle », qui participe à la représentation d’un État d’Israël juif et démocratique où régnerait la liberté d’expression.


Or cette gauche sioniste, dont ces artistes sont les porte-drapeaux et qui défend ses propres libertés sans trop s’inquiéter des atteintes aux libertés des Palestiniens, permettant de « chanter les louanges de la seule démocratie au Moyen-Orient », n’a jamais été inquiétée par le pouvoir, parce qu’en fait elle le légitime et l’a toujours servi sans broncher. Les institutions auxquelles ils appartiennent et qu’ils défendent sont devenues « un atout solide pour la communication de tous les gouvernements, et un instrument privilégié de la « hasbara-marketing ».
Israël qui se considère et est reconnu comme une démocratie occidentale, revendique cependant un statut singulier l’autorisant à violer impunément les droits humains. Israël jouit donc « d’un statut d’État d’exception ». Il est fort inquiétant de penser que ce modèle d’état d’urgence permanent est en train de devenir une référence y compris en France. C’est cette exception qu’il s’agit de boycotter, en exerçant « une pression citoyenne non-violente » pour forcer cet État à se plier aux exigences du droit international et devenir ainsi un État normal, qui cesse d’être hors-la-loi. La campagne BDS qui exige qu’il soit mis fin à l’impunité d’Israël est donc légitime. Ce mouvement « polymorphe et rhizomique » est également juste et urgent. Juste, parce que c’est un acte de solidarité envers les Palestiniens, mais aussi envers les Israéliens anticoloniaux. Urgent, « car la société israélienne est en processus de fascisation ».


La lecture du livre d’Eyal Sivan et Armelle Laborie, dont il faut saluer le courage et la détermination, est elle aussi urgente. Elle est même indispensable. Tous les éléments de la hasbara (justification, propagande) y sont pointés et démontés. On y trouve tous les arguments permettant de répondre à la propagande israélienne dont nous sommes abreuvés en permanence. Mais on le referme aussi avec le sentiment qu’un espoir reste possible pour la construction de ce monde commun auquel nous aspirons.

Appels en France et en Belgique

Dans un article précédent (Goosch.lu, 10 février 2017), nous avons donné de nombreux exemples de ce boycott académique et culturel parmi les nombreux pays où des organisations soutenant les droits des Palestiniens ont adopté l’appel palestinien au boycott académique et culturel, nous n’en citerons que deux, à titre d’exemple.
L’appel belge par le BACBI (Boycott Académique et Culturel Belge d’Israël) http://www.bacbi.be/cult/declaration-bacbi.htm
Et l’appel en France : le boycott universitaire : https://www.bdsfrance.org/category/bds-quest-ce-que-cest/c31-le-boycott-universitaire/
Des textes législatifs importants et récents
Plusieurs textes de hautes instances internationales, ainsi qu’une loi votée récemment en Israël confirment largement l’importance stratégique et fondamentale du boycott académique et universitaire d’Israël bien compris. Je n’en cite que les principaux, les plus récents :


ONU:
Résolution 2334 du 23 décembre 2016 sur l’illégalité des colonies (2016)
Rapport de son importance pour L’Observatoire Euro-Méditerranéen pour droits de l’homme
Rapport de la Commission économique et sociale pour l’Asie Occidentale
Retrait de ce rapport sous la pression des USA et d’Israël :


UE:
Nouveau rapport 2016 des chefs de postes européens à Jérusalem inquiétant


En Israël
– Loi du 7 mars contre le BDS (1), (2)

Et pour terminer, l’histoire continue

Depuis le 7 mars, après le vote de cette loi israélienne, plusieurs militants du BDS ont été interdits d’entrée en Israël, dont, ce dimanche 13 mars, Hugh Lanning, président du PSC britannique (Palestine Solidarity Campaign), et représentant de la Grande-Bretagne à l’ECCP (la coordination européenne des associations pour la Palestine).
L’histoire peut continuer aussi avec nous, si nous acceptons de comprendre mieux l’importance fondamentale et stratégique du boycott académique et culturel d’Israël et de dépasser les idées préconçues et souvent tronquées qui dominent à son sujet.

International

27-01-2017 Par

F T Y

La campagne BDS pour les droits des palestiniens n’a cessé de croître en 2016 – Bilan

Dans la présente contribution, il s’agit de faire partager aux lecteurs les nombreuses et diverses formes d’impact du mouvement dans le monde au cours de l‘année 20161, suite au bilan que vient d’en opérer le BNC, le Palestinian BDS National Committee. Ce récapitulatif est loin d’être complet. Il reflète bien, cependant, l’évolution globale du mouvement et les tournants en cours. Il reflète surtout son caractère irréversible, car les dizaines de millions d’euros consacrés à sa répression par l’État d’Israël et les dizaines de milliers de personnes mobilisées par Israël pour l’y aider, n’ont pas réussi à arrêter sa croissance. Bien au contraire.

Dans le numéro du 23 décembre 2016 de Goosch.lu, nous avons expliqué diverses mesures atteignant à la liberté d’expression de nombreux militants et sympathisants de la campagne BDS (Boycott-Désinvestissement- Sanctions), suite à l’extension et à l’impact croissant de celle-ci. Plus particulièrement, nous avons mis en évidence la priorité que l’État d’Israël accorde depuis quelques années à une campagne qu’il dénigrait jusque là, mais qu’il considère désormais comme une «menace stratégique», selon les termes mêmes de ses plus hauts responsables.

Dans la présente contribution, il s’agit de faire partager aux lecteurs les nombreuses et diverses formes d’impact du mouvement dans le monde au cours de l‘année 2016 [1], suite au bilan que vient d’en opérer le BNC, le Palestinian BDS National Committee. Ce récapitulatif est loin d’être complet. Il reflète bien, cependant, l’évolution globale du mouvement et les tournants en cours. Il reflète surtout son caractère irréversible, car les dizaines de millions d’euros consacrés à sa répression par l’État d’Israël et les dizaines de milliers de personnes mobilisées par Israël pour l’y aider, n’ont pas réussi à arrêter sa croissance. Bien au contraire.


Récapitulatif de l‘impact


2016, une année marquante pour le BDS …

Les Palestiniens et les défenseurs de la liberté, de la justice et de l’égalité pour les Palestiniens se souviendront de cette année 2016, entre autres comme de l’année où Israël aura mené, contre le mouvement BDS mondial lancé par les Palestiniens pour leurs droits déjà en 2005, une guerre sans merci [2] , dans une tentative désespérée pour l’écraser.
Mais on se souviendra également de 2016 comme de l’année d’un échec spectaculaire d’Israël, alors que BDS n’a cessé de s’étendre et que son impact sur le régime israélien d’occupation, de colonialisme par le peuplement et d’apartheid s’intensifiait.
En 2016, Israël a déployé d’énormes actifs financiers, un espionnage intensif, une propagande bien huilée, du cyber «sabotage» et, avec encore plus d’intensité, une guerre juridique contre les défenseurs des droits de l’Homme et les réseaux BDS.


… malgré la guerre médiatique, politique et juridique menée par Israël à son encontre

Très contrarié par l’extension de BDS en Occident, en Amérique latine, dans le monde arabe, en Afrique du Sud et dans une partie de l’Asie, Israël a espéré mettre à profit son énorme influence sur le Congrès et les parlements des États-Unis, ainsi que sur les gouvernements de la France, du Royaume Uni et du Canada entre autres, pour interdire BDS. Israël a essayé de stigmatiser, de diaboliser et, dans certains cas, de délégitimer BDS par le haut, après avoir échoué à écraser le mouvement au niveau de la population et de la société civile mondiales. Or, tout au long de cette année, BDS est devenu de plus en plus fort.


D’importantes multinationales…

… dont Orange [3] et CRH [4], ont abandonné leur implication dans des projets israéliens qui empiètent sur les droits des Palestiniens. Cet abandon a suivi la sortie de Veolia [5] d’Israël en 2015, après que cette société avait perdu des offres de milliards de dollars à cause des sept ans de campagne BDS.
Également cette année, des dizaines de conseils municipaux, principalement en Espagne, se sont déclarés «Zones Libres d’Apartheid» [6], et d’importantes Églises des États-Unis ont retiré leurs investissements des banques israéliennes ou de sociétés internationales qui soutiennent l’occupation.
BDS a par ailleurs renforcé ses coalitions intersectorielles avec, entre autres, les mouvements pour la justice raciale, économique, de genre et climatique à travers le monde.


BDS a gagné du soutien légal et politique

Une victoire exceptionnellement remarquable pour le mouvement BDS en 2016 fut qu’il a gagné du soutien pour le droit de boycotter Israël, en soutien aux droits des Palestiniens selon le droit international, de la part de l’Union Européenne, du gouvernement de la Suède, des Pays Bas et d’Irlande, ainsi que d’Amnesty International, de l’Union Américaine pour les Libertés Civiques, de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme et de centaines de partis politiques, de syndicats et de mouvements sociaux du monde entier.


L’UE reconnaît le «droit au BDS»!

L’importance de la clarification de la Haute représentante de l’UE (déjà mentionnée en décembre dernier) n’a échappé à personne. En réponse à une question de la députée Martina Anderson pour savoir si la Commission de l’UE s’engagera à défendre le droit des militants BDS à exercer leur liberté démocratique d’expression, la Haute représentante de l’UE a répondu:

« L’UE se situe fermement dans le soutien à la liberté d’expression et d’association conformément à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui s’applique sur le territoire des États membres de l’UE, y compris en ce qui concerne les actions BDS menées sur ce territoire ».

Madame Mogherini a aussi affirmé que:

« La liberté d’expression, comme le souligne la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme, s’applique aussi aux informations ou aux idées «qui choquent ou dérangent l’État ou tout secteur de la population. »


Les actions de la société civile via BDS accèdent à une logique de pression internationale

La logique d’«apaisement» du régime israélien d’oppression a commencé à céder la place à une logique de pression internationale soutenue, qui a prouvé son efficacité dans le combat pour mettre fin à l’apartheid en Afrique du Sud. Le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU, par exemple, a adopté, dans sa réunion du mois de mars 2016, la décision de créer une base de données de toutes les sociétés israéliennes et internationales qui sont complices et profitent du régime israélien d’occupation. Ce remarquable développement a rendu nerveuses de nombreuses sociétés impliquées dans les graves violations du droit international par Israël.

La résolution 2334 du Conseil de Sécurité de l’ONU, datée du 23 décembre 2016, dénonçant la construction et l‘extension des colonies israéliennes de peuplement, a mis un comble à l‘énervement des Israéliens, Barack Obama profitant de sa fin de mandat pour ne pas utiliser son droit de véto. L’arrivée de Trump à la Maison Blanche risque, certes, d’annoncer de nouveaux moments difficiles pour les Palestiniens et les organisations qui les soutiennent dans leur lutte légitime. Il n’en reste pas moins que des pas décisifs nous semblent avoir été franchis. Nous y reviendrons en fin d’article.




La liste ci-dessous résume quelques-uns des indicateurs les plus significatifs de l’impact, direct et indirect, de BDS dans différents domaines. Nous les présentons ci-dessous, non dans l’ordre chronologique – qui relève de la logique de rapport annuel du BNC – mais dans un classement par thème ou domaine.


