20-06-2018
Tram – die moderne Bahn des Sozialabbaus
Die Kollektivvertragsverhandlungen bei der Luxtram S.A. zeigen wie privatrechtliche Betriebe Instrumente des Sozialbbaus sind. Auch in öffentlicher Hand gibt es keine Garantie für demokratische Kontrolle. Die Tram wurde auf die falschen Schienen gesetzt, wird der Widerstand umleiten können ?
Die Kollektivvertragsverhandlungen bei der hauptstädtischen Straβenbahn sind in vieler Hinsicht ein heiβes Eisen. Was die bisherigen Lohn- und Arbeitsbedingungen betrifft so stellen diese einen neuen „Tiefenrekord“ im öffentlichen Transport auf! Sie sind sogar schlechter als die bei den privaten Busbetreibern des RGTR. Die supermoderne futuristische Trambahn Luxemburgs soll sozial als Mindestlohnbetrieb funktionieren, mit Arbeitszeit Amplitüden die theoretisch bis zu 13 Stunden am Tag betragen können!
Unübersehbar besteht seit Anbeginn ein breiter Konsens aller etablierten Parteien, von Grün bis CSV, sowohl in der Regierung als auch im Schöffenrat Luxemburgs, dieses Modell in dieser Form so durch zu ziehen und keinen Millimeter von dieser Spur abzuweichen. Die Zielsetzung ist mehr als deutlich. Es geht dabei um Folgendes:
– Die Auslagerung von kommunalen Dienstleistungen in Gesellschaften mit einem privaten Rechtsstatus.
– Die Durchsetzung massiver Verschlechterungen in punkto Löhne, Arbeitszeiten, sowie sozialer und statutarischer Rechte des Personals.
– Die Existenz von privatrechtlichen Betrieben im öffentlichen Besitz kann jederzeit als „Druck- und Drohmittel“ gegen die im öffentlichen Statut Schaffenden und ihre Errungenschaften genutzt werden. Diese „S.A.“ Firmen sind allesamt „trojanische Pferde“ die jederzeit als politischer Hebel gegen die kommunalen und staatlichen Dienste eingesetzt werden können.
– Jede Firma im Status einer „Société Anonyme“ kann jederzeit ganz oder teilweise an private Investoren verkauft werden.
Es geht also hierbei klar um mehr als nur um das Schicksal der Trambahner und diese politische Operation darf darum nicht als isolierte Aktion verstanden werden. Minister Bausch beabsichtigt mit dem „schnellen Tram“ nach Esch, eine Ausweitung der Straβenbahn in Richtung Süden. Natürlich denkt er dabei nicht an den TICE oder CFL als Betreiber, sondern wird auch hier Luxtram als private Firma damit beglücken. Dem müssen wir von Beginn an entgegen treten.
Alle Interventionen von „déi Lénk“, ob im Gemeinderat oder im Parlament, stieβen gegen eine Mauer des Schweigens und der Ablehnung. Der Ex-Gewerkschaftler und heutige Grüne Transportminister Bausch hat auf eine question parlementaire geantwortet daβ; “es eine verdammte Verpflichtung sei daβ die Politik sich aus Kollektivvertragsverhandlungen heraus halten soll“. Dabei ist er als Transportminister der eigentliche Chef des Verwaltungsrates und hält mit 70% Anteilen die absolute Mehrheit der Luxtram S.A. Er bestimmt die Politik dieser Firma wesentlich mit.
Die Verhandlungen der Gewerkschaften FNCTTFEL/Landesverband und OGB-L für einen richtigen Kollektivvertrag waren bisher äuβerst zahm und vorsichtig. Wohl auch um die mitverantwortliche LSAP in einer ersten Phase zu schonen. Die Verweigerungshaltung der Luxtram Führung wird die Gewerkschaften zur Anrufung der Schlichtung drängen. Die weiteren Verhandlungen werden in Kürze zeigen ob die Politiker dieser Regierung die Zeichen verstanden haben oder ob beim Luxtram ein offener Sozialkonflikt bevorsteht.
20-06-2018
« Je travaille, tu travailles, Sodexo empoche »
Une grève dans le secteur des soins vient de prendre fin, victorieuse, après onze jours. Chronique d’un conflit historique.
Quand arrive enfin la bonne nouvelle, le temps de quelques secondes, certains peinent à y croire. « Ça veut dire qu’on a gagné ? » demande une femme, le visage incrédule. « Mais oui ! », rétorque une autre femme. « On a gagné ! » s’écrie une voix, vite rejointe par d’autres. Une clameur s’élève. « On a gagné ! On a gagné ! » Des larmes coulent. Des gens s’embrassent, dansent, sautent, crient, s’arrêtent un instant, puis s’embrassent, dansent sautent et crient à nouveau.
Quelques heures plus tôt. Une odeur de barbecue plane sur le rond-point de la rue Jacquinot à Bettembourg en ce samedi matin, devant la maison de soins « An de Wisen ». D’une enceinte portable s’élève le son de « Bella Ciao », chanson antifasciste italienne mondialement connue. L’ambiance est fébrile.
À 10 heures, une délégation de l’OGBL a rencontré le Premier ministre Bettel, le ministre de la Sécurité sociale Romain Schneider, et plusieurs hauts fonctionnaires. À 11 heures, les représentants du gouvernement devaient rencontrer une délégation de la COPAS, fédération patronale des prestataires de soins. Depuis, plus de nouvelles. Et ce alors que depuis la veille il semble clair qu’une sortie du conflit est proche, qu’un accord pourrait être trouvé aujourd’hui.
Un conflit qui commence au plus tard en juin 2017, quand la nouvelle convention collective FHL (pour « fédération des hôpitaux du Luxembourg ») est signée au terme d’un long conflit social. Plusieurs maisons de soins, qui ne sont plus membres de la FHL, refusent d’appliquer la nouvelle convention FHL à leurs salarié.e.s. Pourtant, il a été convenu que tous les ancien.ne.s salarié.e.s, qui ont jusque là été payés selon la convention FHL, continueraient de l’être. Mais les maisons de soins concernées clament des « problèmes budgétaires ».
Des maisons exploitées par des prestataires privés, mais financées par de l’argent public, issu des caisses de la sécurité sociale. Des maisons qui, pour certaines, se sont déjà forgées une réputation d’employeurs peu amènes au dialogue – notamment « An de Wisen », maison exploitée par la multinationale Sodexo. Officiellement, Sodexo, qui exploite la maison via une association du même nom, n’engrange pas de bénéfices. Dans la pratique, l’OGBL relève tout de même quelques constructions financières « étranges » à l’occasion d’une conférence de presse en plein conflit.
Grève historique à Bettembourg
C’est à Bettembourg, où Sodexo a voulu licencier 66 personnes dans le passé avant d’y renoncer sous la menace de la grève et moyennant intervention du gouvernement, que débute la grève. 99 pourcent des salarié.e.s concerné.e.s y avaient voté la grève. Mercredi 6 juin, à six heures du matin, deux tentes OGBL sont montées dans le rond-point devant l’établissement. Un camping-car servant de quartier général par la suite y est garé. C’est dans la bonne humeur et sous un soleil plombant que débute la première grève au Luxembourg depuis la grève chez ACL en décembre 2014. Une grève qui n’avait duré que deux jours.
Celle de Bettembourg durera plus longtemps. Onze jours en tout – une grève historique, la plus longue depuis 1995 et la grève des carreleurs qui avait duré 28 jours, elle.
À Bertrange, où une autre maison de soins entre en grève un jour après Bettembourg, elle ne durera pas très longtemps : à peine quelques heures après le début, la grève est terminée, victorieuse, la direction de la maison a accepté toutes les revendications de l’OGBL. Sous la contrainte, comme elle affirmera plus tard, ayant manifestement mal compris le concept d’une grève. À Bettembourg, elle continue.
Le samedi, elle est soutenue par une manifestation de solidarité qui rassemble quelque 300 personnes. La direction a organisé un barbecue pour les résidents dans le jardin, afin de les éloigner le plus possible des manifestant.e.s. Mauvais calcul : les manifestant.e.s font le tour, traversent une petite forêt et se retrouvent face à face avec le directeur, à quelques mètres du barbecue seulement. « Je travaille, tu travailles, Sodexo empoche », crient-ils sans relâche, au rythme des tambours.
Ils feront de même quelques jours plus tard, devant le siège de Sodexo, dans une zone d’activités à Bertrange, où leur présence bruyante tranche quelque peu avec le style très soigné du voisinage.
« Briseurs de grève »
Tout le personnel de Bettembourg ne fait pas grève. Les contrats plus récents tombent sous le champ d’application de la convention SAS (secteur d’aide et de soins) et ne sont pas concernés par le litige collectif opposant les salariés FHL à leur direction. Ils n’ont donc pas le droit de faire grève. C’est d’ailleurs à eux que la direction fera appel pour remplacer les grévistes, tout comme à des élèves stagiaires, amenés à exécuter des tâches non prévues par la loi selon des personnes présentes dans la maison.
Avant de faire appel à des « briseurs de grève », des « jaunes », via la COPAS, sont engagés. Alors que la grève entre dans sa deuxième semaine, le président de la COPAS demande à ses membres de détacher des salarié.e.s afin de soutenir « An de Wisen ».
Les grévistes décident de riposter et installent des barrages filtrants à tous les points d’entrée dès 5:30 heures du matin. Avec succès, puisque sept « remplaçants » sont ainsi empêchés d’entrer, tout comme les élèves stagiaires qui sont, eux aussi utilisés pour contourner la grève.
La police est dépêchée sur place par la direction de la maison. De longues discussions s’ensuivent, notamment avec les juristes de l’OGBL qui estiment que les barrages sont totalement légaux et légitimes, puisque le prêt de main d’œuvre est interdit en cas de grève. Finalement, la police décide jouer à merveille son véritable rôle sociétal : elle lève les barrages sous la menace d’arrestations et fait entrer les « briseurs de grève ». Une attaque frontale contre le droit de grève, comme l’écrira l’OGBL dans un communiqué de presse.
L’Inspection du Travail et des Mines, dépêchée sur place à de maintes reprises, ne peut que constater les faits pour ouvrir une enquête qui débouchera éventuellement sur des sanctions tardives. Pas de quoi impressionner la direction de « An de Wisen ».
Victoire !
Mais cette « escalade de la tension », comme le qualifie la presse locale, précipite la réaction du gouvernement. Soucieux du maintien de la paix sociale à quelques mois des élections, ce sont les ministres LSAP qui prennent les choses en main. C’est Romain Schneider, ministre de la Sécurité sociale, qui rencontrera les directions respectives des maisons concernées pendant de longues heures, et qui élabore un plan de sortie de crise.
