Die Artikel von: mario
Le travailleur en télétravail
Le confinement résultant de la pandémie du coronavirus a porté au premier plan le débat sur le télétravail. Tous les secteurs de la société sont, il semble, favorables à ce que la possibilité de travailler à la distance puisse être élargie de façon considérable, voir universelle et même permanente. Or, une universalisation (ou presque), surtout en permanence (ou presque), du télétravail pose plusieurs questions : dématérialisation du lieu de travail, creusement de la fosse toujours existante entre employeurs et ouvriers, et risques d’abandon de la perspective universelle de certains services publiques.
Dématérialisation du lieu de travail
La dématérialisation du lieu de travail apporte deux conséquences immédiates à la fois dans le champ des relations de travail et des mécanismes de concentration de capital.
Le contact social directe est nécessaire pour permettre aux travailleurs d’une même société de se rendre compte, de façon collective, des problèmes de travail. Si un groupe de collègues existant devenues sépares physiquement par le télétravail peut toujours arriver à garder une liaison sociale, le même n’est pas vrai pour les nouveaux arrivés à un « local de travail » – ceux-ci se trouveront isolés et sans capacité collective de prise de conscience et d’action postérieure face à des problèmes parvenus en fonction de leur situation de travailleur. Le télétravail va augmenter l’isolation et, donc, la fragilité de chaque travailleur face au patronat.
Sans un lieu de travail, et dans un modèle économique où les frais fixes ont un poids considérable dans leur comptabilité, les entreprises iront voir, pour un même travail produit, une augmentation significative dans sa marge de profit. Ceci se fait aussi en vertu d’une réduction de services achetés pour le fonctionnement/manutention des lieux de travail. Cette réduction a une conséquence directe dans la quantité de travail, et par la suite dans les travailleurs, fourni par les prestataires de services impactant négativement l’ensemble de la masse salariale. Une masse salariale plus basse engendre une augmentation de la concentration du capital.
Creusement de la fosse toujours existante entre employeurs et ouvriers
Les conditions de travail parmi la classe salariée sont déjà assez diverses. Due à sa nature, une grande partie des salariés ne peuvent pas faire leur travail à partir de la maison. Ils doivent se rendre à leur local de travail, voire plusieurs locaux de travail. Pour ces travailleurs les journées seront forcément plus longues, éloignés davantage de leur foyer et leur famille, y compris les enfants scolarisés.
L’avancement du télétravail va exposer d’avantage ces différences. Certains, déjà avec des emplois normalement mieux payés, auront le temps de suivre les activités scolaires de leurs enfants et de s’en occuper avec des activités extracurriculaires. Tandis que pour les autres, il continuerait d’avoir des journées avec des amplitudes, entre la sortie de la maison tôt le matin et le retour le soir, de 10, 12, voir même 14 heures ou plus (tel est le cas de pas mal de travailleurs des secteurs du nettoyage et des transports). Pour ceux-ci, il ne reste qu’à déposer leurs enfants à la maison relais et, pratiquement, ne les voir qu’à la fin de semaine sans avoir vraiment l’occasion de se renseigner et d’accompagner leur parcours scolaire et les difficultés qui peuvent y parvenir.
Cette situation aura comme résultat de renforcer les inégalités entre classes économiques et, par conséquence, sociales. L’héritage de la condition sociale sera davantage aggravé, condamnant les enfants de classes plus basses à une plus grande probabilité d’échec scolaire et, plus tard dans leur vie professionnelle, économique.
Risques d’abandon de la perspective universelle de certains services publiques
Avec la diminution de personnes en besoin de certains services publiques (transports, maison relais, etc.) le comportement naturel du marché (cette entité mythologique qui semble avoir une vie et volonté propre) sera de réduire l’offre. Cette réduction aggravera encore plus les difficultés qu’ont une partie des travailleurs de se déplacer. Si, par exemple, pas mal de zones où les emplois existent sont déjà insuffisamment desservies par des transports publics, la perspective est que le service se détériorera.
Plus besoin de 4 trains par heure dans la ligne Pétange – Esch-sur-Alzette – Gare Centrale si la quantité d’utilisateurs diminue. De la même façon, la réduction du nombre d’enfants ayant besoin des services de garderie proportionnées par les maisons relais va entamer une réduction dans les maisons relais disponibles pour un horaire allongé. Pour les travailleurs pour qui le télétravail n’est pas une option la vie deviendra de plus en plus difficile, l’accès au fameux ascenseur social de plus en plus difficile.
Il n’y a pas beaucoup des raisons, s’il y en a, pour que la gauche puisse se réjouir d’une extension, tout-court, de la possibilité de télétravail élargie sur simple demande. Il y a une raison présentée comme la grande raison : le confort de ceux passible de l’usufruit de cet élargissement du télétravail – l’avantage individuel face au collectif, brisant encore plus le tissue social à la bonne façon néolibérale.
