Burkini : psychodrame sous le soleil
Même si vous étiez en vacances sur une île déserte, vous n’avez pas pu échapper au mauvais feuilleton de l’été: l’affaire du Burkini.
Petit rappel des faits: quelques femmes ont eu l’idée d’aller se baigner sur les plages françaises avec une tenue couvrant une bonne partie de leur corps, dénommée “burkini”. Rien d’extraordinaire jusqu’ici. Sauf que, quelques maires se sont mis à faire des vagues énormes en voyant derrière ces tenues la manoeuvre sournoise d’un Islam conquérant et oppresseur. Un nouveau péril venu du large risquait, tel un tsunami, d’engloutir les droits des femmes et les valeurs démocratiques. La République était en danger. Aux armes, citoyens…
Médusés, nous nous sommes pincés plusieurs fois pour être sûrs que nous n’étions pas en train de faire un mauvais rêve. Non, c’était bien réel. Le débat faisait rage sur toutes les chaînes et dans tous les journaux: “Pour ou contre le Burkini”. C’était LA question du moment. Aucune autre n’avait plus d’importance. Oubliés le chômage, la croissance en panne, la Loi Travail… Le Burkini était devenu la question existentielle sur laquelle il fallait trancher.
Et quelques maires ont franchi le pas, en prononçant l’interdiction du burkini sur leurs plages, avec le soutien du Premier ministre Manuel Valls, dans sa posture favorite, celle du chevalier sans peur et sans reproche, au secours de la sacro-sainte laïcité.
Car oui, selon eux le burkini était contraire à la laïcité, en plus, il constituait une “atteinte aux droits des femmes”. Ce furent les 2 arguments les plus utilisés, mais il faut souligner qu’il y en eut beaucoup d’autres, notamment liés à “l’hygiène” sur les plages, “l’ordre public” ou autres fumisteries qui posent des questions quant aux motivations réelles de la polémique, et accessoirement quant à la santé mentale des maires les plus agités.
Durant plusieurs semaines, le débat secoua la classe politique française et les médias, dont beaucoup surfaient sur l’émotion consécutive aux attentats de Nice pour justifier une politique de rejet de toute manifestation visible d’un Islam réputé “radical” ou simplement “politique”. Quelques voix se sont heureusement élevées pour rappeler le sens originel de la laïcité, telle qu’elle avait été conçue et instaurée par ses fondateurs.
Du bon usage de la laïcité
Le débat sur les vêtements religieux (ou supposés tels) avait été mené d’une manière claire et précise en 1903, et Aristide Briand lui-même s’était opposé à certains laïques “radicaux” qui voulaient interdire la soutane ou d’autres signes extérieurs religieux dans l’espace public. L’argument de Briand n’a pas pris une ride: “Rien ne servirait d’interdire la soutane ou quelque vêtement religieux que ce soit, dans cette hypothèse, les curés et les tailleurs auraient tôt fait de s’entendre pour créer de nouveaux vêtements signalant l’appartenance religieuse de celui qui le porte”.
Plus fondamentalement, il faut rappeler que la laïcité originelle impose à l’Etat de rester neutre, de ne pas s’immiscer dans les affaires religieuses, et vice versa. Le corollaire logique et pratique est l’incompétence de l’Etat en matière religieuse. Tout le contraire des discours et des politiques menés en France depuis l’interdiction du voile à l’école.
Or donc, concernant le burkini, ce qui devait arriver arriva, le conseil d’Etat fut saisi. Et, ô surprise, suspendit les arrêtés municipaux, en rappelant les libertés fondamentales et le droit, pour chacun, de se vêtir comme il l’entend. Statuant notamment que : “Dans ces conditions, le maire ne pouvait, sans excéder ses pouvoirs de police, édicter des dispositions qui interdisent l’accès à la plage et la baignade alors qu’elles ne reposent ni sur des risques avérés de troubles à l’ordre public ni, par ailleurs, sur des motifs d’hygiène ou de décence. L’arrêté litigieux a ainsi porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont la liberté d’aller et venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle” CQFD.
Féminisme de pacotille
Ce débat dont on se serait bien passé n’est en fait que la forme la plus outrancière d’un “féminisme” dont il faudrait une fois pour toutes se débarrasser: il s’agit d’un “féminisme” élitiste et factice qui prétend défendre les femmes opprimées contre leur propre gré, sans jamais leur donner la parole, les consulter ni essayer de comprendre pourquoi elles portent ou non tel ou tel bout de tissu.
Ceux qui prétendent défendre les femmes de cette façon ne sont en fait que de mauvais comédiens dont l’indignation à géométrie variable ne peut plus faire illusion. On ne les entend jamais dénoncer le fait que les femmes gagnent en moyenne 20% de moins que leurs homologues masculins, qu’elles sont sous-représentées dans de nombreux métiers et postes à responsabilité, qu’elles sont victimes de harcèlement sexuel (à moins qu’il ne s’agisse que de “gauloiseries” qui font le “charme” de la France…), de violences, etc.
Non, pour défendre les femmes qui souffrent réellement, qui luttent contre les discriminations, qui revendiquent leurs droits, il n’y a plus personne. Pour défendre des femmes qui n’ont rien demandé, on trouve des meutes de moralistes prêts à en découdre avec les “barbus oppresseurs”.
Ce psychodrame estival a en réalité mis à nu la “laïcité” à la française, qui est la négation même de ses principes fondateurs et qui est devenue au mieux une religion d’Etat, au pire le dernier refuge des racistes. Il est temps pour la gauche française d’en tirer toutes les conclusions pour ne plus tomber dans les guet-apens idéologiques de la droite.
Il est temps aussi de dénoncer l’islamophobie à peine dissimulée derrière ces faux débats, et de mener résolument le combat contre les discriminations et le racisme d’Etat qui lui, constitue un véritable problème avec son cortège de discriminations pour des milliers de citoyens français.
Quelques lectures recommandées, pour approfondir le sujet:
“Black, blanc, beur… : La guerre civile aura-t-elle vraiment lieu ?”, Stéphane Marteau, Pascale Tournier. 2006.
“Du bon usage de la laïcité”, Marc Jacquemain, Nadine Rosa-Rosso , Collectif, Christophe Page, Alec De Vries. 2008
“Pour les Musulmans”, Edwy Plenel. 2015
“Islamophobie, Comment les élites française fabriquent le “problème musulman”, Abdellali Hajjat, Marwan Mohamed. 2016