Au lendemain de cette rencontre, ce sont deux maisons de soins du groupe « Zitha Senior » qui entrent en grève : Saint Jean de la Croix à Luxembourg et Saint Joseph à Pétange. Même si les salarié.e.s FHL sont largement minoritaires dans ces maisons, l’élargissement du conflit permet de faire monter considérablement la pression : un jour plus tard, le Conseil de gouvernement entérinera le plan de sortie de crise élaboré par le ministre Schneider.
C’est au onzième jour de la grève, un samedi après-midi, que prend fin la grève la plus longue depuis 22 ans. Le gouvernement accepte de débloquer des fonds supplémentaires, la COPAS accepte de payer les salariés concernés selon la convention FHL – et ce même rétroactivement.
Quand arrive enfin la bonne nouvelle, pendant quelques secondes, certains peinent à y croire. Puis ils laissent exploser leur joie.
Malgré la joie, tous ressentent un petit pincement au cœur quand est démonté le petit village de grève qui s’était développé les onze jours précédents dans le rond-point rue Jacquinot à Bettembourg. « Quelle journée, et quel combat », écrit l’une des grévistes. Bravo à toutes et tous. Souvenons-nous que la solidarité l’emporte sur toutes nos différences. Tous unis pour même combat. Et vive la vie. »
15-12-2017
Vers la révolution d’octobre
Les effets négatifs de la défaite dans les Journées de juillet furent de courte durée. Certes, dans les jours qui suivaient, quelques secteurs ont tenu les bolcheviks comme responsables de l’échec d’un soulèvement prématuré. Mais les leçons tirées, surtout par les ouvriers les plus politiquement conscients, ont été plus profondes et plus durables.
D’abord, l’idée qu’il suffirait de mettre suffisamment de pression sur les dirigeants mencheviks et SR pour qu’ils rompent avec le Gouvernement provisoire et assument le pouvoir s’est révélée inopérante. Les dirigeants du Soviet avaient refusé le pouvoir qu’on leur offrait, ils avaient refusé de rompre avec la bourgeoisie. Pire encore, ils ont partagé la responsabilité pour l’appel à des troupes loyales au gouvernement et pour la répression qui s’en est suivie. Il subsistait une aspiration à l’unité de la « démocratie révolutionnaire » (1) qui se manifestera fortement encore à certains moments. Mais pour la masse des ouvriers qui voulait tout le pouvoir aux soviets, il devenait de plus en plus clair que le seul parti qui allait se battre pour cela était le Parti bolchevik, dont les forces et l’influence recommençaient à croître dès le mois d’août.
Le coup de Kornilov
Un moment clef dans le déroulement du processus révolutionnaire et la montée de l’influence bolchevique était le coup manqué de Kornilov. Lavr Kornilov était un officier tsariste qui, comme beaucoup d’autres, s’était mis au service du Gouvernement provisoire après la révolution de février, sans changer d’idées. Il a été nommé commandant en chef des armées russes en juillet. Farouche partisan du rétablissement de l’ordre, il avait déjà voulu utiliser la force contre les manifestations d’ouvriers et de soldats en avril. Au mois d’août, les idées de Kornilov convenaient parfaitement aux attentes des cercles bourgeois, le Parti Kadet, les patrons et la caste d’officiers, qui voulaient tous un pouvoir fort.
Du 12 au 14 août il s’est déroulé à Moscou une Conférence d’Etat, qui n’avait aucune fonction législative. Appelée à l’initiative de Kerensky, son objectif était de mobiliser les soutiens pour l’action de son gouvernement. La Conférence rassemblait la fine fleur de la haute société russe : les industriels, les banquiers, la caste militaire, le personnel politique bourgeois ; et, dans un rôle subordonné, les représentants des Comités exécutifs des congrès panrusses des ouvriers et soldats et des paysans, ainsi que les syndicats. Les bolcheviks avaient décidé de boycotter l’évènement. Mais ceux de Moscou ont appelé à la grève pour bien accueillir les 2.500 participants. L’appel était tellement réussi que même les serveurs à la Conférence ont cessé le travail : les dignitaires ont dû se servir eux-mêmes.
Kornilov était reçu comme un héros, celui qui allait établir une dictature et sauver la Russie de la pagaille révolutionnaire. Il était clair que la grande majorité de cette assemblée était prête à soutenir un coup d’état mené par lui. Il était donc sûr d’avoir le soutien des militaires, des milieux d’affaires et des partis de droite. De ce point de vue-là, le rapport de forces lui était très favorable et Kerensky commençait à craindre pour sa propre position. Il est probable que dans la tête de Kornilov, dans sa vision du monde, le soutien des ailes militaire et civile des classes dirigeantes suffisait pour garantir le succès de son entreprise. Il semble ne s’être jamais posé la question de l’attitude et des réactions possibles des ouvriers, des soldats et des marins. Cette erreur se révèlera fatale.
Le 27 août Kornilov a ordonné à ses troupes d’avancer sur Petrograd. Auparavant il y avait eu des rapports plus qu’ambigus entre lui et Kerensky. Kornilov a pu penser à un moment, que Kerensky lui laissera faire son coup. Ce dernier n‘avait aucun problème avec un gouvernement autoritaire, simplement il préférait qu’il soit à ses ordres et pas à ceux de Kornilov. Il s’est donc retourné au dernier moment. Il a ainsi perdu sur tous les tableaux. Les ouvriers lui reprochaient sa collaboration avec Kornilov, la bourgeoisie sa rupture de dernière minute avec le général.
Le Soviet mobilise contre Kornilov
En recevant les premières informations sur le progrès de Kornilov, le Soviet et les partis qui le composaient commençaient à discuter de leur riposte. Après quelques hésitations, les partis majoritaires continuaient à soutenir Kerensky. Les bolcheviks, tout en déclarant que « le gouvernement provisoire a créé les conditions pour la contre-révolution », laissaient faire. En partie, parce que l’essentiel était de réaliser la plus grande unité des forces démocratiques pour battre Kornilov. Dans ce but le Soviet a créé un Comité de lutte contre la contre-révolution. Mais aussi parce que les bolcheviks étaient eux-mêmes divisés, comme depuis le début de la révolution. A chaque étape jusqu’à et, comme on verra, au-delà de la prise du pouvoir en octobre, une aile droite dont le représentant le plus actif était Kamenev cherchait à chaque tournant des compromis avec les défensistes (2).
A ce moment, l’essentiel était pourtant ailleurs. La contre-révolution ne sera pas battue par des résolutions du Soviet, ni par Kerensky, mais par la mobilisation des ouvriers et soldats. Et dans cette mobilisation les bolcheviks ont joué un rôle de premier plan. La résistance se déroulait sur plusieurs plans. Militaire, avec le dispositif défensif mis en place autour de Petrograd par les gardes rouges des usines et les soldats de la garnison. Syndicale, avec notamment le rôle central des cheminots, qui empêchaient les trains transportant les troupes de Kornilov d’avancer, y compris en arrachant les rails. Et last but not least, par une agitation politique visant à démobiliser les troupes de Kornilov.
Alors que les soldats étaient bloqués dans leurs trains qui ne bougeaient pas, les agitateurs bolcheviques descendaient pour s’adresser à eux. La démarche était fructueuse. En premier lieu les troupes n‘étaient pas enthousiastes pour la relance des offensives militaires, ce qui aurait été un résultat d’une victoire de Kornilov. Ensuite Kornilov ne leur avait pas expliqué que son but était de dissoudre le Soviet, de renverser le gouvernement Kerensky et d’instaurer une dictature militaire. Une composante clef des forces de Kornilov était constituée par l’élite Division sauvage, composée de combattants musulmans, tchétchènes et autres, venant du Caucase du Nord. Ces troupes ont été entourées d’ouvriers venus de Petrograd, mais aussi par une centaine de marins de la flotte de la Baltique, qui avaient précédemment été attachés à la division comme mitrailleurs. Parallèlement, la division a reçu la visite d’une délégation de l’Union des soviets musulmans. Parmi les délégués, le petit-fils du légendaire Shamil, qui avait dirigé la résistance tchétchène contre les Russes au 19e siècle, avec le soutien enthousiaste d’un certain Karl Marx. La Division sauvage a fini par hisser un drapeau rouge sur lequel était inscrit « Terre et liberté ». Quand le représentant de l’état-major a protesté, il était mis aux arrêts.
Du fait de l’efficacité de cette agitation politique, qui avait permis de désarticuler les forces de Kornilov, il n’y avait en fait quasiment pas de combats. Le coup contre-révolutionnaire s’est effondré.
Les bolcheviks deviennent majoritaires dans les soviets
La défaite de Kornilov et le rôle joué par les bolcheviks renforçaient davantage la position de ces derniers. Au cours du mois de septembre, ils ont gagné la majorité dans les soviets de Petrograd et Moscou et dans de nombreuses autres villes. Les mencheviks et les SR ont dû constater le départ d’un nombre considérable de leurs militants, qui ont rejoint les bolcheviks. Parallèlement une opposition se développait dans le Parti socialiste-révolutionnaire, et son aile gauche, qui deviendra bientôt un parti séparé, convergeait avec les bolcheviks sur de nombreux points. Pourtant sur la route vers l’insurrection du 25 octobre il y avait encore des obstacles à surmonter. Les plus importants venaient de l’intérieur du Parti bolchevique lui-même. Mais avant d’en arriver là, regardons la situation et les préoccupations de la classe ouvrière de Petrograd.
Dans un processus révolutionnaire qui se déroule sur huit mois, il y a des phases qui se suivent et ne se ressemblent pas. La révolution de février était le produit de manifestations et grèves ouvrières spontanées et du passage des soldats du côté du peuple. Elle n’était dirigée par aucun parti, même si les militants des partis y ont joué un rôle très actif. Pendant une période de deux mois, la masse des ouvriers et soldats acceptait la situation de double pouvoir entre le Soviet et le Gouvernement provisoire. Tout le monde baignait dans la joie d’avoir renversé le tsarisme.
En juin-juillet le climat était tout autre. Une grande partie des ouvriers et des soldats de Petrograd n’avait déjà plus aucune confiance dans le Gouvernement provisoire et faisait leur le mot d’ordre des bolcheviks « Tout le pouvoir aux soviets ». Cette poussée, qui avait commencé parmi les soldats, débordait tous les partis, y compris et surtout les bolcheviks. La direction du parti essayait de freiner le mouvement, mais beaucoup de ses militants de base et ses structures intermédiaires y participaient.
La Révolution d’octobre
La révolution d’octobre était tout à fait autre chose. On peut dire les choses ainsi : en février, les bolcheviks ont dû courir pour attraper les masses. En juillet, ils ont dû les freiner pour éviter une grave défaite. Dans les deux cas, le parti n’était pas à l’initiative. En octobre il l’était.