Domaines et thèmes des campagnes menées


À l’encontre de multinationales

Orange laisse tomber son affiliation à Israël après une intense campagne BDS en Égypte et en France.
– La société irlandaise CRH devient la dernière multinationale à quitter Israël.
– La société de sécurité G4S perd un important contrat en Colombie.
– G4S annonce des plans de sortie du marché israélien, mais la campagne BDS contre lui continue.


De la part d’États, de municipalités, de provinces

– La Suède devient le premier Etat européen à reconnaître le droit au BDS contre Israël.
– Les gouvernements néerlandais et irlandais défendent le droit au boycott d’Israël au nom de la liberté de parole et de la liberté d’association.
– Le Parlement d’Ontario (Canada) rejette une loi anti BDS.
– L’institution Publique du Koweït pour la Sécurité Sociale (PIFSS) se désinvestit de G4S.
– En Espagne, la province de Cordoue se déclare Zone Libre d’Apartheid Israélien et approuve la coopération avec le mouvement BDS.
– La province brésilienne de Bahia annule son accord de coopération avec la compagnie des Eaux Mekorot de l’Israël d’apartheid.
– Le Conseil municipal de Bondy, près de Paris, adopte très largement un boycott des produits des colonies israéliennes.


De la part d’organisations internationales

– Le Conseil Palestinien des Organisations de Droits de l’Homme (PHROC) défend le droit de pratiquer le BDS contre Israël, parce que protégé par la législation internationale.
– L’UNICEF en Jordanie met fin à son contrat avec G4S.
– L’UNOPS devient la troisième agence de l’ONU à abandonner G4S.


De la part de grandes organisations de la société civile, de partis, de syndicats

– Les organisations, centres et associations de femmes palestiniennes appellent les femmes et les féministes du monde entier, ainsi que les organisations et collectifs de femmes, à souscrire à l’Appel BDS.
Amnesty International soutient le droit des défenseurs des droits fondamentaux des Palestiniens engagés dans BDS, condamnant les menaces d’atteintes physiques et de privation des droits fondamentaux portées contre eux par Israël.
– Les partis néerlandais D66 et Gauche Verte appellent à des sanctions contre Israël.
– La campagne BDS marocaine convainc des dizaines de commerçants de boycotter les dattes israéliennes.
– Les plus gros syndicats britanniques exhortent G4S à cesser de profiter de l’occupation israélienne
– Le Secrétariat aux droits de l’Homme de la Fédération Uruguayenne des Travailleurs du Commerce et des Services appelle au boycott des produits israéliens et demande aux entreprises d’Uruguay de couper leurs liens avec l’apartheid israélien.
– La Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH) soutient le droit au BDS.
356 organisations européennes de défense des droits de l’Homme, des églises, des syndicats et des partis politiques appellent l’UE à soutenir leur droit au boycott.
– Une large coalition de groupes de défense des droits civiques, des droits de l’Homme et de solidarité avec la Palestine aux États Unis, dont l’Union Américaine pour les Libertés Civiques (ACLU), soutient le droit au BDS en tant que forme de liberté d’expression protégée par la constitution.
– Le Centre Sud-africain pour l’Etude de la Violence et la Réconciliation retire sa participation à une conférence en Israël sur les études de génocide.
– L’Internationale Socialiste, une coalition majeure des partis socialistes de plus de 100 pays, reconnaît BDS comme stratégie efficace pour combattre l’occupation israélienne et le déni des droits des Palestiniens.
– Des militants soutenus par les principales associations de défense des droits civiques empêchent une législation anti BDS de passer au sénat de l’État du Massachusetts.


De la part d’Églises

– L’Église Méthodiste Unie se désinvestit des banques israéliennes qui financent l’occupation.
L’alliance des Baptistes (USA) se désinvestit des sociétés qui profitent de l’occupation israélienne.
– La Conférence Catholique des Supérieurs Majeurs des Instituts Masculins des États Unis appelle au boycott des colonies israéliennes illégales.
– L’Église Congrégationaliste Unitaire d’Afrique du Sud (UCCSA) adopte BDS.
– L’assemblée de l’Église presbytérienne des USA vote l’étude de l’appel au BDS et s’engage, avec ses auteurs, à faire appel au gouvernement américain pour qu’il reconsidère son aide militaire à Israël.


De la part d’universités, d’universitaires, de campus

– Des centaines d’universitaires du Brésil et d’Italie rejoignent le boycott académique d’Israël.
– Le Syndicat du Collège de l’Université de Londres vote le soutien à BDS.
– Des dizaines d’universitaires de l’université Columbia (NewYork) appellent au désinvestissement du système israélien d’assujettissement.
– Les étudiants de la faculté de Droit de l’université du Chili votent très majoritairement pour BDS.
– La semaine Israël Apartheid de 2016 a été la plus importante jusqu’alors, des groupes de plus de 225 villes et campus universitaires ayant enregistré leur participation. Le développement de la semaine Israël Apartheid dans des pays d’Amérique Latine et dans le monde arabe est particulièrement stimulant.
– L’Union des étudiants de troisième cycle de l’Université de New York, qui fait partie de la section locale 2110 du syndicat UAW, rejoint BDS par un vote largement majoritaire.
– L’Association des Assistants d’Enseignement (section locale TAA/AFT 3220) de l’université du Wisconsin à Madison, le plus ancien syndicat d’étudiants de second cycle des États Unis, se prononce par un vote écrasant pour le désinvestissement des institutions étatiques.
– Des milliers d’universitaires et d’intellectuels arabes de la région du Golfe condamnent la normalisation avec le régime israélien d’oppression et souscrivent au boycott académique et culturel à son encontre.
– L’Assemblée Générale Universaliste Unitarienne a endossé le désinvestissement des sociétés israéliennes complices de l’apartheid israélien et des corporations internationales complices des violations des droits des Palestiniens.
– L’Union des étudiants d’une université canadienne d’Halifax vote la vente de ses investissements dans des sociétés soutenant les violations des droits de l’Homme par Israël, dont Toyota, Caterpillar, Teva et General Mills.


De la part et auprès d’acteurs culturels et sportifs

– BDS va jusqu’aux Oscars, demandant aux nommés de renoncer au voyage de propagande en Israël.
– Le géant du sport Reebok annule un modèle de baskets célébrant «l’indépendance» d’Israël.
– Le festival de la Semaine des écrivains de Listowel en Irlande rejette la demande de financement de l’ambassade d’Israël à Dublin.
Pharrell Williams, dix fois lauréat des Grammy Awards, annule son concert à Tel Aviv sans explication.



Et au Luxembourg ?


Au Luxembourg, depuis 2015 jusqu’à au moins 2017 sinon 2018, plusieurs dossiers-clés sont au travail, qui relèvent des diverses dimensions du BDS, tant au niveau de l’information du grand public que de l’interpellation des autorités du pays:


1. L’étiquetage correct des produits israéliens fabriqués illégalement dans les colonies israéliennes et exportés en Europe et, à terme, l’interdiction d’importer ces produits en Europe

L’étiquetage correct des produits israéliens fabriqués illégalement dans les colonies israéliennes et exportés dans l’UE – donc au Luxembourg – sous une étiquette mensongère: «Made in Israël». Il s’agit d’amener le Gouvernement du pays à mettre en œuvre la Communication interprétative relative à l’indication de l’origine des marchandises issues des territoires occupés par Israël depuis juin 1967 (2015/C 375/05). Plusieurs pays de l’UE ont déjà produit les directives nationales devant mettre en pratique cette directive européenne : la Belgique, il y a deux ans – mais peu d’applications apparentes -, mais aussi la France, récemment, avec de premières applications.
Mais ces directives ne répondent qu’à une partie du problème: celui de l’information correcte aux consommateurs, d’une part, celui de refuser l’exemption des taxes douanières sur ces produits à leur entrée dans l’Europe. En fait, ces produits étant créés dans des conditions illégales selon le droit international, c’est leur entrée dans l’UE qui devrait être interdite, sous peine de complicité avec les pratiques israéliennes de colonisation. D’où un nouveau volet pour la campagne «B» du BDS.


2. Au niveau de l’Université du Luxembourg, deux dossiers sont apparus douteux et sont en voie de discussion:

a. Les coopérations de l’Université du Luxembourg avec des Universités israéliennes directement ou indirectement impliquées dans les politiques d’occupation et de colonisation de la Palestine ou complices de celles-ci.
b. La participation de l’Université et de l’aéroport du Luxembourg à un projet de recherche intitulé Flysec, dans le cadre du programme UE de recherches, Horizon 2020, à côté de et avec la société Elbit Systems, le plus gros producteur et commerçant israélien d’armes.


3. L’accueil au Luxembourg, avec tous les avantages liés à cette présence, de la société Elbit Systems elle-même, impliquée directement dans les politiques d’occupation, de colonisation, de guerres contre Gaza …

Les questions que pose ce type d’ «accueil» sont remontées à la surface à l’occasion de la visite du 1er Ministre, Xavier Bettel, en Israël, en septembre 2016. Ces questions rebondissent en de nouvelles questions, complémentaires: avec quelles entreprises israéliennes est-il cohérent ou non cohérent de travailler? Quels critères utiliser? Quels moyens se donner pour ne pas devenir complices de pratiques et de politiques condamnées par le Droit international? Ces questions et leurs contextes ont été présentés une première fois au Ministère du Commerce extérieur.


4. L’éventuelle complicité de banques luxembourgeoises avec l’occupant israélien dans la «chasse aux sorcières» contre des promoteurs de la campagne BDS et … plus simplement, des Droits de l’homme en Israël-Palestine.

Au Luxembourg, se sont présentés antérieurement des cas d’institutions bancaires interdisant des transactions financières, des versements de dons ou de soutiens d’associations du Luxembourg à des associations de certains pays du Tiers-Monde, ou fermant carrément les comptes bancaires desdites associations. Serions-nous confrontés aux mêmes dérives de certaines banques qui refusent aujourd’hui de faire suivre des fonds à des organisations palestiniennes des Droits de l’homme, sous prétexte que ces associations seraient sur des «listes rouges»? Quelles «listes rouges»? Gérées par qui, avec quels pouvoirs, au nom de quoi et de qui? Sur base de quelles sources? Les banques sont plutôt sourdes à ce genre de questions, et renvoient à d’autres instances, qui renvoient à d’autres instances … Malgré cela, les évidences commencent à paraître concernant le recours à des sources plus que douteuses et très peu objectives en ces matières.


Il y a du pain sur la planche, au Luxembourg !

La liste et la variété des actions BDS menées de par le monde en 2016, ainsi que les dossiers en cours au Luxembourg nous suggèrent assez clairement qu’ «il y a du pain sur la planche» au petit Grand-Duché. Et que le Luxembourg, pas plus que d’autres pays, n’est «au-dessus de tout soupçon». Si diverses instances montrent une volonté réelle de cohérence des politiques et qu’avec le Cercle des ONG tout un chantier de plus grande cohérence s’est ouvert il y a quelques années, il n’en reste pas moins que plusieurs dossiers épineux et difficiles sont arrivés sur diverses tables et seront mis au travail avec toute la rigueur nécessaire dans les mois qui viennent.

