Politique

14-06-2017 Par

Corbyn donne un nouvel élan au Parti travailliste

Quand Theresa May a annoncé le 18 avril dernier la tenue d’élections législatives, personne n’aurait pu imaginer qu’elle puisse les perdre. C’est pourtant ce qui s’est passé le 8 juin. Bien qu’il n’ait pas obtenu la majorité, le grand gagnant de ces élections est Jeremy Corbyn, dirigeant du Parti travailliste.

Corbyn donne un nouvel élan au Parti travailliste

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Quand Theresa May a annoncé le 18 avril dernier la tenue d’élections législatives, personne n’aurait pu imaginer qu’elle puisse les perdre. C’est pourtant ce qui s’est passé le 8 juin. Bien qu’il n’ait pas obtenu la majorité, le grand gagnant de ces élections est Jeremy Corbyn, dirigeant du Parti travailliste.

Les travaillistes ont commencé la campagne avec 20 points de retard sur les conservateurs. Et les élections locales du 4 mai semblaient confirmer ce retard: une victoire de conservateurs, une défaite des travaillistes, un effondrement de l’UKIP au profit des conservateurs. La messe semblait être dite. Et puis le 8 juin le Parti travailliste arrive à 40%, juste derrière les conservateurs avec 42,4%. Ce qui représente une progression de 9,6% par rapport aux élections de 2015, la plus importante avancée entre deux élections depuis 1945. En gagnant une trentaine de sièges, les travaillistes ont privé May de sa majorité.

Qu’est-ce qui s’est passé entre début mai et le 8 juin ? Tout simplement la campagne. May a fait une très mauvaise campagne. Elle a dû faire un virage à 180° sur les retraites et les soins pour personnes âgées. Elle a refusé de débattre à la télévision avec les dirigeants des autres partis et ses apparitions publiques ont été soigneusement mises en scène. Cela collait mal avec le thème central de sa campagne, qui était de demander aux gens de la soutenir en tant que dirigeante «forte et stable», notamment dans les négociations pour le Brexit.
Mais on ne peut pas expliquer le retournement de tendance uniquement par les erreurs de May. Corbyn a fait une très bonne campagne. A la différence de May, il est allé à l’encontre des électeurs, menant une campagne de proximité, marquée aussi par des grands rassemblements, souvent en plein air. Et surtout la campagne était organisée autour d’un manifeste radical: nationalisation du rail, de l’énergie, de la Poste, augmentation des dépenses sociales, construction de 100,000 logements par an, suppression des frais d’inscription à l’université, réintroductions des bourses, pour ne citer quelques axes. Tout cela était clair et concret. Corbyn a défendu les valeurs de la gauche, mais appuyées sur des mesures qui devraient vraiment améliorer la vie des gens. Et aussi avec une stratégie de relance économique et de réindustrialisation, centrée sur une banque d’investissements publique.

Une campagne réussie

La réussite de la campagne était évidemment celle du Parti travailliste en tant que tel. Mais dans un sens très important, elle était celle de Jeremy Corbyn lui-même. Non seulement parce qu’il a fait campagne de manière infatigable. Mais aussi parce qu’il a su, ce qui n’était pas donné d’avance, imposé son propre programme, sauf sur des questions de défense et politique étrangère, où il a quand même marqué sa différence avec l’aile droite de son parti. Corbyn a réussi avec le soutien des syndicats et des militants de base. Certains députés travaillistes ont dénoncé le manifeste et refusé de le diffuser, d’autres l’ont accepté sans enthousiasme. Depuis jeudi dernier certains ont découvert des qualités à Corbyn jusque-là insoupçonnées. Il saura sans doute apprécier leur changement de ton à sa juste valeur.

L’impact de cette campagne ne devrait pas été sous-estimé. D’abord, elle a enthousiasmé les jeunes, qui se sont inscrits et ont voté en grand nombre. Deux-tiers des 18-24 ans et plus de 50% des 25-34 ans ont voté travailliste. Ensuite, Corbyn a fait campagne partout. Il est allé sur les terres traditionnelles du Parti travailliste, notamment dans les régions du Nord et du Centre qui ont voté très majoritairement pour le Brexit et où beaucoup avaient voté pour l’UKIP en 2015. Les premières analyses montrent qu’un tiers des anciens électeurs UKIP ont voté travailliste, deux-tiers conservateur. Cela a été suffisant pour que les travaillistes gardent de nombreuses sièges et même en gagnent d’autres. Seulement six circonscriptions dans ces régions ont été prises aux travaillistes par les conservateurs. C’était bien en-deçà des prévisions et des espoirs de May. Les travaillistes ont aussi fait campagne à Londres et dans le Sud-Est du pays, dans des zones qui ont voté contre le Brexit. Là aussi des victoires ont été remportées. Corbyn s’est même aventuré en Ecosse, où les travaillistes avaient été laminés en 2015. Cette fois-ci, ils ont remporté huit sièges contre une seule en 2015. Cela est dû en partie à l’aveuglement du SNP (voir v ci-dessous), mais aussi à l’intervention de Corbyn, dont le programme parlait aussi aux Ecossais. La direction travailliste en Ecosse, Blairiste et hostile à Corbyn, n’y était pour rien ou presque.