Cela ne veut pas dire que l’insurrection d’octobre était l’œuvre des seuls bolcheviks. Parmi les milliers de participants à l’insurrection il y avait les gardes rouges des usines, des marins de la flotte de la Baltique, surtout ceux de Kronstadt, des soldats de la garnison de Petrograd, parmi eux les SR de gauche et une partie des anarchistes. Mais l’insurrection fut dirigée par le Parti bolchevique. En dernier ressort par son Comité central, au niveau opérationnel par le Comité militaire révolutionnaire du Soviet de Petrograd. Le président du CMR était un SR de gauche, mais la plupart de ses membres étaient bolcheviks et son vrai chef était Trotsky.
A la différence de celle de février, la révolution d’octobre n’était pas l’aboutissement d’un déferlement irrésistible des masses. Elle était la réponse nécessaire à une situation catastrophique. Le titre de la brochure écrite par Lénine en Septembre 1917 est éloquent : « La Catastrophe imminente et les moyens de la conjurer ». Le premier sous-titre de cette brochure était «La Famine menace». Il n’y avait là aucune exagération. A Petrograd, en automne 1917, la famine menaçait vraiment. Et pas seulement la famine, mais un chômage de masse. Le transport ferroviaire était complètement désorganisé et les usines avaient du mal à tourner.
Les patrons en rajoutaient en sabotant la production afin de pouvoir fermer les usines, licencier en masse, déménager leur production dans l’Oural, se débarrasser de la classe ouvrière révolutionnaire de Petrograd. Les ouvriers, avec leurs comités d’usine, se battaient tous les jours pour garder leurs emplois, empêcher la fermeture des usines, nourrir leurs familles. La classe ouvrière de Petrograd était pour le pouvoir des soviets, elle soutenait les bolcheviks. Mais elle était sur la défensive. Dans cette situation, les bolcheviks furent ni débordés ni poussés en avant par la masse. C’était à eux de prendre l’initiative. Et c’est cette question qui dominait les débats dans le parti et surtout dans sa direction. Fallait-il, oui ou non, que le parti prenne l’initiative pour renverser le Gouvernement provisoire et instaurer le pouvoir des soviets ?
Deux courants dans le Parti bolchevique
Revenons un peu en arrière. Suite aux Journées de juillet les bolcheviks ont tenu leur congrès. Lénine, passé dans la clandestinité, était physiquement absent mais politiquement présent. D’autres dirigeants comme Trotsky et Kamenev étaient en prison. Le congrès témoignait, d’une manière plutôt voilée, de l’existence de deux courants dans le parti. Lénine considérait que le mot d’ordre « Tout le pouvoir aux soviets » était dépassé, relevant d’une période où un passage pacifique au pouvoir des soviets était possible, alors que maintenant il faudrait prendre le pouvoir par la force. Suite au congrès, le mot d’ordre «Tout le pouvoir aux soviets » disparaissait de la presse bolchevique pendant tout le mois d’aout, pour revenir après le coup de Kornilov. Il est clair que Lénine se trompait : sans soutenir forcément les dirigeants actuels des soviets, la classe ouvrière gardait confiance dans ces structures d’auto-organisation. D’ailleurs, une grande partie des cadres du parti le comprenait. Mais le vrai débat était centré sur la nécessité de prendre le pouvoir.
Suite à l’épisode Kornilov et la résistance commune avec les mencheviks et les SR, Lénine a brièvement envisagé un retour à la perspective d’un transfert pacifique du pouvoir aux soviets, déboussolant certains de ses camarades les plus proches. Mais le ralliement de ces partis à un nouveau gouvernement Kerensky, un « directoire » responsable devant personne, donc une dictature en herbe, a mis fin à cette idée.
Dès lors, Lénine a mené un combat inlassable dans le parti en faveur d’une insurrection. Devant le refus du CC de publier ses articles, il est revenu à Petrograd sans son autorisation. A partir du début octobre, il a commencé à s’adresser aux instances intermédiaires du parti, tels le Comité de Pétersbourg, le Bureau régional de Moscou et les directions des organisations bolcheviques parmi les marins et les soldats. Il a fini par avoir gain de cause, à travers deux réunions du CC, les 10 et 16 octobre.
Pourquoi a-t-il pu gagner ? Pas simplement parce qu’il jouissait d’une grande autorité dans le parti, bien que cela soit vrai, ni parce qu’il était têtu. Il était profondément convaincu de deux choses. D’abord que la situation matérielle des ouvriers, qui se dégradait, rendait urgente une prise de pouvoir. Ensuite, que si la situation actuelle continuait, il y aurait des mouvements de résistance spontanés et éclatés, permettant à un gouvernement même aussi faible que celui de Kerensky de les réprimer les unes après les autres et imposer une vraie dictature contre-révolutionnaire. Le point de vue de Lénine trouvait un écho plus important dans les instances intermédiaires du parti et à sa base que dans son comité central. C’est pourquoi à chaque fois qu’il rencontrait une forte opposition au sommet il était prêt à s’appuyer sur les cadres et militants de son parti et l’opinion des ouvriers, soldats et marins les plus combatifs.
Lénine insistait, presque seul, qu’il fallait prendre le pouvoir avant l’ouverture du deuxième congrès des soviets, qui était fixé pour le 25 octobre. Il avait raison: on n’organise pas une insurrection après un débat dans une assemblée de plusieurs centaines de personnes, dont une partie soutenait le gouvernement. En continuant à insister sur le rôle du parti, Lénine n’avait pas tort. Mais il n’a pas compris que l’insurrection n’aurait suffisamment de légitimité si elle était faite au nom d’un parti, même le Parti bolchevique. Ceux qui étaient sur place et qui partageaient la position de Lénine sur le fond, notamment Trotsky, insistaient qu’il fallait prendre le pouvoir au nom du Soviet de Petrograd. Dans cette perspective, le 9 octobre le Comité militaire révolutionnaire du Soviet – a été établi un jour avant le premier vote du CC bolchevique en faveur de l’insurrection…
L’insurrection et le nouveau pouvoir
Le principe de l’insurrection avait été décidé, mais pas la date. A partir du 21 octobre, le CMR commençait à systématiquement affirmer son autorité sur les unités de la garnison et à mettre la main sur l’essentiel des stocks d’armes et munitions de la ville. Kerensky a compris le danger et s’est résolu à prendre des contre-mesures. Sa première mesure, au matin du 24 octobre, était d’envoyer des troupes à l’imprimerie de la presse bolchevique, qui a été fermée. Peu de temps, après elle a été rouverte par des soldats du régiment Litovsky agissant aux ordres du CMR. C’était en effet le premier pas de l’insurrection. Avec pas mal d’hésitations et de faux pas, elle s’affirmait dans la journée du 24 et la nuit suivante, en s’emparant des gares, centres de télécommunications, casernes et forteresses, du réseau d’électricité. Les ponts sur le fleuve Neva et les principales artères furent mis sous contrôle du CMR. Quand le congrès des Soviets s’est réuni le 25, le seul verrou qu’il restait à faire sauter était le Palais d’Hiver, où s’était retranché le Gouvernement provisoire. Ce sera fait le soir même et les ministres furent arrêtés – sauf leur chef, Kerensky, qui avait réussi à s’échapper.
Pendant que Trotsky faisait un rapport sur le progrès de l’insurrection, Lénine est entré dans la salle, faisant sa première apparition publique depuis presque quatre mois. Devant un tonnerre d’applaudissements il a fait une brève allocution qui se terminait ; « En Russie nous devons maintenant nous consacrer à la construction d’un Etat socialiste prolétarien. Vive la révolution socialiste mondiale ». Plus tard, il présentera des projets de décrets sur les questions clefs de la paix, la terre, la légalisation du contrôle ouvrier dans les usines, qui furent adoptés par le congrès et constitueront le programme du nouveau pouvoir.
L’insurrection avait été effectuée par les secteurs les plus décidés parmi les ouvriers, soldats et marins. Mais elle a été accueillie avec enthousiasme dans les usines. D’abord, pour le fait que le pouvoir des soviets avait été établi, ensuite pour ses premiers décrets. Sans ce soutien, qui était massif, soit l’insurrection n’aurait pas eu lieu, soit le nouveau pouvoir ne serait pas resté longtemps en place.
Sur 670 délégués au congrès, 300 étaient bolcheviks. Avec l’apport des SR de gauche, qui avaient participé à l’insurrection, ils étaient majoritaires. Et encore plus majoritaire après le départ des mencheviks et des SR, qui ont quitté la salle, en apparence pour protester contre « le coup d’Etat bolchevique », en réalité parce qu’ils étaient farouchement opposés au pouvoir des soviets.
La gauche menchevique, les mencheviks internationalistes, dirigés par Martov, sont restés un peu plus longtemps, condamnant eux aussi le « coup d’état » et exigeant un gouvernement de toute la démocratie, avant de quitter la salle. Ce gouvernement de « toute la démocratie », devait aller des socialistes les plus à droite aux bolcheviks, de ceux qui soutenaient le Gouvernement provisoire et ceux qui venaient de le renverser, de ceux qui étaient pour la guerre et ceux qui se battaient contre. Un tel attelage semble a priori absurde. Il l’était, pour ceux qui soutenaient le pouvoir des soviets dans une perspective de révolution socialiste. Pour ceux qui pensaient, comme les mencheviks, même de gauche, et de fait la minorité droitière du Parti bolchevik, qu’il fallait une période prolongée de développement capitaliste et de démocratie avant de pouvoir parler de socialisme, il ne l’était pas. Et la confrontation entre ces deux allait dominer la première semaine du nouveau régime. Pour l’instant, le premier gouvernement des soviets (le Conseil des commissaires du peuple) était entièrement bolchevique, les SR de gauche préférant attendre pour voir si un gouvernement plus large était possible.
Le Comité militaire révolutionnaire du Soviet de Petrograd, sous la direction bolchevique, avait mené l’insurrection pour transférer le pouvoir au deuxième congrès des soviets. Il n’y avait en principe aucun problème avec la participation au gouvernement de partis qui reconnaissaient le pouvoir des soviets. Et c’était bien là la ligne de division. Pour la droite de la démocratie révolutionnaire, les mencheviks et les SR, la réponse coulait de source : ils n’allaient pas rompre leur alliance avec la bourgeoisie et leur soutien à Kerensky, ils n’allaient pas reconnaître le pouvoir des soviets. Pour Martov et son courant il y avait un choix à faire. Ils auraient pu pour le moins choisir de rester au congrès comme « opposition loyale ». Plus tard, ils ont fait ce choix. Mais au moment où l’avenir du pouvoir de soviets était en jeu, ils ont quitté le congrès.
Un gouvernement de « toute la démocratie » ?
Pour comprendre comment la question d’un « gouvernement de toute la démocratie » a pu prendre tellement d’importance, il faut regarder la situation au lendemain de l’insurrection. A Petrograd, l’insurrection avait triomphé et le Gouvernement provisoire avait été renversé Mais ce qui se passait dans le reste du pays était loin d’être clair. Et ensuite, le danger d’une contre-attaque par les forces loyales à Kerensky subsistait à Petrograd même.