Grâce aux colonnes que Goosch.lu a bien voulu nous ouvrir, nous vous tiendrons donc au courant de l’évolution de ces dossiers. Qui plus est, toute campagne BDS est un travail collectif pouvant impliquer beaucoup de monde, à commencer par les militants de partis politiques et de syndicats engagés positivement en vue d’une réponse juste aux Droits du peuple palestinien. Oui, le «moment sud-africain» de la campagne BDS en faveur de la Palestine et d’une paix juste au Proche-Orient semble approcher. Il est temps. Il est grand temps!



[1] L’essentiel de cet article reprend, complète et restructure le récapitulatif annuel réalisé et publié à Londres le 28 novembre 2016 par le BNC (le Palestinian BDS National Committee) et traduit en français pour et par l’Aurdip (Association des Universitaires pour le Respect du Droit International en Palestine). Les positions explicites ou implicites présentes ici n’engagent que leur auteur.
[2] Sur cette guerre, voir Lien. Nous y reviendrons en détail dans une contribution ultérieure.
[3] Pour Orange, voir Lien
[4] Pour la CRH (Cement Roadstone Holdings – ), compagnie irlandaise de matériaux de construction, mais aussi la plus grosse entreprise de l’Irlande.
[5] Veolia est une multinationale présente sur les cinq continents avec 174 000 salariés, qui assure la gestion de l’eau, la gestion des déchets, et la gestion énergétique.
[6] Les textes apparaissant en bleu souligné indiquent des liens internet vers les sites où des informations précises peuvent être trouvées si, à la lecture sur l’ordinateur, le lecteur clique sur la artie du texte soulignée.

International

23-12-2016 Par

F T Y

Le mouvement BDS et la liberté d’expression

Pour «Boycott, Désinvestissements, Sanctions», la campagne BDS initiée par la société civile palestinienne et largement relayée dans le monde entier vise à faire cesser l'occupation et la colonisation par Israël des territoire palestiniens. Depuis quelques années, c'est un véritable acharnement que doivent subir les militants et sympathisants du mouvement.

Pour «Boycott, Désinvestissements, Sanctions», la campagne BDS initiée par la société civile palestinienne et largement relayée dans le monde entier vise à faire cesser l’occupation et la colonisation par Israël des territoire palestiniens. Depuis quelques années, c’est un véritable acharnement que doivent subir les militants et sympathisants du mouvement.

Quelques rappels bien utiles

L’année 2017 marquera :

les 100 ans de la « déclaration Balfour » de 1917, par laquelle le gouvernement britannique promettait unilatéralement l’établissement en Palestine d’un foyer national juif,

les 70 ans du plan de partage de la Palestine voté par l’ONU en 1947 dont a résulté la Nakba de 1948 – la destruction de plus de 530 villages palestiniens et l’expulsion de 750 000 Palestiniens de leur patrie dans un processus de nettoyage ethnique -,

les 50 ans de l’occupation par Israël, en 1967, de la Cisjordanie, de Jérusalem Est, de la Bande de Gaza et du plateau du Golan, et du processus continu de leur colonisation et de leur occupation par l’État d’Israël,

les 10 ans du blocus de Gaza, punition collective de 2 millions de Gazaouis suite au déni par les autorités israéliennes, l’UE et les USA, des résultats des élections de 2006 qui avait vu la victoire du Hamas à la sortie des urnes

Depuis les Accords d’Oslo en 1993, 12 ans se sont passés lorsque, en 2005, plus de 160 organisations de la société civile palestinienne décident le lancement du mouvement BDS et appellent les sociétés civiles du monde entier à soutenir et pratiquer le BDS. Alors qu’Oslo avait été considéré par beaucoup comme une étape importante vers la paix, entre 1993 et 2005, le nombre de colons israéliens est passé de 322.000O à 430.000!

En juillet 2004, la Cour internationale de justice de La Haye concluait que le mur israélien et tout son système (mur, colonies, check-points, routes de contournement réservées aux colons) étaient illégaux, devaient être démantelés … et la résolution ES 25 de l’ONU entérinait cet avis quelques semaines plus tard..

Et donc, en 2005, lasses de toutes ces tergiversations, la société civile palestinienne lance le mouvement BDS et appelle les sociétés civiles du monde entier à résister avec elle de manière non violente à l’occupation et à la colonisation en lieu et substitution des pouvoirs civils, des États, de l’UE à respecter et faire respecter leurs propres décisions. C’était assez. C’était trop.

Il est important d’éviter les méprises. Et encore plus les amalgames dans lesquels ses opposants cherchent à l’enfermer, –  principalement l’État israélien, le Crif en France, des organisations pro-israéliennes ou sionistes dans divers pays. Le mouvement BDS, dans ses objectifs comme dans ses discours, non seulement se distancie très clairement de tout appel à la haine, au racisme et à l’antisémitisme, mais aussi n’a rien à voir avec une prétendue volonté d’ «en finir avec Israël».

Le BDS, un mouvement qui s’élargit et s’approfondit …

De 2005 à 2016, le mouvement BDS a pris quantitativement une nette ampleur, s’est diversifié dans ses formes: actions de boycott de produits, de campagnes de désinvestissement à l’égard de firmes et d’entreprises, de revendications de sanctions par l’Union européenne et par ses États membres à l’égard de l‘État d’Israël. Le boycott lui-même, après s’être concentré sur les produits fabriqués dans les colonies israéliennes, particulièrement des fruits et légumes, s’est tourné petit à petit aussi vers le boycott culturel et académique. Il s’est diversifié aussi dans la variété et la quantité d’organismes privés, publics ou semi-publics adoptant la campagne BDS, c’est-à-dire ont décidé de le soutenir et de le pratiquer eux-mêmes.

On connaît assez bien les types d’actions de de boycott de produits maraîchers fabriqués dans les colonies. Il y en a des milliers d’exemples à travers le monde, dans les pays européens, aux USA et dans le reste du monde. Il y en a aussi en Palestine. Il y en a même en Israël, promus et réalisés par l’association israélienne «Boycott from within», durement contestée et réprimée par les autorités israéliennes.

Les campagnes de «désinvestissement» encouragent des entreprises locales, nationales ou multinationales à se dégager et à désinvestir des projets qui les rendent complices directement ou indirectement à l’occupation et à la colonisation. C’est à ce niveau que d’importants progrès ont été enregistrés au cours des 7 à 8 dernières années. Ainsi l’entreprise Veolia, après avoir perdu des contrats pour 20 billion $, s’est finalement retirée de ses projets en Israël (dont le projet de tramway reliant la vieille ville de Jérusalem à la grande colonie de Maale Adumim (installée sur les terres palestiniennes de Jérusalem-Est). Ainsi encore la multinationale anglo-danoise de sécurité, G4S: l’UNICEF, l’UNHCR et l’UNOPS (toutes institutions de l’ONU) ont rompu leurs contrats avec G4S suite aux campagnes BDS. Suite aux mêmes pressions du BDS, de gros partenaires de G4S, tels que la Bill and Melissa Gates Foundation, se sont désengagés de cette multinationale. La française Orange a décidé elle aussi, pour les mêmes raisons, de vendre ses filiales en Israël. Et encore, Elbit Systems, la plus grosse entreprise israélienne fabriquant, commercialisant et vendant des armes, du matériel militaire et de sécurité à très haute teneur technologique, a connu divers déboires suite à la campagne de désinvestissement.

Au cours des dernières années, le boycott culturel et académique a connu un véritable essor[1]. Ici encore quelques exemples parmi des centaines sinon des milliers: au cours des dernières années, en Irlande la Teachers Union of Ireland, en Belgique la Fédération des Étudiants Francophones (FEF), en Grande-Bretagne la National Union of Students, aux USA l’African Literature Association,  la National Women’s Studies Association, l’American Studies Association, les Graduate student workers unions aux Universités de New York et du Massachusetts, ont rejoint et endossé le boycott académique et culturel.

Par ailleurs, des milliers d’universitaires ont signé leur adhésion au boycott académique: en Afrique du sud, aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Inde, en Suède, au Brésil, en Belgique, en Italie et dans de nombreux autres pays.

Le BDS aurait-il donc un impact?

Depuis 11 ans, Israël répète à qui veut bien l’entendre que le mouvement BDS est insignifiant, pas sérieux, et que ses militants se targuent de résultats imaginaires, que le boycott de quelques fruits et légumes représente peu de choses dans l’économie israélienne … Et sa rhétorique à cet égard ne fait que s’amplifier.

Mais en même temps, Israël, qui n’en est pas à une contradiction près, se réunit en comité spécial de cabinet il y a trois ans au cours de l’été pour faire le point sur BDS: le constat fait est que le BDS commencerait à avoir des effets sur le porte-monnaie israélien et deviendrait un danger pour le pays. D’où l’importance de réajuster la stratégie à l’égard de ce mouvement.

Quelques mois plus tard, à la Knesset, même discours et, en plus, des accusations à l’encontre des sociétés civiles occidentales et des militants pro-palestiniens; il faut donc contrer sérieusement ces ONG et associations qui «délégitiment» l’État d’Israël.

Lors d’une autre réunion d’officiels israéliens, B. Netanyahou affirme qu’aujourd’hui, Israël a deux ennemis stratégiques: l‘Iran et … le mouvement BDS, et qu’Israël doit lutter autant contre l’un que contre l’autre.

Et encore, dans un discours plus récent, B. Netanyahou concluait en disant qu’aujourd’hui, la guerre par les armes était tout à fait insuffisante, qu’elle devait urgemment être relayée par la «guerre des mots, des images et des idées» en vue de combattre toutes les initiatives prises en Occident avec le seul but de délégitimer sinon de détruire l’État d’Israël. Rhétorique pour faire peur? ou rhétorique qui se fait peur à elle-même, consciente que se cache là un enjeu réel et fondamental pour le pays.

Toujours est-il que, depuis plusieurs années, l’État israélien consacre annuellement des centaines de millions de dollars à la «hasbara» (travail sur l’image) et a engagé un peu partout, surtout dans des lieux stratégiques comme les institutions européennes à Bruxelles, des dizaines de milliers d’agents, bénévoles et professionnels, pour contrer par tous les moyens possibles le processus de délégitimation dont il serait l’objet. Qui plus est, Israël recourt depuis une dizaine d’années aux services du très pointu Reut Institute, organisation spécialisée dans le travail sur la communication et l’image (voir le site du Reut Institute ) , pour évaluer de manière continue l’évolution de cette image, les causes et mécanismes engendrant cette image et sa détérioration, les acteurs qui en sont responsables, et les contre-stratégies à développer pour les contrer [2].

C’est à ce point de nos réflexions que nous rejoignons la problématique des libertés mises en danger, en Europe et aux États-Unis autant qu’en Israël et en Palestine.