Au fur et à mesure que se déroule la campagne, l’écart entre les deux partis se resserre. Des prévisions de majorité conservatrice de 100, voir 150 sièges descendent vers 60, 50, 30. Et petit à petit l’impensable, une victoire travailliste, devient imaginable, bien qu’improbable. Les premiers a été abasourdis par le sondage de sorte d’urnes prévoyant un Parlement sans majorité ont été le travaillistes eux-mêmes.

Et le Brexit?

Les premières analyses montrent que 64% de ceux qui ont voté travailliste avaient voté contre le Brexit et que 68% de ceux qui ont voté conservateur avaient été pour le Brexit. Dans le référendum du 23 juin ; 2016, 58% des électeurs conservateurs avaient vote pour le Brexit, 63%% des électeurs travaillistes contre. OI est intéressant de regarder les motivations. Les électeurs conservateurs ont cité le Brexit et la question de la direction (premier ministre). Les électeurs travaillistes ont plutôt cité la défense du système de santé et les coupes austéritaires. Seulement 8% des électeurs travaillistes ont cité le Brexit comme leur première préoccupation, contre 48% des électeurs conservateurs. Enfin il n’est pas sans intérêt de savoir que 10% d’électeurs conservateurs de 2015 ont voté travailliste cette fois-ci.

Corbyn a donc largement gagné son pari. La campagne travailliste centrée sur le programme économique et social a pu s’adresser à de larges couches de la population, au-delà de leurs attitudes vis-à-vis du Brexit et la façon dont ils avaient voté par le passé.

La signification de la percée travailliste dépasse les frontières du Royaume Uni. C’est la deuxième fois en deux mois qu’une campagne électorale qui contestait le néolibéralisme dominant a pu mobiliser des millions d’électeurs. Au-delà des différences entre la campagne de la France insoumise et Jean-Luc Mélenchon et celui de Corbyn, ainsi du contexte nationale et politique, les deux campagnes ont su traduire une rupture avec le néolibéralisme dans des propositions claires, positives, concrètes, porteuses de changements réels dans la vie de sens. C’est une leçon à méditer pour la gauche radicale partout en Europe.

Il est à noter que le seul parti qui a fait de l’opposition au Brexit son cheval de bataille, le LDP (libéraux-démocrates) a eu des piètres résultats, gagnant cinq sièges et en perdant une, celle de son ancien dirigeant et artisan de la coalition avec les conservateurs de 2010 à 2015. Il passe donc de 8 à 12 sièges, loin des 57 de 2010. Au Pays de Galles les travaillistes ont repris leur hégémonie traditionnelle et le parti nationaliste de gauche Plaid Cymru est passé de 3 à 4 sièges. En Irlande du Nord le Sinn Fein est passé de 4 à 7 sièges (sur 18). En face les unionistes du DUP (voir ci-dessous) sont passés de 8 à 10.

Changement de paysage en Ecosse

En Ecosse ce qui devait arriver est arrivé. Le SNP (au pouvoir à Edimbourg) a payé ses incohérences depuis le référendum de juin 2016. La seule surprise a été l’ampleur des dégâts. Depuis le vote à 62% contre le Brexit le SNP avait commencé à développer un discours où la revendication minimum était que l’Ecosse puisse rester dans le marché unique, et de plus en plus l’exigence d’un deuxième référendum sur l’indépendance avec en perspective l’adhésion de l’Ecosse indépendante à l’UE. Il était pourtant évident que beaucoup de ceux qui avaient voté pour le Brexit étaient pour l’indépendance et beaucoup de ceux qui avaient voté contre le Brexit étaient aussi contre l’indépendance. Il devenait aussi clair que la plupart des Ecossais ne voulaient pas de nouveau référendum et qu’il n’y avait pas encore une majorité pour l’indépendance. Le gouvernement a néanmoins passé des mois à parler de référendum-indépendance-Europe, alors que beaucoup d’Ecossais voulaient d’abord voir ce que le Brexit pourrait signifier, ce que May pouvait négocier. Et ils étaient aussi préoccupé que leurs voisins au sud par les questions économiques et sociales. Le SNP semble avoir finalement compris. Son manifeste pour les législatives parlait beaucoup d’austérité et de pauvreté et très peu d’un referendum et de l’indépendance. C’était trop peu, trop tard. A part les sept sièges gagnés par les travaillistes, 13 ont été remportés par les conservateurs.