Parmi les bolcheviks donc, même et peut-être surtout au Comité central, la peur de l’isolement et d’une victoire de la contre révolution était réelle. Dans cette situation, deux choses se passaient en parallèle. D’un côté, des pourparlers pour la formation d’un gouvernement large, de l’autre le combat contre les forces de Kerensky.
Les pourparlers ont eu lieu sous l’égide du Vikzhel, le syndicat des cheminots, lié aux mencheviks, bien que beaucoup de cheminots de base soutinssent les bolcheviks. Parmi les défensistes, on considérait que le gouvernement bolchevique était dans une situation de grande faiblesse et risquait d’être renversé par les forces de Kerensky. Ils ont donc adopté une attitude extrêmement dure, agressive et arrogante. D’abord, il n’était pas question que le gouvernement soit responsable devant le congrès des soviets. Ensuite, il y avait une surreprésentation des mencheviks et SR, directement et par l’intermédiaire d’une représentation du Comité exécutif qui avait été élu par le premier congrès des soviets en juin, de conseils municipaux, coopératives etc. Enfin, la participation des bolcheviks au gouvernement devait être par principe minoritaire et dans aucun cas Lénine ou Trotsky ne devraient en faire partie. C’est dans ce cadre que le comité central bolchevique a accepté de négocier. Pourquoi ? Pour la plupart d’entre eux, pour gagner du temps, le temps de voir ce qui se passait sur le terrain, ou pour faire la démonstration qu’un tel gouvernement était impossible. Pour Kamenev et ses partisans, parce qu’ils avaient toujours été opposés à l’insurrection, à l’idée d’une révolution socialiste, et qu’ils étaient vraiment prêts à accepter le type de gouvernement qui était proposé.
Le vent tourne
Cet épisode fut pourtant de courte durée. D’abord Lénine et Trotsky, qui n’ont pas participé à cette mascarade de négociations, se sont occupés de la défense de Petrograd. D’abord une révolte des cadets militaires à Petrograd même a dû être maîtrisée. Ensuite des milliers de gardes rouges et de soldats ont réussi à disperser, dans les environs de la ville, une force de cosaques mobilisés par Kerensky, qui d’ailleurs ne voulaient pas vraiment se battre pour lui et abandonnaient vite. Enfin, après une semaine de combats, l’insurrection a triomphé à Moscou et on recevait des nouvelles de la prise de pouvoir par les soviets un peu partout. Cela mettait les négociations dans un autre rapport de forces : en réalité cela les rendait caduques.
Ensuite, quand le contenu des négociations était connu par les ouvriers et soldats, le soutien pour un gouvernement large s’est évaporé. Le gouvernement large qu’avaient voulu beaucoup d’entre eux devrait être un gouvernement responsable devant le congrès des soviets, pas autre chose. Ce n’est pas par hasard que le seul parti qui a ensuite accepté de participer au gouvernement avec les bolcheviks était le Parti SR de gauche, lequel avait aussi participé à l’insurrection et reconnaissait l’autorité du congrès des soviets.
Une semaine après l’insurrection, Lénine avait repris le dessus. L’évolution des rapports de forces sur le terrain avait coupé l’herbe sous les pieds des partisans d’un gouvernement large, y compris la droite bolchevique. Sommés à cesser leurs actions fractionnelles ou sortir du parti, ils ont choisi de se soumettre, en démissionnant du gouvernement et du CC. Aucune action disciplinaire n’a été prise contre eux et ils ont assez rapidement repris des positions de responsabilité.
Révolution socialiste
La question que Lénine avait commencé à poser dès son retour à Petrograd en avril, celle d’une révolution qui sera socialiste et pas simplement bourgeoise-démocratique, avait trouvé sa réponse dans les faits. Qu’est-ce que cela veut dire ? Simplement que pour répondre aux problèmes concrets de la classe ouvrière, du peuple, de la société russe, il fallait aller au-delà du capitalisme. Lénine l’avait bien expliqué dans « La Catastrophe imminente ». L’étape bourgeoise de la révolution, si on peut même parler ainsi, n’avait été rien d’autre qu’une démonstration étalée sur huit mois de l’incapacité totale de la bourgeoisie russe. Non seulement à remplir les tâches qu’on attribue à une révolution bourgeoise (démocratie, résolution de la question agraire…),mais même à faire tourner l’économie et nourrir la population. Parce que cette bourgeoisie ne pouvait pas rompre avec la classe de propriétaires fonciers et donner la terre aux paysans et il ne pouvait pas sortir de la guerre et commencer à reconstruire le pays à cause de sa subordination aux impérialismes français et britannique.
Il ne s’agissait pas pour les bolcheviks d’avoir l’illusion de pouvoir construire une société socialiste dans la seule Russie. Lénine parlait de « pas vers le socialisme », en comptant sur la victoire de révolutions socialistes dans les pays plus avancés d’Europe, avant tout l’Allemagne, pour venir à l’aide de la Russie. C’est la défaite de toutes les tentatives de révolution en Europe et l’isolement de la Russie soviétique qui a préparé le terrain pour la dégénérescence de la révolution russe et le stalinisme.
Y avait-il une alternative démocratique à la prise du pouvoir par les soviets? Rien ne permet de l’affirmer. La tendance du Gouvernement provisoire au fil des mois entre février et octobre était vers la dictature, pas la démocratie. Et la bourgeoisie russe était convaincue que seule une dictature pouvait consolider son pouvoir. Le choix dans la Russie de 1917 était soit Kornilov-Kerensky, soit Lénine et les bolcheviks. Tertium non datur. Il n’y avait pas de troisième choix.
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(1) « La démocratie révolutionnaire » ou simplement « la démocratie » désignait la gauche socialiste dans son ensemble.
(2) Le terme « défensistes » décrivait ceux qui soutenaient la guerre impérialiste, contre les « internationalistes » qui y étaient opposés.
01-12-2017
Alexandra Kollontai – révolutionnaire et féministe
En Russie, le 8 mars 1917, Journée internationale des femmes (23 février 1917 selon le calendrier grégorien), des ouvrières du textile déclenchent la révolution russe. Après un hiver de misère insupportable, ouvrières et ménagères défilent dans les rues de Petrograd pour réclamer du pain, le retour de leurs maris partis au front, la paix et… la république. Cela malgré des consignes du parti bolchévique de ne pas manifester. Un grand nombre d’ouvriers des usines se joignent à la grève et participent à leur cortège. Ce fut « le premier jour de la Révolution » comme le reconnaît Trotski dans son Histoire de la révolution russe. Du textile, la grève s’étend rapidement à tout le prolétariat de Petrograd. Les manifestantEs scandent « du pain », suivi de « paix immédiate », puis « à bas le tsar ». La grève de masse se transforme en insurrection, lorsque la garnison rejoint les insurgés, les soldats se rangent du côté des manifestants et en cinq jours le régime autocratique est balayé.
Les femmes ont donc joué un rôle important dans la chute du régime tsariste et ont également été protagonistes dans les premières années de l’élan révolutionnaire où tout semblait possible. Aujourd’hui, si on parle de révolution russe on y associe surtout des hommes, comme Lénine, Trotski, Kamenev, Kerenski et j’en passe. Rarement, ou entre parenthèses, on mentionne Krupskaja, Inessa Armand et Alexandra Kollontai. Ce fut la dernière qui avait les idées les plus avancées sur la libération des femmes, notamment en ce qui concerne la libération sexuelle.
Kollontai et la révolution de 1905
Alexandra Domontowitsch est née à Saint Petersbourg en 1872, fille d’un général russe, elle était mariée à Vladimir Kollontai, dont elle porta le nom, mais s’éloignait de lui comme elle s’intéressait de plus en plus aux idées révolutionnaires. Elle étudiait la psychologie de l’enfance et les théories d’éducation (Froebel). Une expérience clef pour elle fut la grève de 1896 des ouvrières du textile. Elle partit étudier l’économie politique à Zurich et écrivait une « Histoire du mouvement des femmes ouvrières »[1] où elle décrivit le militantisme des femmes de St. Pétersbourg dans les années 1890. Dans un texte de 1920 « Pour une histoire du mouvement ouvrier féminin de Russie »[2] elle reprend ses idées de l’époque :
« Il convient de noter que les vagues spontanées de grèves qui, dans les années 1870 et au début des années 1880, poussèrent le prolétariat russe à l’action, touchèrent en particulier l’industrie textile, où une force de travail féminin à bon marché était invariablement employée …/… Il n’en était pas moins extraordinaire que la jeune travailleuse, politiquement naïve et ployant désespérément sous le poids de rudes, d’insupportables conditions de travail, méprisée par tous (même par la moitié féminine de la petite-bourgeoisie urbaine dont elle différait par sa ferme fidélité aux vieilles traditions paysannes) soit à l’avant-garde, combattant pour les droits de la classe ouvrière et pour l’émancipation des femmes ».
En 1905, après le dimanche rouge, où des centaines d’ouvriers et d’ouvrières manifestant paisiblement furent massacrés par les forces tsaristes, l’exclusion des femmes des élections des députés ouvriers de la commission Chidlovsky, instaurée par le tsar pour examiner les raisons de ce massacre (sic !), fut la source d’un profond mécontentement entre elles.
« Les députées ouvrières ne sont pas autorisées à siéger à la commission dont vous avez la présidence. Cette décision est injuste. Dans les usines et fabriques de Saint-Pétersbourg, il y a plus de femmes que d’hommes. Le nombre de femmes employées dans les usines textiles augmente chaque année. Les hommes se dirigent vers les usines offrant de meilleurs salaires. La charge de travail des femmes est plus lourde. Les employeurs profitent de notre impuissance et de notre absence de droits. Nous sommes plus mal traitées que les hommes et payées moins qu’eux. Quand cette commission a été annoncée, nos cœurs se sont remplis d’espoirs ; enfin, avons-nous pensé, le moment approche où l’ouvrière de Saint-Pétersbourg pourra s’adresser à la Russie entière et, au nom de toutes ses sœurs ouvrières, révéler l’oppression, les insultes et les humiliations dont nous souffrons et auxquelles les ouvriers hommes ne connaissent rien. Et alors que nous avions déjà choisi nos représentantes, nous avons été informées que seuls des hommes pouvaient être élus députés »
Le droit de vote et les féministes « bourgeoises »
La question du droit de vote pour les femmes demeurait un sujet d’actualité, en Europe comme en Russie, où des organisations de « femmes bourgeoises » collectaient des signatures y compris dans les milieux ouvriers où la pétition fut massivement signée.