Des réactions de plus en plus virulentes et des actions de plus en plus dures sont initiées en Israël par l’État israélien et des groupes politiques et de colons extrémistes, tant à l’égard des Israéliens juifs que des Israéliens arabes, des organisations des droits de l’homme ou de celles qui promeuvent le BDS et toute autre forme de résistance non violente à l’égard d’Israël : actions de harassement, menaces aux personnes, menaces et projets de loi en vue de contrôler davantage et de fiscaliser les financements extérieurs de ces ONG, menaces même de coupures financières. Plusieurs de nos amis palestiniens et juifs d’Israël, intervenus au cours des dernières années au Luxembourg, sont ainsi devenus l’objet de «chasse aux sorcières», accusés de traitrise … et menacés d’emprisonnement. C’est le cas de Breaking the silence, organisation d’anciens soldats israéliens ayant décidé de rompre le silence et de publier des rapports sur les pratiques et agissements de l’armée israélienne à Gaza, en Cisjordanie … (voir entre autres un article du Figaro de mai 2016 ): l’organisation est menacée de fermeture, son leader principal, Yehuda Shaul, menacé d’arrestation ou d’expulsion. C’est le cas de B’Tselem, organisation israélienne des droits de l’homme.

C’est aussi le cas, tout récemment, de l’organisation palestinienne Youth against setllements: son principal responsable, Issa Amro, est très actif, depuis de longues années, dans et autour de la ville de Hébron, dont le cœur historique est occupé par 400 colons parmi les plus extrémistes que connaisse Israël. Emprisonné à de multiples reprises, Issa Amro n’avait jamais été inculpé. Depuis juin 2016, dix-huit chefs d’accusation ont été retenus contre lui par l’armée israélienne, relevant d’infractions dont la plupart ne sont pas reconnues par le droit international. De nombreux autres cas semblables remplissent de nombreux sites relatant la vie et le travail des organisations israéliennes et palestiniennes défendant les droits des Palestiniens.

Mais en Europe et aux États-Unis et dans d’autres pays, des actions directes ou indirectes d’organisations pro-israéliennes, de lobbies sionistes, du CRIF en France, s’attaquent à des militants du BDS ou à leurs organisations, incitent des directeurs de salles à ne plus accueillir des conférence ou films-débats organisés par des associations défendant les droits des Palestiniens. Qui plus est, en France tout particulièrement, des groupes de pression et des institutions influentes soutenant Israël sont parvenues au cours des années à mettre de leur côté de nombreux politiciens sinon ministres français, de gauche comme de droite. Alliot-Marie, lorsqu’elle était ministre de la justice, a édicté une circulaire à destination de tous les préfets, leur intimant de surveiller de lanière toute particulière et de se montrer très sévères à l’égard des personnes et des organisations promouvant le BDS. C’est dans ce cadre que de nombreux procès ont été intentés à des militants du BDS par des organisations sionistes en France. La plupart ont abouti à des non lieux, mais certains ont débouché sur des condamnations. Les jugements se basent sur des actes et pratiques qu’ils considèrent comme provoquant à la «haine raciale», à la discrimination et même à l’antisémitisme. Soit, une utilisation abusive d’articles du code pénal français et un grave amalgame entre critique des politiques et pratiques israéliennes d’occupation et de colonisation et haine d’Israël, antisémitisme.

Dans plusieurs pays européens (France, Allemagne, Grande-Bretagne …), des «amis d’Israël», des groupes sionistes ou pro-israéliens cherchent à ce que soient promues des lois à l’encontre du BDS, excluant et interdisant le BDS – jouant à nouveau et toujours sur les amalgames bien connues entre antisionisme et critique des politiques israéliennes, d’une part, antisémitisme et haine raciale, d’autre part. Ces tentatives n’ont pas encore réellement abouti – excepté, partiellement, en France, avec la circulaire Alliot-Marie.

D’autres formes d’atteinte à la liberté d’expression et d’opinion sont pratiquées, elles aussi sous l’influence de ces groupes pro-israéliens. Rappelons-nous: «il faut lutter par tous les moyens contre ces opérations de ‘délégitimation’ de l’État d’Israël». C’est la fermeture par certaines banques de comptes bancaires de certaines ONG occidentales, visant à les déstabiliser voir à faciliter leur disparition, visant aussi à couper leurs relations financières avec des ONG palestiniennes et israéliennes. Ce fut le cas de l’une des plus importantes ONG en Grande-Bretagne (Palestine Solidarity Campaign). Ce vient d’être le cas pour une organisation juive en Allemagne, Jewish Voice for Peace: la Banque allemande pour une économie sociale vient de fermer le compte de l’organisation : « Une Voix juive pour une juste paix au Moyen-Orient ». Après de multiples questionnements, la Banque a reconnu que sa décision avait un motif politique, à savoir le soutien de JVP à la campagne BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanctions). La Banque avait été mise au courant de leur position par quelqu’un travaillant pour le Jerusalem Post (voir le rapport de l’Aurdip)

Des cas semblables se multiplient dans divers pays. Mais aussi, sans aller jusque la fermeture de comptes bancaires d’ONG, des Banques «décident» d’interdire des virements vers certaines ONG en Palestine ou en Israël. Elles prétextent des régulations européennes, des «listes noires», des «listes rouges» qu’elles seraient contraintes de respecter. Le plus souvent, lorsque les ONG de chez nous sont concernées, elles ne reçoivent à leurs demandes d’explications et de raisons que des réponses évasives, générales, sans contenu réel. Mais un examen approfondi des processus et des procédures permet souvent de remonter, non pas au niveau européen, mais, au niveau des États concernés, au niveau national, à des liens douteux, à caractère politique, entre des responsables bancaires et des personnalités politiques ou de groupes «amis d’Israël» ou des organisations israéliennes ayant établi leurs «listes rouges» ou «noires» … Nous aborderons plus en détail dans un prochain article cette problématique au Luxembourg.

Or et pourtant, le BDS relève de la liberté d’expression et d’opinion …

… a rappelé très précisément et fermement Madame Mogherini.

En vue de porter toutes ces questions et ces mises en danger du travail des ONG européennes à l’attention des autorités européennes, l’ECCP, (Coordination européenne des Comités et associations pour la Palestine), a envoyé le 18 mai dernier à Jean-Claude Juncker, Président de la Commission européenne et à Mme Mogherini, Haute représentante de l‘UE, une requête leur demandant de «protéger la liberté d’expression et le droit au boycott des citoyens européens», avec référence à la campagne BDS.

C’est une réponse importante, claire et sans ambiguïté qui, cette fois, nous est parvenue le 29 août 2016 des hautes instances de l’Union européenne:

«L’UE réaffirme clairement protéger la liberté d’expression et la liberté d’association dans la droite ligne de la Charte européenne des Droits fondamentaux. La liberté d’expression, comme le souligne la Cour européenne des Droits de l’homme, est applicable aussi à des informations et idées qui ‘offensent, choquent ou gênent des États ou n’importe quel secteur de la population’». La réponse rappelle aussi que, si l’UE est fermement opposée au boycott contre Israël, les produits qui proviennent des colonies israéliennes ne bénéficient du traitement permettant l’entrée en dans l’Union de ces produits à des tarifs préférentiels et doivent être étiquetés de manière à montrer clairement qu’ils ne proviennent pas d’Israël. Ces mesures, destinées à assurer une application entière et effective de la législation européenne et des régulations applicables aux colonies, ne constituent pas un ‘boycott‘ et ne peuvent d’aucune manière être interprétés comme telles»

On ne peut être plus clair!

Qu’attendons-nous, dès lors, pour nous engager plus fermement et résolument dans la mise en œuvre du BDS dans nitre pays ?

a.- Israël poursuit impunément ses pratiques et politiques d’occupation et de colonisation. Plus encore: il met actuellement «les bouchées doubles» dans une sorte de fuite en avant dans l’ouverture de nouvelles colonies et la «égalisation» d’anciennes colonies et d’avant-postes.

b.- L’UE refuse toujours de «sanctionner», se contente d’avertissements verbaux ou écrits, malgré certaines mesures qui vont dans la bonne direction (Guidelines, étiquetage …), donc cautionne et se rend complice de ces agissements israéliens.

c.- Le mouvement et les campagnes BDS ont fait et sont en train de faire leurs preuves, la preuve principale en étant qu’Israël déploie tous les moyens possibles pour les contrer.

Cela étant, qu’attendons-nous pour nous joindre activement et résolument à ce mouvement, … en étant prêts à en «payer le prix» de notre côté? Sinon, ce seront les Palestiniens qui continueront indéfiniment à en payer le prix, un prix de plus en plus insupportable! Et le prix suprême, non imaginaire, ce serait peut-être qu’il n’y aura plus beaucoup de Palestiniens en Palestine, ni beaucoup de terres où ils vivent en paix et sécurité dans un pays digne de ce nom.

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[1]                     Dans une prochaine contribution, nous reviendrons en détail sur le boycott culturel et académique pour en rappeler les objectifs et les imites et lever les nombreuses ambiguïtés qui circulent à son encontre. Un livre récent d’Eyal SIVAN, écrivain et cinéaste israélien anti-sioniste, vient d’y consacrer tout un livre, que nous présenterons dans cette contribution.

 

[2]                     Nous proposerons d’ici quelques semaines un article sur la «propagande» israélienne, en nous basant sur la dernière publication importante d’Ilan PAPPE, nouvel historien israélien, entièrement consacré à ce sujet et couvrant l’ensemble de la période d’existence de l’État d’Israël (1948-2016).

Retours de Palestine: Jérusalem, capitale confisquée?

Du 31 mars au 10 avril dernier, 15 résidents du Luxembourg ont réalisé un voyage d’études en Palestine et en Israël. Ils souhaitaient se rendre compte sur place de la réalité vécue par les populations concernées comprendre mieux et, au retour, témoigner de ce qu’ils ont vu, entendu et compris et interpeller les instances concernées sur les enjeux perçus.

Du 31 mars au 10 avril dernier, 15 résidents du Luxembourg ont réalisé un voyage d’études en Palestine et en Israël. Ils souhaitaient se rendre compte sur place de la réalité vécue par les populations concernées comprendre mieux et, au retour, témoigner de ce qu’ils ont vu, entendu et compris et interpeller les instances concernées sur les enjeux perçus.

Cet article a été publié dans la revue mensuelle de l’ASTM Brennpunkt  n° 294 de septembre 2016

Témoignages sur Jérusalem de deux «anciens»

Nos deux témoignages et les analyses qui vont suivre ont ceci de particulier qu’ils sont proposés par deux participants ayant réalisé déjà de nombreux voyages (ensemble, 13) et de plusieurs missions en Palestine et Israël au cours des 15 dernières années. Le séjour d’avril dernier leur a donc permis de revoir encore, d’essayer de comprendre un peu mieux, ce conflit, sa durée et sa profondeur, sa complexité, mais aussi sa profonde simplicité: d’un voyage à l’autre, les réalités désespérément permanentes, en même temps que les aggravations et les formes sans cesse nouvelles qu’elles prennent. Ce sont ces permanences et ces aggravations que nous voudrions proposer ici. Nous le ferons en partant des faits et des constats, puis en partageant aux lecteurs les analyses que nos partenaires nous en ont proposées et que nous reprenons généralement à notre compte. Nous compléterons ces approches et les confirmerons par les déclarations officielles successives et les projets explicites de dirigeants israéliens sur la terre de Palestine et particulièrement de Jérusalem-Est. Nous terminerons en proposant quelques pistes d’action aux citoyens que nous sommes et aux instances nationales et européennes responsables.

La route de l’aéroport Ben Gourion à Jérusalem-Est : «Je suis choqué[e]»!