La très capable dirigeant conservatrice; Ruth Davidson, commence à s’affirmer. D’abord elle a dit ce qu’elle pensait de l’accord avec le DUP (voir ci-dessous) en téléphonant à May pour exiger que le gouvernement ne bouge pas sur le mariage pour tous. (Il se trouve par ailleurs qu’elle va bientôt se marier avec sa partenaire). Elle exige aussi maintenant, ouvertement, que le Royaume-Uni reste dans le marché unique, ouvrant un nouveau front contre May. Et elle semble tentée par sa propre déclaration d’indépendance – du Parti conservateur écossais par rapport à celui de Londres
Mais le talent de Davidson et ses positions progressistes sur des questions de société ne devraient pas faire oublier la nature du Parti conservateur en Ecosse. S’il arrivait au pouvoir (une possibilité jusque récemment exclue par tout le monde) il mènerait une politique qui démantèlerait les défenses érigées par le SNP contre l’austérité de Londres. Le SNP s’est habitué à un paysage où le Parti conservateur était marginal et le Parti travailliste social-libéral, encore plus en Ecosse. Il a pu donc se présenter comme le parti de centre-gauche qui garantissait qu’on puisse vivre mieux en Ecosse qu’en Angleterre, sans avoir vraiment représenter une alternative au néolibéralisme. La percée des conservateurs et le phénomène Corbyn, qui fait enfin sentir ses effets en Ecosse, sont en train de modifier ce paysage. C’est un défi pour le SNP. Dans ces élections, son score est tombé de 50% à 37%. Les conservateurs ont réussi à devenir le principal pôle unioniste. Si le Parti travailliste se reconstruisait sur la ligne de Corbyn, le SNP se trouverait vraiment coincé.

Cherche nouveau leader du Parti conservateur

Sauf un miracle, cette campagne, désastreuse pour elle et son parti, signale la fin du règne de Theresa May. Qui pourrait intervenir dans quelques semaines ou quelques mois. Cela dépend entre autres de trouver un successeur crédible. Pour l’instant elle a pris le seul choix possible pour avoir une majorité au Parlement, celui du soutien des dix députés du Parti unioniste démocratique (DUP), majoritaire parmi les protestants d’Irlande du Nord. Il s’agit du parti le plus réactionnaire et odieux représenté au Parlement. A côté, l’l’UKIP, ce sont des enfants de cœur. Le DUP est lié historiquement aux milices loyalistes (protestants) responsables de nombreux attentats et assassinats de catholiques. On en parle peu en Angleterre parce que son champ d’action est limité à l’Irlande du Nord. Mais grâce à lui, dans cette province la loi britannique de 1967 légalisant l’avortement n’est toujours pas intégralement appliqué et le mariage gay reste interdit.

Au cours de la préparation du Brexit Theresa May avait réussi à colmater les brèches dans son parti au nom de l’unité nécessaire pour gouverner et confronter l’Union européenne. Maintenant c’est le retour à la case départ. Le pacte avec le DUP est un bouche-trou mal accepté par de nombreux députés. L’unité du parti ne pourra plus être garantie par une première ministre en fin de cours et les opposants au Brexit relèvent la tête. Et surtout un gouvernement aussi fragile ne peut pas assumer les négociations avec l’UE, qui saura bien profiter de cette nouvelle situation. Il est donc inévitable qu’il y aura de nouvelles élections, probablement cet automne.

C’est à cette échéance que le Parti travailliste doit se préparer. Corbyn dit qu’il est prêt à former un gouvernement minoritaire. Soit. Mais même avec le soutien de tous les partis sauf les conservateurs et le DUP, les chiffres ne sont pas là. Mais il a eu la bonne idée de présenter un «contre-discours de la Reine» – la déclaration des intentions du gouvernement qui ouvre chaque grande session parlementaire. C’est en effet maintenant comme un vrai gouvernement alternatif que le parti travailliste devrait se présenter, en attendant les prochaines échéances électorales. Il faudra aussi préparer le parti en essayant de limiter l’influence de sa droite, notamment au sein de la fraction parlementaire. Si Corbyn arrive à faire gagner le Parti travailliste sur son programme actuel il se trouvera face à un front d’opposition comprenant les conservateurs, la City, les multinationales et l’Union européenne. Il aura besoin d’un parti bien soudé derrière lui.