Kollontai explique cela par le fait que « les ouvrières commençaient à prendre conscience de leur statut politique inférieur en tant que femme, mais étaient encore incapables de mettre cela en relation avec la lutte générale de leur classe. Elles avaient encore à trouver le chemin qui mènerait à la libération des femmes prolétaires. Elles s’accrochaient encore aux jupons des féministes bourgeoises. Les féministes usaient de tous les moyens possibles pour établir des contacts avec les ouvrières et les gagner à leur cause. Elles essayèrent de recueillir leur soutien et de les organiser au sein d’unions prétendument situées « au-delà des classes », mais qui étaient en fait bourgeoises de part en part. Cependant, un sain instinct de classe et une profonde méfiance à l’égard des « dames » préservèrent les ouvrières du féminisme et empêcha toute relation durable et solide avec les féministes bourgeoises. »
Même si, à l’époque, il est vrai qu’un gouffre séparait les intérêts des femmes de la bourgeoisie de ceux des ouvrières, il n’en reste pas moins qu’il y avait des revendications qui les unissaient, ce que Kollontai n’admettait pas, elle défendait la suprématie absolue des intérêts de classe et se moquait du « féminisme » bourgeois. L’aspiration à l’« action indépendante » formulée par les féministes bourgeoises était selon elle secondaire. Leurs préoccupations étaient étroites et elles formulaient « des « revendications féminines » exclusivement. Les féministes ne pouvaient pas comprendre la dimension de classe du mouvement embryonnaire des ouvrières. » Elle ne voyait pas que la naissance d’un mouvement féministe même dans les classes bourgeoises était elle-même le fruit d’une époque révolutionnaire, et que les revendications féministes allaient aussi à l’encontre du régime autocratique tsariste. Par ailleurs, elle se souciait que même des sociales-démocrates, des menchéviks et… quelques bolchéviques sympathisaient avec les nouvelles organisations féministes créées après 1906. « À cette époque, la position à présent acceptée par tous – que, dans une société fondée sur les contradictions de classes, il n’y a pas de place pour un mouvement des femmes embrassant sans distinction toutes les femmes – devait être conquise de haute lutte. Le monde des femmes est divisé, comme celui des hommes, en deux camps : l’un est, en termes d’idées, d’objectifs et d’intérêts, proche de la bourgeoisie, l’autre du prolétariat, dont les aspirations à la liberté renferment l’entière solution de la question féminine. Ainsi, les deux groupes, bien qu’ils partagent le slogan général de la « libération des femmes », ont des objectifs différents, des intérêts différents et des méthodes de lutte différentes. »
Entretemps, les revendications sur les droits civiques faisaient tâche d’huile chez les ouvrières qui se les appropriaient tout naturellement.
Lettre à la première Douma en 1906 : « En ce grand moment de lutte pour les droits, nous, les paysannes du village de Nagatkino, saluons les représentants élus qui expriment leurs suspicions à l’égard du gouvernement en réclamant la démission du ministère. Nous espérons que les représentants soutiendront les membres du peuple, leur donneront des terres et la liberté et ouvriront les portes des prisons pour libérer ceux qui combattent pour la liberté et le bonheur du peuple. Nous espérons que les représentants obtiendront les droits civiques et politiques pour eux-mêmes et pour nous, les femmes russes, qui sommes traitées avec injustice et privées de droits, y compris au sein de nos familles. Souvenez-vous qu’une esclave ne peut être la mère d’un citoyen libre. » (Soixante-quinze femmes de Nagatkino.)
Kollontai est d’avis que « les femmes du prolétariat …/… ne considèrent certainement pas les hommes comme des ennemis ou des oppresseurs. Pour elles, les hommes de la classe ouvrière sont des camarades qui partagent la même triste existence ; ce sont de fidèles combattants dans la lutte pour un avenir meilleur. Les mêmes conditions sociales accablent les femmes et leurs camarades masculins, les mêmes chaînes du capitalisme pèsent sur eux et assombrissent leur vie. Il est vrai que certaines spécificités de la situation présente engendrent un double fardeau pour la femme, et les conditions d’emploi de la main-d’œuvre font que, parfois, la femme est perçue comme l’ennemi plutôt que comme l’ami des hommes. La classe ouvrière comprend néanmoins cette situation. »[3]
A cause de la répression farouche contre les révolutionnaires, Kollontai dut quitter la Russie durant les années 1907-1917. Elle visita l’Allemagne, y participa au Congrès international de l’Internationale socialiste, précédée d’une conférence des femmes socialistes, où justement la question du droit de vote fut vivement débattue. En Autriche, où le droit de vote pour les ouvriers masculins n’était pas encore acquis, les hommes socialistes argumentaient de revendiquer d’abord le droit de vote pour les hommes et puis celui pour les femmes. Clara Zetkin, Kollontai et les autres femmes présentes étaient strictement contre cette attitude. Le militarisme et la guerre étaient les autres sujets principaux de ce congrès. Les divergences en cette manière mèneront plus tard à la destruction de la Deuxième Internationale. [4]
Ces discussions influençaient aussi l’effondrement du mouvement de femmes pour le droit de vote où les courants pour ou contre la guerre, le nationalisme et le militarisme ne rendaient plus une action unitaire possible (p.ex. le mouvement des suffragettes en GB). La vision de Kollontai sur les intérêts divergents de classe dans le mouvement des femmes avait donc une part de vérité. Mais elle ignorait aussi les différents courants des suffragettes, comme le groupe de Sylvia Pankhurst qui ne se limitait pas à la revendication du droit de vote, mais exigeait le salaire égal, luttait contre l’arrestation de femmes comme prostituées, parce qu’elles se promenaient seules, gérait une crèche et une fabrique de jouets.
Pendant ses années d’exile elle séjournait également aux Etats Unis, en Angleterre et devenait l’amie de Rosa Luxemburg et de Karl Liebknecht, les deux révolutionnaires allemands, qui plus tard se prononçaient contre la guerre, en opposition avec la majorité des socialistEs allemandEs.
La révolution
En 1917, Kollontai rentre en Russie après la révolution de février. En avril, elle soutenait les thèses de Lénine sur la prise de pouvoir immédiate par les soviets, la conquête de la majorité pour les bolchéviques dans les soviets et la fin de la guerre etc… Elle devenait la première femme membre du Comité central et après la révolution, Ministre des Affaires sociales et plus tard responsable pour l’éducation. Ses idées pour la libération des femmes en Russie et surtout pendant les premières années révolutionnaires sont indéniables. Dès la prise de pouvoir, les bolchéviques ont introduit des changements majeurs pour la condition des femmes, au travail et dans la vie quotidienne. Assurance-maladie gratuite, création d’un Département pour la protection de la maternité et de l’enfance. En six mois, la dominance de l’Eglise sur le contrôle des mariages fut balayée par l’introduction du divorce par consentement mutuel, et l’égalité des femmes devant la loi dans tous ses domaines fut établie. Un véritable exploit dans un pays rétrograde soumis à une répression féroce tel qu’était la Russie de l’époque avant la révolution. Des équipements collectifs étaient créés pour permettre aux femmes de se libérer des tâches domestiques ingrates en vue d’une socialisation du travail domestique. Mais les femmes de la campagne opposaient parfois une grande résistance aux tentatives d’en haut pour abolir les divisions sexuelles du travail. Dans les villes, les ouvrières étaient plus enclines à envisager un changement dans les relations familiales et à accepter des cantines et des crèches, étant donné que par les conditions de travail difficiles la famille de toute façon se désagrégeait, mais sans qu’une alternative valable de la vie en commun ne se pointe à l’horizon.
La guerre civile faisait rage, beaucoup de révolutionnaires de la première heure avaient disparu, la Russie était isolée, la famine et la pauvreté s’installaient. Kollontai, dans un élan d’enthousiasme sous-estimait la persévérance des attitudes et de la culture anciennes, à l’extérieur comme à l’intérieur du parti. A cause des changements majeurs dans les premières années de la révolution, elle imaginait déjà la disparition de la famille et du travail domestique. Mais la famille redevint le seul havre de paix et de sécurité après les épreuves terribles vécues par la population.
Ses idées sur le marxisme et la libération sexuelle allaient à l’encontre de la morale réactionnaire de beaucoup de ses camarades du parti, à plus forte raison lorsqu’elle faisait partie de l’opposition. En outre, à une époque où une contraception sûre n’était pas accessible, les conséquences de l’amour libre ne pouvaient mener qu’à des situations de détresse pour les femmes. Ses idées dans ce domaine étaient d’avant-garde et non reprises par les masses de femmes russes.
L’avortement ne fut légalisé qu’en 1920. Il était justifié par la « survivance de la morale du passé et des conditions économiques difficiles du présent, qui contraignent de nombreuses femmes à recourir à cette intervention », mais c’était un fléau qu’il fallait faire disparaître. La question de la contraception et du contrôle de la fécondité par les femmes n’était pas posée.[5]
Lors de la discussion sur la marche que devait emprunter la révolution, Kollontai faisait partie de l’Opposition ouvrière et se confrontait avec Trotzki e.a. sur la gestion des entreprises par les ouvriers eux-mêmes ou par une instance centrale, l’Etat. Il s’agissait de la question combien d’autonomie donner aux différents groupes sans mettre en question la révolution elle-même. Lorsque l’Opposition ouvrière fut qualifiée de fraction, ses idées opprimées et que progressivement les purges staliniennes annihilaient physiquement toute opposition, les possibilités d’expérimenter des idées nouvelles, de créer une nouvelle culture s’arrêtaient. Kollontai était mutée au Ministère des Affaires Etrangères et partait en mission en Norvège, au Mexique et en Suède. Elle fut épargnée des purges, parce qu’elle cessait de poser des questions dérangeantes. Elle mourut en 1952 à l’âge de 80 ans.
« Ses arguments pour l’organisation spécifique des femmes, son insistance non seulement sur l’émancipation politique mais aussi sur la situation dans la famille et les effets psychologiques de centaines d’années d’oppression sur la conscience des femmes nous concernent encore maintenant. Son importance pour le contrôle d’en bas, son emphase pour comprendre la création d’une culture nouvelle et la reconnaissance d’une relation entre expérience personnelle et conscience politique sont intéressants pour le mouvement révolutionnaire en général. »[6]
Résistance à l’organisation des femmes par les socialistes
Dans les années 1905-1907, la tentative d’organiser les femmes ouvrières dans des organisations indépendantes ne rencontrait pas mal de résistance dans les partis ouvriers. Kollontai était membre du parti menchévik, mais se dirigeait politiquement vers les bolchéviks. « La direction du parti était absorbée dans des tâches sérieuses et urgentes et, bien qu’elle ait reconnu sur le principe l’utilité de ce type de travail, elle ne fit rien pour aider ou soutenir le travail du groupe. Les camarades de base ne saisissaient souvent pas le sens de ce que nous faisions et identifiaient nos activités à celles du « féminisme abhorré ». Ils ne prodiguaient aucun encouragement et allaient même jusqu’à essayer d’entraver les activités du groupe. » Kollontai essaye de trouver une excuse à cette attitude sans comprendre entièrement qu’avec ses attaques des féministes « bourgeoises », elle avait livré elle-même l’argument contre l’organisation indépendante des femmes ouvrières : « Une telle attitude était fondée sur la peur, aisément compréhensible, que les ouvrières puissent quitter le mouvement de classe auquel elles appartenaient et tomber dans le piège du féminisme. » (sic !)