De l’aéroport Ben Gourion à la Maison d’Abraham à Jérusalem-Est, Nour, notre chauffeur, commente ce que nous voyons depuis notre minibus: à gauche, à droite, devant, encore à gauche, derrière! des barbelés entourant des points d’eau, le «mur de séparation», des check points, des Palestiniens sortant leurs permis, des soldats très jeunes, suréquipés, et des jeeps, des routes interdites aux Palestiniens, des routes réservées aux Palestiniens, une prison réservée aux Palestiniens, un tramway réservé (de fait) aux Israéliens juifs …

Tout y était déjà, ou presque. L’impression commune exprimée lors de notre «debriefing» ce 1er soir à la Maison d’Abraham par les (nouveaux) participants fut: «Je suis choqué [e]». Et nous le fûmes aussi, Joanna et moi, tant les réalités vues comme en zoom et en condensé sur un aussi court trajet, et les commentaires de Nour, nous avaient déjà plongé brusquement et en continu dans un monde désarticulé, déchiré et désolant.

Des faits, de plus en plus clairs et nombreux …

Ce sont les principaux éléments de ce système d’occupation et de colonisation qui nous ont tant frappés dès la 1e heure de notre voyage que nous allons décrire maintenant en nous centrant sur Jérusalem-Est.

La plupart de ces faits étant déjà connus, nous choisissons de les aborder de manière synthétique pour nous arrêter plus longuement aux logiques à l’œuvre et aux projets israéliens avérés.

… à commencer par des chapelets de colonies … et des Palestiniens dépossédés …

C’est après la guerre de 1967 que le mouvement des colonies s’est développé et a connu des augmentations constantes. Ainsi, le nombre de colons avoisinait les 106 000 en 1983, 300 000 en 1993, au moment des Accords d’Oslo, 414 000. en 2002, lors des rencontres de Camp David II. Aujourd’hui, en 2016, il se situe autour des 620 000, dont plus de 220 000 dans Jérusalem-Est.

Au-delà des chiffres, si l’on veut comprendre leur gravité et leur importance stratégique dans le blocage toujours plus profond de la situation, il faut imaginer en dehors de nos cadres habituels ce que les colonies israéliennes représentent vraiment dans la vie quotidienne des Palestiniens: pour que des colons s’implantent, il faut que les Palestiniens qui y vivent en soient expulsés, que leurs terres soient appropriées, que leurs maisons soient détruites, qu’ils soient dépossédés de leur source d’eau, que leur ciel et leur environnement leur soient barrés ou coupés. Arbitrairement. Violemment. Injustement. Avec humiliation. Sans compensation. Et, plus encore, impunément, … alors que ces pratiques sont totalement contraires à la 4e Convention de Genève et punissables de crimes de guerre.

À chaque nouveau voyage, de nouvelles colonies barrent l’horizon des Palestiniens et occupent de nouvelles collines. Elles sont implantées de plus en plus au cœur de Jérusalem-Est, et même au cœur des quartiers arabes de la Vieille Ville: ainsi, la maison du décédé Ariel Sharon, qui surplombe de manière arrogante la rue centrale du souk de la Vieille Ville (photo ci-contre) ou encore cette maison très récente près de la maison d’Abraham où nous logions, et aussi dans le quartier de Silwan que nous avons plusieurs fois visité.

Ainsi, la «confiscation» de Jérusalem-Est par les colonies progresse constamment et de manière accélérée. Les étapes de l’extension de la Jérusalem juive ont été impressionnantes: depuis le Jérusalem du «corpus separatum » de 1947 jusqu’à la super agglomération actuelle.

Elle passe ainsi de 7 km2 en 1949 à 70km2 en 1967, à 165 km2 en 2005, pour atteindre 200km2 en 2014…

… un «mur de séparation» ..

Tantôt un mur en béton, haut de 8 à 10 m. à Jérusalem-Est, coupant des quartiers palestiniens entre eux ou le mur de 12 m à Bethléem, serpentant, entourant le tombeau de Rachel.  Tantôt une «barrière» bourrée d’électronique. Les Israéliens ont prévu au départ qu’il atteigne 730 km. Ce «mur» est situé à plus de 8/10 de son parcours à l’intérieur des terres palestiniennes, et non sur la frontière, la «ligne verte» (qui fait environ 320 km). Il pénètre profondément à l’intérieur de la Palestine au point de presque faire la jonction entre l’ouest et l’est et, ainsi, de couper la Cisjordanie en trois bantoustans séparés entre eux et séparés de Jérusalem.

Le mur zigzague à l’intérieur de Jérusalem-Est puis dans les territoires palestiniens autour de Jérusalem-Est, vers le nord et Ramallah, vers l’est et la Vallée du Jourdain, vers le sud, jusque, dans et autour de Bethléem et vers Hébron, entourant les grandes, moyennes et petites colonies israéliennes. Revoyant ce mur, nous pensons évidemment aux nombreuses et lourdes implications qu’il a sur la vie quotidienne des Palestiniens, dans tous les domaines, particulièrement celui des déplacements des personnes et des marchandises.

…des barrages ou check points et des routes de contournement… sont le 3e outil de contrôle utilisé par la puissante occupante. De plusieurs centaines, ces barrages ont été relativement réduits au cours des dernières années, nous avons pu le constater, et remplacés par deux systèmes plus «ingénieux»: d’une part, quelques grands check points semblables à des terminaux d’aéroport, remplis d’appareillages électroniques  – ainsi autour de Jérusalem et Bethléem, puis autour de Naplouse, Jenine et Ramallah, et, d’autre part, des check points volants, y compris en voitures banalisées. Ceux-ci ont le grand avantage, pour les Israéliens, d’être légers, mobiles et moins coûteux, mais surtout de rendre leur présence et leur venue non prévisibles pour les Palestiniens. Ces derniers ne peuvent plus anticiper pour éviter ou contourner. Ils peuvent être contrôlés n’importe où et n’importe quand. Imprévisibles et arbitraires. Temps passé, temps perdu. Espace barré.

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… et les routes de contournement viennent parachever l’ensemble de ce 1er système. Ce sont des routes réservées aux colons, qui leur permettent de se déplacer depuis leurs colonies, sur des voies larges, sécurisées, interdites aux Palestiniens sous peine d’amende ou d’emprisonnement, pour rejoindre les grandes villes ou les habitants d’autres colonies chaque matin et chaque soir.

«Il faut imaginer le maillage et le réseau de plus en plus dense de ces routes qui viennent s’ajouter au tracé du mur, aux chapelets de colonies et aux check points fixes et mobiles. Il n’y a plus guère de liberté de circuler. Plus de liberté du tout: tout (presque tout) est sous contrôle.» L’excellente Ruth – cette jeune juive travaillant dans une organisation israélienne de défense des droits des Palestiniens –  qui nous a guidés au cœur et aux alentours de Jérusalem, nous l’a fait comprendre mieux que quiconque en détaillant avec force détails les contraintes de tous genres, y compris administratives, qui corsètent de manière insoutenable et anesthésiante la vie quotidienne des Palestiniens.

… et enfin une administration étouffante …. Pour assurer ses fonctions au quotidien à l’égard des Palestiniens, ce système est complété par une pléthore d’obligations et d’interdictions administratives, dont beaucoup exigent des permis spéciaux, difficiles et longs à obtenir, enlevés au moindre faux pas. Pour beaucoup de demandes, il faut des permis spéciaux: permis de bâtir, permis d’aller à Jérusalem ou à Gaza, permis d’aller travailler sur son champ, permis d’aller à l’étranger, permis d’aller à l’hôpital en Israël, etc.

Espace, temps, mouvements cadenassés. Une pléthore de fonctionnaires israéliens est ainsi consacrée à cette «administration de l’occupation», érigée en système juridique séparé.

Au-delà des faits, des «logiques» à l’œuvre?

Trois logiques principales nous sont apparues lors des rencontres avec nos partenaires israéliens et palestinien, qui se superposent et se renforcent mutuellement. Tant à Jérusalem-Est que dans la Vallée du Jourdain et l’ensemble de la Cisjordanie.

Une logique d’épuration ethnique. Jérusalem-Est étouffe, est «mangée» à petit feu au nord vers Ramallah, au sud vers Hébron et Bethléem et à l’est vers la Vallée du Jourdain. Autant de milliers, de dizaines de milliers de Palestiniens expulsés, chassés ou déplacés. Place nette est faite pour remplacer la population palestinienne par des colons juifs. Un seul petit couloir à l’est relie encore Jérusalem à la Cisjordanie, c’est la fameuse zone E1. Si les Israéliens se l’approprient, Jérusalem sera définitivement coupée de la Cisjordanie au nord, à l’est et au sud et ne deviendra jamais la capitale d’un futur État palestinien.

Une deuxième logique s’ajoute à la précédente et vient la renforcer : une logique d’enfermement, et/ou d’emprisonnement, un contrôle permanent et pointilleux du temps, de l’espace, de toutes les dimensions de la vie, avec le double sentiment ainsi créé de n’avoir plus de liberté, de maîtrise sur sa vie, ni individuelle ni familiale ni collective. Il faut y ajouter la militarisation, le harassement, l’épuisement, la mise au sec, avec leurs conséquences: l’étouffement, la peur, la démission, le repli. Le mur, les check points, la militarisation, les diverses formes de contrôles, les emprisonnements, tous les obstacles administratifs et autres mis à l’expansion démographique ou économique palestinienne, … autant de formes concrètes que prennent ces logiques d’enfermement et d’étouffement, si possible pour faire partir.

Une logique de séparation, écartèlement, division, éclatement, déstructuration, s’ajoute et se superpose aux deux premières. Nous la voyons à l’œuvre, elle aussi, dans les effets ou fonctions du mur, des check points, des routes réservées, du morcellement du territoire, de l’enclavement, de la séparation parmi les Palestiniens eux-mêmes. La géographie de Jérusalem-Est et de ses zones environnantes manifeste sans ambiguïté cette logique. De jour en jour, à mesure des trajets et des visites, lentement, mais sûrement, elle nous est apparue de plus en plus clairement, en lien avec les autres. Ensemble, elles forment «système». C’est un «système».

Une 4e logique à l’œuvre s’est dégagée de notre observation et des discussions avec nos partenaires : logique de «néan-tisation» ou d’ «a-néan-tissement» des Palestiniens, plus exactement des «arabes» – car les Palestiniens n’existent pas, n’ont jamais existé! Cette logique est mise en œuvre de multiples manières avec son cortège de pratiques discriminantes et d’infériorisation: ainsi les mesures discriminatoires de la métropole de Jérusalem à l’égard de Jérusalem-Est au niveau des services (publics) et des formes de retours des impôts versés. Et encore, dans de multiples circonstances de la vie quotidienne, des pratiques humiliantes et dégradantes, à la fois à ses propres yeux, aux yeux des proches et de la communauté. Elles risquent de conduire à la perte d’identité personnelle et collective.