Mario Lobo 09/06/2020
L’étranger
Intro :
Ne me dis pas que tu ne me comprends pas
quand les jours tournent au vinaigre
ne me dis pas que tu ne t’es jamais senti
une force se développer sur tes doigts
et la colère monte entre tes dents
Ne me dis pas que tu ne me comprends pas
Il était fin avril 1971 quand Sérgio Godinho enregistrait son premier album. Exilé en France pour échapper à l’anachronique guerre coloniale que la dictature portugaise menait en Afrique, le chanteur portugais jouissait de la compagnie des milliers de portugais eux aussi rechapés du régime fasciste mené par Marcello Caetano, héritier de António Salazar.
Nous pourrions dire que la première chanson de ce disque était écrite pour le Luxembourg d’aujourd’hui. Elle démarre comme ça :
Je t’ai vu travailler la journée entière
en train de bâtir les villes pour les autres
ramasser des pierres, gaspillant
trop de force pour si peu d’argent
je t’ai vu travailler la journée entière
trop de force pour si peu d’argent
C’est celle-ci la vie dans le secteur du bâtiment et de l’artisanat. Un secteur qui en 2018 était, selon la Chambre des Métiers, constitué 85% d’étrangers. Plus que la moitié de cette masse humaine habite au-delà des frontières du pays. C’est-à-dire que moins d’un sur 6 travailleurs de ce secteur a le droit de vote. Donc, le pouvoir d’influencer les choix des politiciens qui font les règles qu’ils sont obligés à suivre dans leur travail.
Parmi ces règles il y a celle communiqué par M. le premier ministre dans sa conférence de presse conjointe avec la ministre de la santé du 14 avril. Avec la solennité demandée par le moment, le chef de gouvernement communique au pays – dans sa langue native, comme il l’a fait depuis le début de cette crise : soigneusement et exclusivement dans sa langue native – que le secteur du bâtiment et de l’artisanat allait redémarrer l’activité dès lundi 20 avril.
Mais Sérgio continue :
Quelle force est celle-là
que t’as dans tes bras
qui ne te sert qu’à obéir
quelle force est celle-là, ami
que tu mets de bien avec les autres
et de mal avec toi-même
Des travailleurs du secteur, 34% sont des étrangers résidents et un peu plus qu’un sur deux, 51%, sont des frontaliers. La moitié de ces frontaliers réside en France, et l’autre moitié en Allemagne et en Belgique – un peu plus en Allemagne. Il est crédible de dire que 75% de ces travailleurs ne parlent pas la langue de Dicks et Rodange. Et même considérant cette réalité, le premier ministre n’a prononcé même pas un mot dans une langue compréhensible par ceux-ci, ces presque 70.000 travailleurs (chiffres 2018).
La situation de la pandémie du coronavirus chez nos voisins belges semble bien incontrôlable. La Belgique présente à ce moment une moyenne journalière sur les derniers 7 jours (8 à 14 avril) de 27.1 décès par million d’habitants liés au coronavirus. L’Italie et l’Espagne dans leurs pires moments enregistraient, respectivement, 13.6 (pour le 3 avril) et 18.5 (5 avril) – la Belgique a donc, en ce moment, pratiquement autant de décès par habitant que l’Espagne et l’Italie ensemble dans leurs pires moments.
Lors de la même conférence de presse du premier ministre, un journaliste du Tageblatt demandait s’il était prévu d’au moins mesurer la température des travailleurs avant le travail. Mme la ministre répondait qu’« il suffit qu’on prenne un paracétamol le matin pour une autre raison que ceci puisse donner des fausses indications ». Il serait, donc, suffisant qu’un travailler dissimule – même s’il ne le fait pas avec l’intention de tricher – ses symptômes pour rendre inefficace toute une stratégie. Cette stratégie de mesurer systématiquement la température continue pourtant d’être utilisé dans des pays de l’extrême orient qui semblent bien maitriser la situation. Les travailleurs ont peur, comme tout le monde. Ils sont obligés à se présenter au travail. Il n’y a pas de télétravail pour le bâtiment.
Ne me dis pas que tu ne me comprends pas
quand les jours tournent au vinaigre
ne me dis pas que tu ne t’es jamais senti
une force se développer sur tes doigts
et la colère monte entre tes dents
Ne me dis pas que tu ne me comprends pas
Nous obligeons des travailleurs avec des bas salaires à se présenter pour nourrir un business dont les prix de vente ont augmenté de 11% entre 2018 et 2019. Un « Guide de préconisations de sécurité sanitaire » qui fera sa parution bientôt détermine qu’un travailleur « qui vit dans le même foyer qu’une personne testée positive au Covid-19 doit se mettre en auto-quarantaine à domicile pendant 7 jours » sans donner des précisions sur la rémunération. Mais même si cette quarantaine serait considérée comme un arrêt maladie, il faudrait bien considérer la perte salariale en suivant et l’impact sur, voir la perte totale de, la prime de fin d’année. Aucun dépistage régulier de symptômes n’est prévu dans ce guide.
J’espère vraiment que cette décision, dont nous avons déjà compris qu’elle était prise un peu à l’aveugle – peut-être sous pression du secteur multimillionnaire de la construction – soit bien pondérée et non pas seulement une manière d’utiliser les étrangers comme cochons d’Inde pour des expérimentations de contamination.
Les Travailleurs du Luxembourg méritent plus.
Les Étrangers du Luxembourg méritent autant.
Mário LOBO 16/04/2020
(Membre élu du Conseil National pour Étrangers)