Néanmoins, les activistes (féministes dirait-on aujourd’hui) socialistes continuaient leur travail d’organisation chez les ouvrières et des clubs foisonnaient partout. Ainsi, en 1908, au Congrès panrusse de femmes, convoqué par les organisations de femmes bourgeoises, 45 femmes des 700 participantes furent des socialistes et 30 d’entre elles furent des ouvrières d’usine.
Reconnaissance du droit d’organisation des femmes jusqu’à sa négation
Le principe d’organisation spécifique des femmes au sein du parti fut graduellement acquis, mais la discussion fut cantonnée à l’organisation à l’intérieur du parti. On n’envisageait pas la possibilité d’un mouvement à l’extérieur du parti, considéré automatiquement comme bourgeois. Cependant, des organisations de femmes social-démocrates avaient existé dans les pays scandinaves dans les années 20, jusqu’à ce que le mouvement communiste international leur ordonne de fusionner avec les organisations du parti. [7]
En Russie, après la révolution, en 1918, au Congrès des ouvrières et paysannes on relevait un réseau national d’organisations de femmes, les « départements » qui recevaient de plus en plus de pouvoir d’initiative. Les Genotdel, comme on les appelait étaient représentées à toutes les instances du parti, elles avaient leurs locaux, éditaient des journaux et défendaient les intérêts des femmes dans le parti, dans les syndicats et dans les soviets.
Avec l’introduction de la NEP, la réduction draconienne des dépenses publiques et la suspension des crédits pour les équipements collectifs, on s’appuyait sur l’impossibilité momentanée de prendre des mesures pour la libération des femmes pour grignoter les droits des départements de femmes. Peu à peu et surtout avec la contre-révolution stalinienne, les genotdel disparaissaient pour finalement être déclarées « superflues », leur journal « Kommunitska » ne paraissait plus et la libération de la femme fut déclarée acquise !
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[1] Non traduit du russe
[2] Les citations en lettres cursives proviennent de ce texte
[3] Souligné par nous
[4] Alexandra Kollontai
Women Workers Struggle for their Rights
Extrait de l’introduction de Sheila Rowbotham (traduit par nos soins)
[5] Femmes et mouvement ouvrier éditions la brèche, article d’Alix Holt p.109-114
[6] Idem Alexandra Kollontai…
[7] Femmes et mouvement ouvrier … p.126
11-07-2017
Les Journées de juillet 1917
Suite à la crise d’avril la tension politique avait baissé un peu, mais la ligne de démarcation entre les bolcheviks et les groupes proches d’eux d’un côté et de l’autre les partis majoritaires au Soviet, qui soutenaient et participaient au Gouvernement provisoire, était maintenant clairement tracée. Le mois de juin a vu une série de bouleversements, culminant début juillet dans un mouvement insurrectionnel visant à transférer le pouvoir aux Soviets. Puisque les soldats de la garnison de Petrograd ont joué un rôle de premier plan dans cette phase de la révolution, commençons par là.
Au printemps 1917 la garnison de Petrograd et ses alentours comptait, d’après l’historien américain Alexandre Rabinowitch, entre 215,000 et 300,000 hommes. C’était donc une force considérable. En 1905 la garnison de Petrograd était restée loyale à la monarchie, ce qui a permis au régime tsariste de survivre. En février 1917 le fait qu’un bonne partie des troupes avait basculé du côté de la révolution, alors que d’autres restaient neutres, a sonné la fin de la dynastie des Romanov. Il était donc clair que cette concentration de troupes dans et autour de la capitale allait d’une manière ou d’une autre jouer un rôle important pour le cours futur de la révolution. Par conséquent tous les partis, même les partis bourgeois, ont créée des organisations militaires afin d’intervenir parmi les soldats. Les bolcheviks accordaient une importance particulière à ce travail: ils cherchaient à établir des cellules non seulement dans chaque régiment mais même aux niveaux des bataillons et compagnies. D’abord, dans la perspective de la lutte pour le pouvoir, il fallait gagner cette force au bolchevisme. Ensuite, puisque la grande masse des soldats était d’origine paysanne, c’était un moyen, pour un parti implanté essentiellement dans la classe ouvrière, de tisser des liens avec la paysannerie. Et le terrain était fertile. Les soldats manquaient d’enthousiasme pour devenir de la chair au canon et la propagande antiguerre des bolcheviks était plutôt bien reçue.
L’Organisation militaire
L’Organisation militaire bolchevique a été créée le 31 mars. Entre le 15 avril et le 5 juillet elle publiait six jours par semaine le journal Soldatskaïa Pravda, avec un tirage de 50,000, à moitié diffusé à Petrograd, à moitié envoyé au front. Au moment de la première conférence nationale de l’Organisation militaire en juin elle comptait 26,000 membres du parti dans l’armée de terre et la marine. La quasi-totalité d’entre eux avait adhéré depuis la révolution de février.
Cette percée importante parmi les soldats comportait pourtant quelques problèmes. Ces jeunes soldats d’origine paysanne étaient venus vers le bolchevisme attirés par les mots d’ordre: Tout le pouvoir aux soviets, la terre aux paysans, la fin de la guerre. Ils voulaient les réaliser tout de suite, alors que le parti considérait «Tout le pouvoir aux soviets» comme une ligne de marche stratégique qui ne deviendra une perspective immédiate qu’au moment où elle était clairement soutenu par la majorité dans les soviets. L’impatience naturelle des soldats (qui était partagée aussi par beaucoup des nouveaux adhérents ouvriers) était renforcée par les tentatives du gouvernement de restaurer la discipline militaire, transférer des troupes au front, dans la perspective de la première offensive militaire depuis la révolution de février, offensive qui aura lieu en juin. Il faut ajouter à cela le rôle des dirigeants de l’Organisation militaire, dont la plupart se trouvait bien sur la gauche et même l’extrême gauche du parti; c’était notamment le cas de ses deux principaux dirigeants, Vladimir Nevsky et Nicolas Podvoisky. Le Parti bolchevik en 1917 était beaucoup moins discipliné que l’a présenté l’historiographie soviétique pendant de décennies. Non seulement il y a eu des vifs débats, mais des militants et dirigeants cherchaient souvent à tirer la ligne du parti dans leur sens. Vers la gauche comme Nevsky ou Podvoisky, ou vers la droite comme Kamenev et d’autres.
Cette combinaison de l’impatience des jeunes soldats et ouvriers, la pression du gouvernement contre les droits acquis en février et la volonté d’en découdre des dirigeants de l’Organisation miltaire créait un cocktail explosif qui allait détoner début juillet. Et les nouveaux adhérents joueraient un rôle important dans ce cocktail. Le parti à Petrograd est passé de 2,000 en février à 16,000 en avril et 32,000 en juin. Pendant cette période 2,000 soldats de la garnison ont adhéré et 4,000 participaient au Club Pravda, une structure sympathisante.
Vers une manifestation armée?
L’idée d’une manifestation – armée – des soldats étaient discutée à la mi-mai par l’Organisation militaire, qui a soumis une proposition en ce sens au Comité central du parti. La proposition n’était pas retenue. Mais elle correspondait manifestement aux sentiments d’une grande partie de la garnison. Si le parti ne décidait pas d’organiser une telle manifestation, il était probable que certains régiments le fassent quand même. Il y avait aussi pendant cette période l’influence de l’organisation des anarcho-communistes, qui ne se souciaient pas d’un travail patient pour convaincre la majorité et qui combinait des actions avec de mots d’ordre simpliste du genre «à bas le gouvernement et le capital». L’idée d’une manifestation que les bolcheviks allaient diriger commençait à sembler raisonnable: une démonstration de force et un moyen de renforcer davantage l’influence du parti dans les casernes. D’intenses débats ont eu lieu dans les premiers jours de juin. La droite du parti bolchevique, les modérés si on veut, était opposée à la manifestation, craignant que cela puisse provoquer une épreuve de forces avec la majorité du soviet avant que les bolcheviks soient assez forts. D’un certain point de vue ils n’avaient pas tort. Mais la vue de la majorité et de Lénine était que l’état d’esprit dans les casernes nécessitait d’organiser une action. En fait, dans le débat il y avait en réalité trois positions. La droite, qui ne voulait pas de manifestation; Lénine et d’autres, qui voulaient une manifestation comme démonstration de force; et un certain nombre de responsables dans l’Organisation militaire et dans les usines qui pensaient ou espéraient que la manifestation pourraient aller plus loin, au sens de devenir une insurrection.
Finalement la manifestation était fixée pour le 10 juin. Le tract d’appel des bolcheviks portait les mots d’ordre: «A bas le Douma [Parlement] tsariste», «A bas les dix ministres capitalistes», «Tout le pouvoir aux Soviets de députés ouvriers, soldats et paysans» «Réviser la déclaration des droits des soldats», «Retirer les ordres contre les soldats et marins»; «II est temps de terminer la guerre». Une combinaison de revendications spécifiques concernant les soldats et de mots d’ordre politiques plus généraux.
Pendant ce temps le premier Congrès des soviets de toute la Russie se réunissait, dominé par le bloc menchevik-socialiste révolutionnaire (SR) qui soutenait le Gouvernement provisoire et y participait; les bolcheviks constituaient une minorité au congrès. Dans la soirée du 9 juin le congrès a adopté un appel aux ouvriers et soldats, leur demandant de ne pas manifester le lendemain. La fraction bolchevique et les Mezhrayontsi (le groupe de Trotsky, qui allait bientôt intégrer le Parti bolchevique) se sont abstenus. Plus tard dans la soirée la direction bolchevique décidait de ne pas aller contre l’appel des soviets. A trois heures du matin, à l’imprimerie de la Pravda, on substituait à l’appel à manifester un appel à ne pas manifester…. Pendant la nuit les délégués des partis majoritaires aux soviets faisaient le tour des usines et casernes. Un correspondant des Izvestia en a donné la description suivante : «Le Congrès n’avait aucune autorité dans bon nombre des usines et ateliers et dans plusieurs régiments (…) Les membres était fréquemment reçus d’une manière qui était loin d’être amicale, parfois avec hostilité et assez souvent ils étaient renvoyés couverts d’insultes». Plusieurs usines et régiments ont adopté des résolutions précisant qu’ils suivaient les consignes du Parti bolchevique et pas celles du Congrès ou du Gouvernement provisoire. Dans certains endroits, notamment à la base navale de Kronstadt, la direction bolchevique en a pris pour son grade pour avoir annulé l’appel à manifester.