Un concept réunit en lui la plupart de ces logiques, qui en sont autant de concrétisations dans l’espace et le temps, le corps, l’esprit, le cœur:  nous sommes en présence et en face d’une SOCIO-CIDE: la mise à mort à petit feu d’une SOCIÉTÉ. Ou bien vous partez (le plus possible), ou bien vous restez (le moins nombreux possible quand même, mais alors enfermés en plein air, comme des sous-hommes, ghettoïsés, sous notre contrôle total). C’est à ce processus lent, profond, généralisé, que les Palestiniens sont confrontés aujourd’hui. Et nous, avec eux, c’est bien ce défi-là qu’il nous faut relever en tant que société civile puisque la communauté internationale et les puissances concernées font défaut.

… et des projets israéliens avoués, qui disent la même chose!

Ces analyses et leurs conclusions ne constituent-elles pas des «projections» de notre part et de la part de nos interlocuteurs israéliens et palestiniens?

D’une part, elles nous semblent trop enracinées et vérifiées dans les «faits accomplis» sur le terrain que pour pouvoir être globalement contestées. Beaucoup avant nous, ainsi que les personnalités rencontrées au cours de de notre voyage qui ont réfléchi avec nous, nous ont proposé leur diagnostic. Nos interlocuteurs israéliens critiques, très connus ou peu connus, peu importe, nous ont sans cesse montré une grande sensibilité aux enjeux profonds, une capacité d’analyse en largeur et en profondeur, une érudition à toute épreuve et un grand calme pour nous les partager.

D’autre part et surtout, en écho à ces logiques proposées, les autorités israéliennes – des simples fonctionnaires aux dirigeants les plus en vue – se gênent de moins en moins pour écrire et dire tout haut leurs objectifs, leurs projets. Les mécanismes qui animent le système, les objectifs poursuivis, et finalement le «projet» d’ensemble que la majorité des responsables israéliens cherche à réaliser, ce sont ces mêmes dirigeants qui les expriment le plus régulièrement, le plus clairement et le plus résolument possible. De Herzl à Ben Gourion, de Jabotinsky à Sharon, de Netanyahou à Libermann, tous ont dit et redisent à peu près avec les mêmes mots les mêmes projets: ceux qu’ils mettent en œuvrent, pas à pas, lentement, mais sûrement, fait accompli après fait accompli.

Le projet israélien sur Jérusalem en est un exemple frappant. Il se trouve dans le Schéma Directeur d’aménagement local de Jérusalem 2020, sorti pour la 1e fois en 2004. Ce Schéma directeur dessine en fait les politiques précises et concrètes d’aménagement des lieux et de l’espace en vue d’imposer pas à pas l’idée du «Grand Jérusalem».

La commande du Gouvernement israélien de l’époque a assigné deux objectifs clés aux planificateurs :

– mettre en œuvre des politiques urbaines qui assurent et confirment la place de Jérusalem comme capitale d’Israël et, dans cette optique, veiller strictement à une distribution «ethnique» de la population, qui atteigne d’ici 2020 la proportion de 70% de juifs et de 30% d’arabes. Objectif revu à la baisse suite à l’irréalisme de la proposition selon les planificateurs de l’époque, donc à 60% contre 40%;

– distribuer les quartiers de la ville avec comme objectifs de couper la Cisjordanie en deux, de couper ces deux parties de tout lien avec Jérusalem et de couper Jérusalem de Bethléem.

Ce n’est rien d’autre que nous avons vu de nos yeux à l’œuvre et qui nous a tellement choqué. Dominique Vidal en résume ainsi les moyens et les étapes, qui nous ont tellement frappés en cours de route et Ruth, la jeune israélienne nous l’a concrètement expliqué exemples et cartes à l’appui depuis les hauteurs du Mont des Oliviers:

– l’extension illégale des frontières de la municipalité;
– la colonisation de, dans et autour de Jérusalem, en trois anneaux successifs;
– la maîtrise totale de voies de communication;
– l’infiltration de la vieille ville du Bassin sacré;
– la judaïsation de Jérusalem, dans les symboles, les signes, les noms des rues, la rareté ou difficulté des permis de conduire et enfin;
– la politique globale de discrimination à l’égard des Palestiniens de Jérusalem-Est, qui ne sont pas réellement citoyens et auxquels le budget de la ville accorde une moyenne de 260€ pour 1190€ aux juifs.

Le mur synthétise et symbolise toute cette politique concernant Jérusalem: 180 km de mur autour de et dans Jérusalem. Menahem Klein nous explique: «Le mur est un outil que le gouvernement utilise pour contrôler Jérusalem et non pour assurer la sécurité des Israéliens».

Ces constats et ces analyses devraient naturellement nous porter au scepticisme sinon au découragement, surtout dans un contexte international où la Palestine n’est plus à l’agenda. Il y a, pourtant, des raisons d’espérer et des éléments à partir desquels construire avec d’autres des stratégies de changement à moyen et long termes.

Après avoir rencontré les associations et personnalités visitées, après discussion entre collègues de mission, en rappelant aussi ce qu’expriment et soutiennent le CPJPO et la coordination européenne des associations pour la Palestine (ECCP), nous attirons l’attention sur les éléments suivants:

– les populations civiles palestiniennes continuent de résister depuis plus de 60 ans (1948), sinon depuis plus d’un siècle (Déclaration Balfour de 1917); cela leur a été possible; elles nous semblent déterminées à le faire encore. Honte à nous si nous ne pouvons pas résister ici dans notre pays et en Europe!

– malgré leur petit nombre, des organisations et des personnalités israéliennes résistent avec les Palestiniens et avec nous, certaines depuis longtemps déjà, ainsi que des organisations juives de plus en plus nombreuses, en Europe, aux États-Unis, en Australie …: certaines d’entre elles prennent de gros risquent et le payent souvent cher, surtout avec le mouvement de répression qu’Israël est en train de mettre en place. Ce fut une chance pour nous de les rencontrer;

– les sociétés civiles européennes se mobilisent de plus en plus et mènent divers types de mobilisations et d’actions dont certaines commencent réellement à porter des fruits: l’une d’entre elle est le boycott de produits israéliens, l’autre est l’appel au désinvestissement d’entreprises impliquées dans l’occupation et la colonisation; leur succès grandissant trouve sa confirmation dans l’importance des moyens mis depuis un an ou deux à les contrer par les appareils israéliens de propagande et d’action à l’étranger, aussi dans notre petit Luxembourg;

– enfin, au niveau de l’Union européenne – non pas tant la commission, non pas tant les chefs d’État -, mais au niveau de parlementaires européens, de chez nous et d’ailleurs. En nombre croissant et avec des convictions renforcées, certains d’entre eux, parfois même de partis différents, s’allient pour dénoncer ou pour proposer, en cherchant à rallier de plus en plus de collègues.

Parce que nous savons que ce sera encore long et dur, c’est l’alliance entre ces 4 composantes qu’il nous faut soutenir et à laquelle il nous faut contribuer, chacun depuis notre lieu de vie, de travail et d’investissement.

Joanna FEYDER et Michel Legrand

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International

25-11-2016 Par

F T Y

Des missions économiques du Luxembourg en Israël très… politiques

Tout comme les coopérations académiques entre l'université de Luxembourg et les différentes universités israéliennes, les missions économiques du Grand-Duché en Israël sont toujours… très politiques

Lors de la conférence de presse organisée le 28 septembre dernier par le CPJPO pour commenter la mission économique en Israël du 1er Ministre luxembourgeois, et en dévoiler divers non-dits, nous avions insisté sur le contexte politique et économique israélo-palestinien totalement absent des rencontres et des échanges entre la délégation luxembourgeoise et les représentants de l’État et d’entreprises israéliennes. Et, dans notre précédente contribution à Goosch.lu, nous avons présenté et expliqué les liens entre l’Université du Luxembourg, des universités israéliennes et le secteur de la recherche militaire. Nous avons présenté à la fois les faits (la matérialité) des coopérations entre qui et qui, et dans quels cadres, et en avons établi les contradictions par rapport aux engagements et aux obligations qui incombaient aux États et à des institutions telles que l’Université, en vertu des Droits de l’homme et des autres formes du droit international concerné (aspects juridiques et éthiques). Le maintien et la poursuite de ces coopérations dans l’état actuel de l’occupation et de la colonisation israéliennes constituent indéniablement des formes de « complicité » avec la colonisation et l’occupation.

Passant au volet proprement économique, nous pensons important de repartir des faits et d’expliquer que, en ignorant la question des droits humains, du Droit international et des atteintes quotidiennes aux droits des Palestiniens, les missions économiques normalisent un État occupant et ont, de ce fait, un effet hautement politique : elles offrent en quelque sorte une prime à l’occupation, la soutiennent, en sont complices  et la légitiment.

Un secteur cyber déjà militarisé

Israël promeut son image d´innovateur dans le domaine des TIC et du Fintech, des secteurs à risque. Ces technologies sont souvent liées aux secteurs militaire et sécuritaire. En Israël en particulier, où l´armée est omniprésente notamment dans les universités et dans les centres de recherches, il est impossible d’ignorer les liens entre le complexe militaro-industriel et les milieux de la recherche scientifique et technologique.

La supériorité d’Israël tant vantée dans le secteur de la cyber-sécurité résulte directement de l´occupation militaire et de l’expertise gagnée lors des guerres à Gaza, devenu le laboratoire idéal pour ses expériences (voir le film documentaire israélien The Lab sur le business des armes). Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu le reconnait : “Today cyber is part of the battlefield”. Les connexions étroites entre l´armée, la recherche et l´industrie sont établies. D´ailleurs, on retrouve souvent d’anciens responsables militaires dans les entreprises IT.

JVP Cyber Labs

JVP Cyber Labs[i], l’une des entreprises rencontrées lors de la mission économique d’octobre 2016, constitue l’épicentre des innovations dans le domaine de la cyber-sécurité et dans des domaines proches ou liés. Un des représentants de JVP, Yoav Tzruya, a souligné la proximité de cette entreprise avec l´armée (IDF):

“The IDF has invested a lot over the last few years in cyber”… “Now it’s starting to find its way into the cyber civilian industry. We’ve seen a dramatic increase in cybersecurity companies….”

Preuve qu’il est impossible de tirer une frontière nette entre le secteur économique (notamment le secteur de la cyber-sécurité et de l´IT en général) et l´armée d´occupation.

Dimensions juridiques des relations économiques et commerciales: Les entreprises et les institutions luxembourgeoises sont concernées

Les relations économiques et commerciales des entreprises opèrent dans un cadre juridique à la fois international, européen et national; ignorer ces cadres risque de mettre les entreprises en situation de complicité.

Les entreprises et les institutions luxembourgeoises sont concernées d’abord quand les entités israéliennes partenaires se trouvent dans des colonies israéliennes (territoires palestiniens illégalement appropriés) et/ou rendent des services à des entités qui se trouvent dans ces colonies. Elles le sont parce que :

(1) les colonies sont illégales selon le Droit international (« crimes de guerre ») [ii] ;

(2) le soutien direct ou indirect à ces colonies est qualifié juridiquement de « complicité » avec ces pratiques et leurs auteurs[iii] ;

(3) l’Union européenne, à travers ses « Guidelines », a informé les entreprises qu’elles couraient de sérieux risques légaux, financiers et moraux si elles nouaient des relations avec de telles entités[iv];

(4) Le Luxembourg a lui-même publié des « avertissements aux entreprises » appliquant les Guidelines européennes (3.7.2014) [v].

