Belgique : syndicalisme décomplexé
Depuis quelques mois, les travailleurs belges retrouvent le chemin de la lutte. Grèves et manifestations de masse se sont succédé à un rythme soutenu ces dernières semaines. Et un plan d’actions jusqu’à l’automne est déjà établi.
L’an dernier pourtant, les syndicats avaient été victime d’un virulent bashing de la part des médias et de la classe politique, notamment suite à quelques actions spontanées, comme le blocage d’une autoroute durant quelques heures. Ils se sont retrouvés sur la défensive, en s’excusant presque de déranger chaque fois qu’ils organisaient une action.
De son côté, la droite au gouvernement multipliait les attaques et les propositions visant à limiter le droit de grève et à museler les syndicats. Le spectacle désolant d’une droite qui cogne dur et de syndicalistes KO debout était difficile à supporter pour tous ceux qui ont une vague conscience de classe et qui savent que tous les droits sociaux dont ils bénéficient ont été arrachés de haute lutte, avec les syndicats.
Aucune victoire n’est éternelle… mais aucune défaite non plus. Et donc quelques mois plus tard, les syndicats belges sont remontés sur le ring avec l’esprit combatif qu’on attend d’eux.
On aurait pu craindre que les dramatiques attentats terroristes de Paris et Bruxelles n’obligent les travailleurs à remettre la lutte des classes aux calendes grecques, comme l’aurait souhaité le gouvernement, dont les gesticulations martiales masquaient difficilement l’incapacité totale à assurer la sécurité des citoyens. C’est exactement le contraire qui s’est produit.
Comment? Plusieurs éléments ont poussé les syndicats et leurs affiliés à l’action.
1. Le gouvernement n’a pas mis l’austérité en veilleuse suite aux attentats. Que du contraire, des mesures comparables à la réforme du code du travail français ont été mises sur la table.
2. Sur le plan sécuritaire, il est apparu que les syndicats avaient alerté les autorités sur des failles graves au niveau de la sécurité de l’aéroport national… Et que les autorités n’ont rien fait pour améliorer la situation. Même si personne n’oserait prétendre que les attentats auraient pu être évités si des mesures de sécurité avaient été prises à Zaventem, l’inaction du gouvernement a été très mal perçue. D’autant plus que d’autres manquements et incompétences avaient fait surface, entraînant notamment la démission de la ministre de la (im)mobilité.
3. Un mouvement de grève a touché une grande partie des prisons du royaume, qui souffrent depuis de nombreuses années de la surpopulation carcérale et du manque de moyens, notamment humains. Le mouvement de grogne a également gagné la magistrature, dont le sous-financement est flagrant, avec des conséquences tragiques pour les justiciables. Le 1er magistrat du pays est même sorti de sa réserve et n’a pas hésité à traiter la Belgique d’”État voyou”!
Un État voyou qui continue pourtant à taper sur les plus faibles: chômeurs, malades de longue durée, salariés sommés de travailler plus pour gagner moins.
D’un côté une incapacité à assurer la protection des citoyens, le fonctionnement de la Justice et des services publics d’une manière générale. De l’autre côté, une ferveur et une efficacité redoutable pour rendre la vie plus dure à ceux qui travaillent déjà dur ou qui n’ont même pas la « chance » d’avoir un emploi. C’est sans doute ce contraste qui a mis le feu aux poudres de la contestation et qui a fait perdre aux syndicats une bonne partie de leurs complexes.
L’impopularité du gouvernement belge de droite atteint des sommets et certaines centrales syndicales n’ont pas hésité à exiger son départ. La coalition bancale et déséquilibrée sur le plan linguistique (seuls 20% des électeurs francophones sont représentés) est pourtant toujours en place. Le surréalisme belge n’est pas une légende…
Le fait est que la division de la Belgique en deux communautés (plus les germanophones, ce qui en fait trois) ne simplifie pas les choses au niveau du mouvement syndical. Le pouvoir joue habilement la division en calmant les uns, alors que les autres sont à la pointe du combat. Par ailleurs, les traditions syndicales sont différentes d’un coté de la frontière linguistique à l’autre, même si ces différences sont passablement amplifiées par les médias dominants.
Toujours est-il que les syndicats belges ont parfois du mal à parler d’une même voix et à rendre leurs actions et revendications cohérentes et intelligibles pour tous. Le syndicalisme de combat est bel et bien de retour. Mais une stratégie résolue et unitaire fait encore un peu défaut. Pourtant, la situation évolue rapidement et l’attitude du gouvernement, qui vise purement et simplement à liquider le modèle de concertation sociale à la belge, pousse les syndicalistes les plus dociles sur le chemin de la lutte.
Les travailleurs en lutte ont également besoin de relais politiques. Et pour l’instant, ils sont un peu en manque. Le Parti du Travail de Belgique (PTB) est bien présent dans toutes les manifestations et intervient régulièrement au parlement pour soutenir leurs revendications. Mais étrangement, il ne réclame pas le départ du gouvernement. Il lui demande simplement de revoir sa copie. Cette “timidité” est difficile à comprendre. S’agirait-il d’un calcul politique en vue d’une alliance avec le Parti Socialiste (PS) après les prochaines élections?
A gauche toujours, le Parti Socialiste de Lutte (PSL) qui n’a ni l’envergure ni la représentation parlementaire du PTB, est présent dans les luttes et anime, avec ses modestes moyens, un débat sur l’élaboration du plan d’action et la stratégie à développer. Une chose est sûre: le match n’est pas terminé, et on s’attend à jouer les prolongations.
Article publié par Léon Gaki