L’appel à la manifestation armée du 10 juin, l’opposition du Congrès des Soviets et l’annulation de la manifestation par les bolcheviks ont eu des répercussions des deux côtés. Du côté de la majorité du congrès il y a eu un débat d’une rare violence. Une partie, représentée notamment par le dirigeant menchevik Tsereteli, voulait remplacer le débat avec les bolcheviks par la répression de leurs activités. Une autre partie, avec en tête un autre dirigeant menchevik, Dan, s’y opposait avec force, en argumentant que s’attaquer aux bolcheviks, c’était s’attaquer aux masses qui les suivaient. Il proposait de continuer le combat politique mais d’interdire les manifestations armées. Cette position était majoritaire, de justesse. Du côté bolchevique, Lénine et le CC ont été vivement critiques par le Comité du parti de Petrograd pour avoir annulé la manifestation du 10 juin. Lénine a été plutôt conciliant: et il a souligné que les propos de Tsereteli le faisaient passer carrément dans le camp de la contre-révolution.
Une manifestation bolchevique
Par la suite, le Congrès des soviets a décidé d’appeler à sa propre manifestation le 18 juin, afin de mobiliser sur ses propres mots d’ordre. Les bolcheviks ont sauté sur l’occasion et ont commencé à mobiliser très sérieusement. De leur côté les anarcho-communistes ont aussi mobilisés, cherchant à tirer le maximum de bénéfices du recul des bolcheviks le 10 juin. Les bolcheviks ont donc parallèlement consacré beaucoup d’énergie à combattre les anarchistes.
Le 17 juin le général Polovtsev, commandant en chef de la région militaire de Petrograd, faisait son rapport à Alexandre Kerenski, Ministre de la Guerre. Il constatait «un mécontentement croissant à l’égard du Gouvernement provisoire et une montée du soutien au mot d’ordre ‘Tout le pouvoir aux soviets d’ouvriers et soldats’. Dans cette situation, malgré toutes les mesures qui sont prises, il n’est pas certain que la manifestation grandiose qui se prépare ne prenne pas une forme indésirable ». Le général était bien renseigné.
Le 18 juin les dirigeants de la majorité au Congrès ont pris la tête de la manifestation: à un moment ils l’ont quitté pour s’installer sur une tribune et regarder les cortèges passer. La manifestation était énorme, environ 400,000 personnes. Et elle était, de manière écrasante, spectaculaire, bolchevique. Usine après usine, régiment après régiment, les manifestants défilaient avec sur leurs banderoles les mots d’ordre bolcheviques, ceux de la manifestation avortée du 10 juin, qui se trouvaient d’ailleurs à la une de la Pravda du 18 juin. Les marins de Kronstadt avait envoyé un cortège et parmi les manifestants défilaient les membres du comité central bolchevique et les délégués à la conférence panrusse de l‘Organisation militaire. C’était une démonstration de force, non pas pour la majorité du Soviet comme prévu, mais pour les bolcheviks. A ce moment-là ceux-ci était déjà sans doute, à Petrograd, majoritaire parmi le ouvriers et les soldats ; de la garnison.
Les anarcho-communistes avaient aussi défilé en force, les seuls à porter des armes. Après la manifestation ils sont rentrés au quartier ouvrier Vyborg quartier où ils ont pris une initiative qui allait avoir des répercussions. Le 9 juin, le gouvernement avait fait arrêter Khaustov, rédacteur-en-chef d’un journal bolchevique qui circulait parmi les troupes au front. Les anarcho-communistes ont libéré Khaustov et d’autres détenus politiques. Le lendemain des forces loyales au gouvernement ont pris d’assaut le siège des anarcho-communistes, tuant l’un de leurs dirigeants. Malgré le caractère pacifique de la manifestation du 18, les tensions restaient vives parmi les ouvriers et les soldats et l’épisode de l’attaque contre les anarchistes les a ravivées.
Le même jour, le gouvernement a lancé l’offensive militaire. En face d’une armée autrichienne faible et démoralisée les progrès étaient rapides. Mais il était évident aux généraux que les troupes russes n’étaient pas vraiment prêtes à combattre. Ils seraient bientôt confrontés à une contre-offensive allemande, mais avant cela des évènements décisifs allaient se dérouler à Petrograd.
L’Organisation militaire a tenu sa première conférence panrusse du 16 au 23 juin. Lénine est venu s’adresser aux délégués le 2O; ses propos étaient clairs et sans ambiguïté: «Nous devons être particulièrement clairs et prudents, afin de ne pas être entrainé dans une provocation (…) un seul mauvais pas de notre part peut tout détruire. Si nous étions capable maintenant de s’emparer du pouvoir, il est naïf à penser que s’en étant emparé nous serions capables de le garder». Il a poursuivi en expliquant une fois de plus la nécessité d’avoir le soutien de la majorité avant que les soviets puissent prendre le pouvoir. Et que les contre-révolutionnaires voulaient caser ce processus en cherchant à provoquer les bolcheviks vers des actions prématurées. Il a conclu: «Il ne faut pas anticiper sur les événements. Le temps est de notre côté».
Les propos étaient clairs et sans ambiguïté. La situation à Petrograd l’était moins. Au niveau panrusse la tâche était bien de gagner patiemment l’adhésion de la masse des ouvriers et soldats. A Petrograd, cette adhésion était déjà en train d’être réalisée.
La situation à Petrograd
Petrograd, justement, avait toujours été à l’avant-garde de la révolution. La révolution de février avait commencé à Petrograd, suivie par le reste du pays. Les bolcheviks étaient plus forts à Petrograd qu’ailleurs, comme l’a montré la manifestation du 18 juin. Logiquement, ils étaient en train de devenir majoritaire dans la section ouvrière du Soviet de Petrograd. Mais la situation était beaucoup moins avancée dans d’autres villes, notamment Moscou. Ce décalage avec le reste du pays était le premier aspect de la situation à Petrograd. Le deuxième était le poids exercé par la présence dans la ville des casernes de la garnison de Petrograd. Parmi ceux-ci, les bolcheviks avaient à ce moment-là un soutien majoritaire. Mais là aussi il y avait un décalage entre Petrograd at ailleurs, même avec les troupes aux alentours de la ville. Et les soldats avaient une spécificité. A la différence des ouvriers, s’ils ne résistaient pas aux tentatives se restaurer la discipline militaire ils risquaient d’être envoyé au front et d’y laisser leur peau. Nous avions donc une situation où Petrograd état en avance par rapport au reste du pays, où les soldats pesait plus qu’ailleurs et ou la jeunesse et l’inexpérience des nouveaux adhérents ouvriers et soldats les poussait à l’action.
Cette situation compliquée et de plus ne plus explosive trouvera son reflet dans les instances du parti bolchevique, en particulier le Comité de Petrograd et l’Organisation militaire de la ville. Les débats n’étaient pas faciles. Face à la majorité du CC un nombre croissant de cadres prônait plus ou moins ouvertement une ligne insurrectionnelle. Et entre les deux, un nombre important ne rejetait pas la ligne majoritaire du CC mais qui était susceptible à l’ambiance qui régnait parmi les ouvriers et soldats. Dans une réunion du comité de Petrograd, le 20 juin, une résolution a été adopté, par 19 voix contre 2, préconisant un appel aux ouvriers de ne pas participer aux actions isolées. C’était la ligne du CC. Mais un amendement adopté par 12 contre 9 avait un autre son de cloche: «s’il devait se trouver impossible de retenir les masses, le parti devrait prendre le mouvement en main et l’utiliser pour faire pression sur le Soviet [de Petrograd] et le Congrès de Soviets». Cet amendement, qui ne soutenait pas une ligne insurrectionnelle, était pris comme un encouragement par ceux qui défendaient une telle ligne.
«Le moment actuel»
Le 22 juin une réunion informelle (et non-décisoire) a lieu entre le CC, le Comité de Petrograd et l’Organisation militaire: à l’ordre du jour, un seul sujet : «le moment actuel». La réunion montrait la distance entre l’appréciation des rapports de forces du CC et celle des cadres sur le terrain. Ainsi Semashko, dirigeant politique du Premier régiment de mitrailleurs (15,000 hommes…) assurait la réunion que «presque toute la garnison est avec nous». Ce n’était pas faux.
Dans la dernière semaine de juillet les orientations politiques de la Pravda et de Soldatskaïa Pravda divergeront. Le journal de l’organisation militaire ne publiait plus des articles sur la ligne du CC. A la veille des journées de juillet à la une de Soldatskaïa Pravda on pouvait lire. «Tout le pouvoir doit passer entre les mains des ouvriers, soldats et paysans. Ecartons du pouvoir la bourgeoisie et tous se sympathisants». Au cinquième anniversaire de la révolution, en 1922, Vladimir Nevsky écrivait franchement. Il expliquait que le 22 juin l’Organisation militaire a fait un état des lieux et a conclu: «L’organisation se renforçait constamment mais en même temps nous pouvions voir que ce serait impossible de restreindre les soldats de l’action révolutionnaire. Et nous avons pris la responsabilité d’élaborer un plan pour un mouvement armé. Que ce soit, nous avions décidé, le première tentative d’un soulèvement».
Dans les derniers jours de juin les pressions pour des transferts vers les fronts se multipliaient. L’offensive commencé le 18 juin était soutenue non seulement par le Gouvernement provisoire mais par les partis majoritaires dans les soviets et donc par le Soviet de Petrograd et le Congrès des soviets. Seuls les bolcheviks s’y opposaient. A partir du 1er juillet les discussions commençaient dans le Premier régiment de mitrailleurs sur l’organisation d’une manifestation armée. L’Organisation militaire bolchevique avait vent de ces discussions très tôt. Nevsky était au courant dès le début. Le 2 juillet, l’Organisation militaire a demandé des directives du CC. La réponse était qu’ils ne devraient pas participer au mouvement et tout faire pour empêcher son développement. Ce qui allait à l’encontre de l’appréciation de la situation par les cadres militaires et même contre la volonté d’une grande partie d’entre eux.
Ces cadres ont appliqué la décision du CC d’une façon assez originale. Ils faisaient des discours qui suivaient formellement les directives du CC mais qui en fait encourageaient le mouvement. Nevsky, écrivant en 1932, le décrit de la manière suivante: envoyé pour convaincre les soldats de ne pas manifester, il affirme, «Je leur ai parlé, mais d’une telle manière que seul un imbécile pouvait arriver à la conclusion qu’il ne fallait pas manifester».
Vers l’affrontement
La préparation de la manifestation armée – et dans la tête de nombreux participants, du renversement du Gouvernement provisoire – s’accélérait le 2 juillet. Il y a eu des réunions de toutes les collectives de l’Organisation militaire. Il y a une réunion de la direction des anarcho-communistes. En 1917 le courant anarchiste existait et était actif, mais globalement il a été marginal, l’affrontement politique central étant celui qui opposait les bolcheviks au mencheviks et SR. Mais dans cet épisode de la révolution les anarchistes ont joué un rôle significatif. La réunion de la direction anarcho-communiste du 2 juillet a décrété la mobilisation générale de l’organisation.