Les entreprises et les institutions luxembourgeoises sont concernées aussi quand les entités en question, situées ou non dans les colonies israéliennes, commettent des actes, participent à ou soutiennent des pratiques contraires aux Droits de l’homme. Ce qui est le cas de nombreuses entreprises israéliennes, d’organisations, d’universités et, globalement du Gouvernement israélien. L’article 2 de l’Accord d’Association (AA) entre l’UE et Israël (année 2000) est très clair à ce sujet : il concerne le respect des Droits de l’homme et des principes démocratiques comme conditions de mise en œuvre, de suspension ou de suppression de l’AA[vi].

Deux cas d’entreprises particulièrement emblématiques…

… dans leur participation au système d’occupation et aux violations des droits humains.

Elbit Systems

Elbit Systems[vii] est parmi les plus gros fabricants, fournisseurs et exportateurs d’armes d’Israël. Elle est notamment impliquée dans la construction et la gestion du Mur et des check points et propose divers matériels militaires et services à l’armée israélienne – particulièrement ses drones – pour mener ses opérations en Cisjordanie et surtout à Gaza. Ses armes sont renommées, car testées sur les Palestiniens.

De plus, Elbit entre dans le nouveau programme européen de recherche (Horizon 2020) [viii], à travers le projet FLYSEC[ix]. Or, dans le cadre de ce projet, l’Université et l’aéroport de Luxembourg sont parties prenantes, avec Elbit. Tant l’Université que l’aéroport du Luxembourg sont donc en parfaite contradiction avec le droit et se font de la sorte complices de l’occupation et de la colonisation israéliennes.

D’ailleurs le Fonds de compensation au régime général de pension du Luxembourg a exclu en 2013, 9 entreprises israéliennes, dont la société Elbit Systems, car elle participe à la fourniture des systèmes de sécurité du mur de séparation illégal construit dans les Territoires occupés palestiniens[x].

G4S

G4S[xi], l’une des plus grandes compagnies de sécurité du monde, est impliquée dans les systèmes de sécurité des prisons et centres de détention où sont enfermés les prisonniers politiques palestiniens. Certains centres sécurisés par G4S sont renommés pour leur usage de la torture, y inclus celle des enfants.

Or, G4S est l’une des principales firmes assurant la sécurité de nombreux bâtiments publics et privés au Luxembourg : des ministères, des administrations communales, des centres culturels, la Cour de Justice de l’Union européenne.

Les entreprises (et les multinationales) et institutions israéliennes concernées violent directement le Droit international, la 4e Convention de Genève et les Droits de l’homme, et les entreprises luxembourgeoises, en coopérant directement ou indirectement avec elles, contribuent au maintien, au renforcement et à la normalisation de l‘occupation et de la colonisation. Elles deviennent « complices » au sens juridique de ce terme (selon l’avis de la CIJ).

Des considérations éthiques (RSE)

Au niveau mondial, l’ONU et certaines de ses instances ont émis des principes en vue de régler les activités économiques et commerciales des États et des entreprises et de faire respecter le Droit international humanitaire :

  • Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, mise en œuvre du cadre de référence «protéger, respecter et réparer» des Nations Unies[xii]
  • Le Global Compact et ses dix principes[xiii]

Des chartes européennes concrétisent les chartes onusiennes et des plateformes européennes ont été mises en place pour les entreprises qui ont choisi d’opérer en vertu de la responsabilité sociale.[xiv]. Le Luxembourg a lui-même créé sa propre « charte d’entreprises pour la responsabilité sociale et le développement durable »[xv].

Rappelons que les deux premiers des dix principes du Global Compact demandent aux entreprises de :

– soutenir et respecter la protection des Droits de l’homme dans la sphère de leur influence;

– s’assurer que leurs propres sociétés ne soient pas complices d’abus de Droits de l’homme.

Le ministère de l’Économie et les entreprises luxembourgeoises ne feraient-ils plus cas de la RSE quand il s’agit d’Israël et de la Palestine ?

Des propositions, des pistes

Il est de la mission et de la responsabilité des organisations de la société civile d’informer les autorités et le monde économique des risques qu’elles encourent de se voir un jour reprocher leur complicité dans l’occupation de la Palestine et les violations des Droits humains qui l’accompagnent.

Avec d’autres acteurs ici au Luxembourg, nous proposons une approche constructive en vue d’éviter au moins les partenariats les plus à risque.

Il appartient au gouvernement de prendre ses responsabilités pour les partenariats israéliens auxquels il n’est pas prêt à renoncer ou pour lesquels il n’estime pas nécessaire de protéger les entreprises luxembourgeoises.

Par ailleurs, dans sa réponse à une question parlementaire de 2010 portant sur les missions économiques du gouvernement en Israël, le ministre de l’Économie de l’époque, Jeannot Krecké, précisait : « Il est dans l’intérêt aussi bien de l’Union européenne que du Grand-Duché de Luxembourg de créer une égalité de traitement entre l’Etat d’Israël et les territoires palestiniens pour y contribuer à la croissance économique et à la création d’emplois qui fait cruellement défaut en l’absence actuelle d’investissements étrangers de taille » . A notre connaissance, aucune mission économique n’a jamais eu lieu en Palestine pour y contribuer à la croissance économique. Peut-on espérer une telle initiative avant la fin de la législature ?

 

Notes:

 

[i]                       Voir http://www.jvpvc.com/cyberlabs.
[ii]                      Déclaration des Droits de l’Homme, 4e Convention de Genève, et, surtout, l’avis de la CIJ le 8 juillet 2004 et la résolution correspondante de l’ONU, n° 4ES 10-15, du 20 juillet 2004. (http://www.icj-cij.org/docket/files/131/1671.pdf ) et la résolution correspondante de l’ONU, n° 4ES 10-15, du 20 juillet 2004 (http://www.un.org/press/fr/2004/AG1488.doc.htm ).
[iii]                     Idem, Avis de la CIJ.
[iv]      Guidelines on the eligibility of Israeli entities and their activities in the territories occupied by Israel since June 1967 for grants, prizes and financial instruments funded by the EU from 2014 onwards :http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:C:2013:205:0009:0011:EN:PDF.

[v]                     Communiqué : « Messages communs visant à sensibiliser les entreprises et les citoyens de l’UE par rapport à la participation à des activités économiques et financières dans les colonies israéliennes ». Publié le 03.07.2014 (http://www.gouvernement.lu/3827655/03-activites-eco-colonies-israeliennes).
[vi]                    Euro-mediterranean  Agreement establishing an association between the European Communities and their Member States, of the one part, and the State of Israel, of the other part: http://eeas.europa.eu/archives/delegations/israel/documents/eu_israel/asso_agree_en.pdf. On lira surtout
l’article 2 : « Relations between the Parties, as well as all the provisions of the Agreement itself, shall be based on respect for human rights and democratic principles, which guides their internal and international policy and constitutes an essential element of this Agreement ».

[vii]
Voir : http://elbitsystems.com/.

[viii]
Programme de recherche européen Horizon 2020 : http://cordis.europa.eu/programme/rcn/664463_en.html.

[ix]
Le projet FLYSEC (avec Elbit Systems, Aéroport et Université du Luxembourg, etc.) constitue l‘un parmi de multiples projets au sein du programme Horizon 2020. Pour le projet, se reporter à : http://cordis.europa.eu/project/rcn/194906_en.html. L’Université du Luxemburg en est l’une des parties prenantes; on en trouve donc la référence sur le site de l’Université : http://wwwen.uni.lu/research/fstc/computer_science_and_communications_research_unit/research_projects/fly_faster_through_an_innovative_and_robust_risk_based_security_tunnel.

[x]
Liste d’exclusion d’entreprises contrevenant aux critères du FDC : Elbit Systems, page 3, entreprise n° 21, mai 2013 : http://www.fdc.lu/fileadmin/file/fdc/Strategie/Liste_d_exclusion20150515.pdf.

[xi]
Exposition de l’industrie d’occupation israélienne – G4S, par l’organisation israélienne WhoProfits : Voir : http://www.whoprofits.org/company/g4s-israel-hashmira. Et Securing Injustice: Legal Analysis ofG4S Israel Operationsin Occupied Palestinian Territory, par Diakonia International Humanitarian Law Resource Centre, November 2013 : http://www.diakonia.se/globalassets/documents/ihl/ihl-resources-center/securing-injustice-legal-analysis-of-g4s-operations-in-occupied-palestinian-territory.pdf.

[xii]
Lien : http://www.ohchr.org/Documents/Publications/GuidingPrinciplesBusinessHR_FR.pdf.

[xiii]
Lien : https://www.unglobalcompact.org/ et, pour les dix principes  https://www.unglobalcompact.org/what-is-gc/mission/principles).

[xiv]
ESBG Charter for responsible business, Bruxelles, mai 2008 (http://www.savings-banks.com/About-us ) et Savings and Retail Banking Dialogue with European Parliament Strasbourg, 11 May 2016 Positions, par la ESGB ; p. 14 : Corporate Social Responsibility (http://www.savings-banks.com/SiteCollectionDocuments/0330%20-%20ESBG%20Positions.11.May.2016.pdf).

[xv]
Voir : http://www.interlycees.lu/site/wp-content/uploads/2007/11/charte-rse-dd-201006-texte-3p.pdf

cpjpo1cpjpo-2

L’Université du Luxembourg et ses liens avec les universités israéliennes

un exemple d’incohérence des politiques du Grand-Duché de Luxembourg

un exemple d’incohérence des politiques du Grand-Duché de Luxembourg

Le 12 septembre dernier, l´Université du Luxembourg et l´Université hébraïque de Jérusalem ont signé une convention de collaboration et d’échanges, à l’occasion de la visite de Xavier Bettel, Premier ministre, en Israël et, accessoirement, en Palestine. Le Comité pour une Paix Juste au Proche-Orient (CPJPO) a tenu à clarifier les enjeux cachés de cette visite et de cette collaboration interuniversitaire. Il a aussi fait des propositions aux autorités luxembourgeoises ainsi qu’à l’Université pour rapprocher celles-ci de la cohérence qu’elles prétendent montrer dans les dossiers concernés.

Trois enjeux non dits lors d’une visite elle-même problématique

Premier non dit: une université qui dit avoir des «principes» et une «éthique» peut-elle coopérer avec une autre université qui est directement liée à l’armée israélienne, qui forme ses soldats, mène des recherches sur les armes, la sécurité et les machines de guerre (entre autres les drones) – tous «testés» sur les Palestiniens de Cisjordanie et, plus encore sur les populations «prisonnières» de Gaza?

Autre non dit: l’Université du Luxembourg peut-elle, sans complicité avec l’occupation et la colonisation, coopérer avec une université dont une partie des locaux est située sur des terres palestiniennes volées? Cette appropriation de terres des populations occupées est contraire à la 4e Convention de Genève, dénoncée par le Droit international, par l’Union européenne et le gouvernement luxembourgeois lui-même («la colonisation est l‘un des obstacles majeurs à la paix» a dit et répété, au nom du Gouvernement, le Ministre luxembourgeois des Affaires étrangères).

Troisième non dit : le déséquilibre regrettable entre une visite de 2 jours en Israël et une visite de quelques heures en Palestine: un alibi? en tous cas, pas un mot, pas un geste sur des projets de coopération universitaire avec la Palestine alors que les besoins en termes d’échanges et de coopérations inter-universitaires sont particulièrement importants en Palestine occupée.

Pour rappel, en 2015, le CPJPO avait envoyé un courrier et avait rencontré des responsables de l´Université du Luxembourg afin de les informer sur les liens qu´entretiennent les universités israéliennes – dont plusieurs sont partenaires de l´Université du Luxembourg – avec l´armée d’occupation israélienne régulièrement responsable de violations des droits humains et du droit international, soupçonnée par beaucoup d’instances de «crimes de guerres» sinon de «crimes contre l’humanité».

En effet, en Israël, les travaux de la plupart des Universités sont largement utilisés par, voire imbriqués dans, la recherche militaire, dont les résultats et les innovations qui en résultent sont testés sur les populations palestiniennes sous occupation. C’est d’ailleurs l’un des critères de «qualités» mis en exergue par les responsables israéliens pour vanter les avantages de leurs armes lors des grandes foires annuelles sur l’armement. Rien que de ce point de vue, tout partenariat académique avec de telles universités se trouve entaché du soupçon de «complicité» avec l‘occupation et la colonisation.

Des partenariats risqués

En 2015, des partenariats étaient en cours entre l‘université du Luxembourg et huit universités israéliennes, dont certains sont particulièrement problématiques pour les raisons essentielles suivantes :

L´Université hébraïque de Jérusalem

– Une partie du campus universitaire se trouve sur le territoire palestinien occupé.
– Des liens institutionnalisés avec l´armée israélienne. L´université chapeaute des collèges militaires israéliens et assure la formation des soldats israéliens en sciences et technologies. De plus, elle abrite une base militaire sur son territoire.
– L’Université hébraïque dissuade les étudiants internationaux de visiter Jérusalem-Est.
– Il existe une discrimination institutionnalisée à l’égard des étudiants arabes (voir le rapport de Human Rights Watch).

Le Technion Institute of Technology

– Cet institut collabore directement avec l´entreprise d´armement et de technologie militaire Elbit Systems, l‘une des plus grandes firmes israéliennes de production et de commercialisation d’engins et de technologies militaires et à usages militaires.
– Les résultats des recherches et les technologies mis au point par Elbit sont souvent utilisées et testées sur la population palestinienne enfermée et sous contrôle militaire. Ainsi les bulldozers téléguidés ont été utilisés à Gaza pour détruire des infrastructures essentielles à la simple survie de la population assiégée; de même les drones fabriqués par Elbit ont été largement utilisés lors des derniers bombardements sur Gaza en 2014.

L’Université de Haïfa

– Le guide officiel pour étudiants internationaux les décourage de visiter les villages palestiniens.
– Une base militaire se situe sur son campus.
– Ici aussi, il existe une discrimination systématique et institutionnalisée des étudiants arabes (voir le rapport de Human Rights Watch).

L’université «ne fait pas de politique»!

Comme très souvent, les responsables de l´université prétendent «ne pas faire de politique» ni pratiquer de sectarisme, car l´Université développe aussi de nombreux partenariats avec des universités arabes. Il est évident que le problème ne se situe pas là mais dans le fait que les universités israéliennes sont largement utilisées par la politique et pour des buts politiques – le maintien du contrôle d´une population, sinon le nettoyage ethnique de celle-ci. Par ailleurs, point de coopération évoquée avec les universités palestiniennes.

L´Université du Luxembourg a affirmé que huit partenariats académiques – qui s’inscrivent dans le cadre du programme européen Erasmus Mundus – sont toujours en cours mais expireraient au printemps. Quant à eux, les partenariats avec l´Université hébraïque de Jérusalem et l´université Ben Gourion se poursuivraient.

Voisinage étonnant avec le secteur militaro-industriel israélien

Dans le cadre du nouveau programme européen de recherche «Horizon 2020», l’université du Luxembourg constitue, avec l’aéroport de Luxembourg, l’une des parties prenantes dans le projet Flysec. L’un des buts de ce projet est de développer des systèmes de technologies complexes pour la sécurité des aéroports. Dans le cadre de ce projet, l’université et l’aéroport coopèrent avec la plus grande entreprise israélienne de technologie militaire et d´armement déjà citée plus haut, Elbit. L´objectif du projet est poursuivi à travers le « partage d´expériences et d´expertises de la part des industries, entreprises, recherches et monde académique ». L´expertise et l´expérience d’Elbit sont ainsi partagées et mises au profit de ses partenaires alors que celles-ci concernent entre autres les systèmes de surveillance et de contrôle autour du Mur illégal construit sur les terres palestiniennes, autour des check-points, des routes réservées aux colons et de la protection des colonies israéliennes.

Rappelons-nous: il y a quelques mois, après les attentats de Paris puis de Bruxelles, le gouvernement israélien a, à diverses reprises, offerts ses «bons et loyaux services» aux gouvernements concernés pour les aider de ses avancées technologiques dans leur lutte contre le terrorisme international (amalgamé ici avec les Palestiniens et les résistances légitimes du peuple palestinien). Le cynisme est fréquent en Israël. Le deviendrait-il aussi chez nous?

Or, cette coopération pose plusieurs problèmes :

– Il existe des risques importants que même les résultats de recherches civiles soient utilisés et détournés à des fins militaires par l’entreprise militaire Elbit.
– Nous voyons un réel cynisme dans ces pratiques de coopération avec Elbit de la part de l´UE et en particulier du Luxembourg, de l´Université et de la société de l´aéroport qui les conduisent à bénéficier de technologies et du know-how de cette entreprise, directement active dans de multiples atteintes au Droit international et aux Droits humains et qui, de la sorte, légitiment ces atteintes et s’en montrent complices.
– Or les États membres de l’ONU, l’UE, ses États membres et les institutions y relatives, telles que l’université, sont dans l’obligation en vertu du droit international (arrêt de la Cour internationale de Justice de juillet 2004) de ne pas prêter aide ou assistance au maintien d’une situation illégale? Il nous paraît donc évident que les uns comme les autres violent cette obligation, sont complices de cette situation illégale et sont en totale incohérence avec leurs propres déclarations.

Un exemple a contrario: les choix du Fonds luxembourgeois de Compensation (FDC)

Cela fait plusieurs années que le FDC a exclu de l’accès à ses fonds les entreprises qui contreviennent au Droit international et aux Droits humains. La dernière liste d’exclusions (2013) comprend ainsi 61 entreprises du monde entier, dont 8 entreprises israéliennes: les principales banques israéliennes, mais aussi la société Elbit. Motif: Elbit participe à la construction du mur («Association to providing security systems for illegal separation barrier on occupied territories (State of Palestine»).

Le FDC a été accusé de «boycotter» l’État d’Israël! Être en accord avec ses principes et critères éthiques constitue-t-il un «boycott»? Le FDC «boycotterait-il» donc 61 entreprises originaires de pays très différents du monde entier? Pourquoi dit-on qu’il s’agirait-il d’un «boycott» dans le cas israélien et pas dans les autres ? Pourquoi Israël ferait-il à nouveau exception?

Et surtout pourquoi une institution aussi importante dans la vie économique du Luxembourg telle que le FDC n’est-elle pas davantage imitée par plusieurs Ministères largement impliqués dans les coopérations avec l’État d’Israël, certaines de ses institutions et de ses entreprises (Ministère du Commerce, de l’Économie, du Tourisme, de la Recherche, …)? Business is business, n’est-ce pas!

Mais alors aussi: l’incohérence est incohérence! Assumons-le clairement, sans fausses explications et sans échappatoire. En 2012 déjà, Déi Lénk avait posé une question parlementaire au Ministre de l’économie de l’époque, Jeannot Krecké, concernant les diverses ambiguïtés des coopérations économiques et commerciales avec l‘État d’Israël et certaines de ses entités. Ces questions sont restées sans véritables réponses à ce jour, du moins dans la pratique. C’était d’ailleurs l’un des objectifs de la conférence de presse organisée par le CPJPO que de reposer ces questions, de ré-énoncer les interpellations qui en découlaient et de refaire des propositions en vue de remédier à cet état permanent d’incohérence. D’autant plus grave aujourd’hui que les autorités sont informées de ces incohérences et de leur impact sur la poursuite et l‘aggravation de la situation des Palestiniens.

De nombreux exemples a contrario résultent des pressions des sociétés civiles via la campagne BDS (Boycott – Désinvestissement – Sanctions)

C’est surtout dans le cadre du «boycott académique» et du «désinvestissement» que l’on trouvera de nombreux exemples d’institutions qui, à l’instar du FDC luxembourgeois, ont pris leurs responsabilités et assumé leurs obligations selon le Droit international. Le boycott académique fait partie de la campagne «Boycott – Désinvestissement – Sanctions». Il fait peur à beaucoup, parce que, dans le cas présent, il s’agit d’Israël. Mais, en fait, on comprend généralement très mal le boycott académique: il consiste à ne pas nouer de relations avec des universités et des institutions de recherche qui participent à l´industrie de l´occupation voire qui relayent l´apartheid sur leur terrain universitaire. Il s´agit de contrer l´entreprise de «normalisation» que met en œuvre l´État d´Israël. Le boycott ne vise pas des personnes, mais les liens institutionnels avec l´État israélien, son armée, ses institutions dans la mesure et aussi longtemps qu’ils poursuivent leurs politiques d’occupation, de colonisation et de normalisation de ces politiques.

On ne citera que les quelques exemples suivants parmi les milliers de cas recensés depuis 2005 (appel de la société palestinienne). Des associations académiques prestigieuses comme l’American Studies Association ou la Teachers Union of Ireland adhèrent officiellement au boycott académique. Des milliers d´universitaires d´Afrique du Sud, des États-Unis d´Amérique, du Royaume-Uni, de Suède, d´Irlande, de Belgique et d´ailleurs ont signé des déclarations en soutien au boycott académique pour les raisons et dans les limites évoquées ci-dessus.

Que le Luxembourg devienne cohérent avec ses politiques déclarées, c’est possible! Tout dépend de sa «volonté politique»!

Le CPJPO a terminé sa conférence de presse par l’appel suivant aux autorités luxembourgeoises ainsi qu’à l’Université du Luxembourg. Je le reprends ici intégralement au titre de conclusion de ma contribution:

Nous appelons … le gouvernement luxembourgeois à cesser au Luxembourg sa coopération avec des entreprises qui profitent de l’occupation, telles que G4S, ou qui sont actives dans l’armement, telles que Elbit; nous l’appelons à conditionner sa coopération économique et commerciale avec Israël au respect des droits de l’homme, à suspendre la participation de l’Université du Luxembourg au projet Flysec et à évaluer les accords de celle-ci avec les universités israéliennes au regard des implications directes et indirectes de celles-ci dans l’occupation.

A défaut, nous risquons, dans 70 ans, de devoir présenter à la Palestine nos excuses pour notre complicité d’aujourd’hui dans son occupation et ses souffrances.

Et moi-même de terminer avec le slogan qui animera la campagne organisée en 2017 par la Coordination européenne des Comités et Associations pour la Palestine (ECCP):

«100 ans depuis la Déclaration Balfour,
70 ans depuis la Naqba,
50 ans d’occupation et de colonisation,
c’est ASSEZ!»