Dans la soirée du 2 juillet une fête s’est tenue dans la caserne du Premier régiment de mitrailleurs. L’occasion était le départ imminent d’un contingent du régiment vers le front. Alors, pourquoi la fête? Pour collecter de l’argent pour que les partants puissent ramener au front de la bonne littérature bolchevique. Il y avait donc de la musique, des chansons, de la poésie – et des interventions de Trotsky, Lunacharsky et une série d’orateurs bolcheviks connus par la troupe. Les orateurs, s’adressant à 5,000 personnes, n’ont pas appelé à quoi que ce soit. Mais la simple exposition de la politique bolchevique a suffi à déclencher un tonnerre d’applaudissements, ajoutant donc à l’ambiance fiévreuse. Le même soir, l’Organisation militaire bolchevique s’est entretenue avec des membres du comité bolchevique de la ville.
Le matin du 3 juillet il y avait une grève des postiers de la ville, et aussi une manifestation des «plus de 40 ans», des conscrits qui avait été affectés à des tâches non combattantes et qui étaient maintenant menacés d’être envoyés au front. Aucun de ces deux évènements avait était planifié pour coïncider avec la manifestation, mais ils convergeaient. Autre événement pas du tout prévu par les organisateurs: une crise gouvernementale a éclaté concernant les négociations avec le Parlement ukrainien qui affirmait sa souveraineté. Une solution de compromis avait été refusée par les ministres du parti bourgeois des Kadets, qui ne voulaient même pas entendre parler de l’autonomie de l’Ukraine. Ils ont donc démissionné le 3 juillet. Le Gouvernement provisoire se trouvait donc, face à une tentative de le renverser, dans un état de crise et de désorganisation.
Une assemblée générale du Premier régiment des mitrailleurs a décidé de passer outre le comité du régiment, composé de mencheviks et SR élus dans une période précédente. Le bolchevik de gauche Golovine a été élu président et a dénoncé l’offensive et le transfert des troupes. Le deuxième orateur était un dirigeant des anarcho-communistes. Comme lui n’avait même pas à prétendre à respecter la position du CC bolchevique, il a appelé au renversement du gouvernement, à l’approbation générale. Ce qui arrangeait parfaitement Golovine. Le seul point à l’ordre du jour maintenant était comment mobiliser pour renverser le gouvernement. L’assemblée a élu un Comité révolutionnaire provisoire comprenant plusieurs bolcheviks et un anarcho-communiste et fixé la manifestation pour 17 heures.
Des émissaires partaient vers les usines et les casernes afin d’étendre le mouvement. La réponse était généralement très positive, avec seulement quelques cas d’opposition ou de neutralité. La grande usine Putilov, avec ses 30,000 ouvriers, a rejoint le mouvement et 10,000 marins de Kronstadt ont embarque pour Petrograd. Dans cette situation les consignes du comité central devenaient de moins en moins crédibles. Sur le terrain, la majorité des militants bolcheviks était en train de rejoindre le mouvement.
Le Parti bolchevique rattrape le mouvement
La Deuxième conférence de l’organisation bolchevique de Petrograd avait commencé le 1er juillet. Le 3, ses délibérations ont été interrompues par l’arrivée de deux membres de l’Organisation militaire qui ont expliqué l’évolution rapide de la situation. Le débat qui suivait a conduit à deux décisions. D’abord de demander au CC de convoquer une réunion avec des représentants du parti dans les usines et les casernes; ensuite d’envoyer une délégation au Comité exécutif des soviets avec un ultimatum: prenez le pouvoir ou vous vous trouverez confrontés à un soulèvement armé. Une résolution proposant simplement de soutenir les régiments rebelles a été battue. Mais les évènements sur le terrain allaient plus vite que les délibérations des instances.
Au siège du Parti bolchevique il y avait une réunion entre les dirigeants de l’Organisation militaire et du comité de Petrograd, avec Sverdlovsk et Staline, membres du CC. Pendant qu’ils discutaient, une manifestation d’ouvriers et de soldats est arrivée devant le siège pour connaître la position du parti. Les manifestants ont écouté plusieurs orateurs bolcheviques: Sverdlov du CC, mais aussi plusieurs représentants de l’Organisation militaire, dont Nevsky et Podvoisky. Tous ont demandé, avec plus ou moins de conviction, aux manifestants de rentrer au quartier ouvrier de Vyborg Ces appels ont été bruyamment rejetés. Volte-face donc: l’annonce a été faite que l’Organisation militaire bolchevique était prête à soutenir et diriger le mouvement. Les bolcheviks ont donné leur approbation que la manifestation se dirige vers la Palais Tauride, siège du Soviet. En même temps les représentants de l’Organisation militaire ont été envoyés pour négocier avec les dirigeants du Soviet.
Un peu plus tard la conférence de Petrograd a adopté une résolution en faveiur du transfert du pouvoir vers le Soviet et recommandait aux ouvriers et soldats de descendre dans la rue en soutien de cet objectif. Suite aux décisions qui viennent d’être citées, au petit matin du 4 juillet, le Comité central a mis fin à son opposition aux manifestations de rue. Le mouvement était maintenant dirigé par les bolcheviks et spécifiquement par l’Organisation militaire. Le Comité révolutionnaire provisoire a bien mérité son nom. Il a disparu sans trace. Parallèlement, les bolcheviks ont pour la première fois été majoritaires dans la section ouvrier du Soviet de Petrograd. La première conséquence a été une prise de position demandant que le pouvoir soit transféré aux Congres panrusse des soviets, exprimant l’espoir que la section de soldats du Soviet le soutiendrait aussi et se prononçant pour que le mouvement ait un caractère organisé et pacifique.
Entre minuit et 2 heures du matin la manifestation des ouvriers et soldats arrivé est arrivée au Palais Tauride. Ils ont écouté des discours des dirigeants majoritaires du Soviet et puis, avec enthousiasme, ceux de Trotsky et Zinoviev. Dans la réunion du Soviet les représentants de la majorité s’en sont pris violemment aux bolcheviks. Ils ont décidé d’envoyer des émissaires aux usines et régiments pour expliquer la position du Soviet.
Parallèlement il y avait une réunion du CC bolchevique avec la participation de Trotsky d’autres représentants des Mezhrayontsi et des membres de l’Organisation militaire et du comité du Petrograd. Kamenev a mené un combat d’arrière-garde contre l’idée d’une manifestation le 4, mais il était évident que la manifestation aurait lieu de toute façon. Il a donc était décidé que le CC dirigerait «une manifestation pacifique bien qu’armée». Il a aussi décidé de demander à Lénine de revenir à Petrograd. Un appel à ne pas manifester a été retiré de la une de la Pravda, laissant un carré blanc. Un tract a été diffusé plus tard, disant un peu près la même chose que la section ouvrière du Soviet.
La manifestation du 4 juillet
Dans la matinée du 4 juillet la manifestation se préparait dans les usines et parmi les troupes. Et partout, des émissaires des partis majoritaires au Soviet d’un côté, des bolcheviks de l’autre, cherchaient à convaincre le gens à manifester ou ne pas manifester. Il y avait un petit changement dans les esprits. La veille il y avait eu des affrontements entre manifestants et habitants des quartiers bourgeois. Une bombe a été lancée contre les manifestants, les soldats ont répondu, il y a eu des morts. Cela a semé le trouble dans les esprits. Le caractère indécis du rassemblement devant le Palais Tauride la veille a aussi soulevé des questions. Pourtant l’hostilité au Gouvernement provisoire et même aux dirigeants majoritaires du Soviet restait forte, surtout parmi les soldats Le gouvernement était en fait largement discrédité. Pour les régiments qui restaient neutres la neutralité était entre les bolcheviks et les mencheviks. Le Gouvernement provisoire était hors-jeu. Même certains régiments qui acceptaient la position du Soviet contre les manifestations adoptaient en même temps des résolutions en faveur du transfert du pouvoir du gouvernement provisoire aux Soviets.
Les bolcheviks et les soldats rebelles disposaient encore d’un soutien massif. La manifestation du 4 juillet rassemblait environ 500,000 personnes. Mais ses buts n’étaient pas clairs. Pour les bolcheviks les plus à gauche, les anarcho-communistes et les éléments les plus radicaux dans les usines et parmi les soldats et marins le but était clairement le renversement du Gouvernement provisoire. Pour la direction centrale des bolcheviks la question restait ouverte. L’aile droite bolchevique était contre les manifestations et encore plus toute idée de renversement du gouvernement. Lénine, arrivant le 4 juillet au matin, a fait ce qui serait son dernier discours public avant le 7 novembre devant les marins de Kronstadt venus à Petrograd. Il est resté très circonspect et a certainement déçu une grande partie de ses auditeurs.
Le 4 juillet les manifestants se dirigeaient encore vers le Palais Tauride.; En route le cortège des ouvriers de Putilov ainsi que celui des marins de Kronstadt ont été attaqués d’une manière plus sérieuse que les incidents de la veille. La riposte a été vigoureuse. L’effet de ces incidents ainsi que le flou sur les objectifs du mouvement ont produit un énervement, une colère. Les marins de Kronstadt se sont énervés en ne recevant pas de réponse satisfaisant sur le sort d’un de leurs qui avait été interpellés au moment de l’attaque contre le siège des anarchistes. Victor Tchernov, dirigeant du parti SR, est sorti pour s’adresser aux manifestants. Il a été mal reçu. Da Un ouvrier a crié, « Prends le pouvoir, fils de pute, quand on le te donne!». En effet, il est très difficile de donner le pouvoir à ceux qui ne le veulent pas. C’était une faiblesse qui se trouvait au cœur du mouvement. Les manifestants voulaient que le Soviet prenne le pouvoir mais les partis qui dominaient le Soviet voulaient soutenir le gouvernement provisoire.
Le discours de Tchernov s’est mal terminé. Les marins de Kronstadt l’ont saisi et l’ont mis dans une voiture. Trotsky et Raskolnikov, dirigeant bolchevik de Kronstadt, sont intervenus pour convaincre les marins de le libérer. Ce n’était pas facile. Le marins ont fini par lâcher Tchernov parce qu’ils ne savaient pas quoi faire avec lui.
A l’intérieur du palais le Soviet menaient ses débats. Des représentants de l’aile gauche, internationaliste, des mencheviks, très minoritaire, se prononçait en faveur du transfert du pouvoir aux Soviets. Comme le faisait aussi les représentants des SR de gauche, qui se détachaient de leur parti et deviendront des alliés de bolcheviks. Mais la majorité du soviet a adopté une résolution de soutien au Gouvernement provisoire.
Le vent tourne
Parallèlement, les dirigeants menchevik et SR avait autorisé le gouvernement à faire venir des troupes loyales à Petrograd et ces troupes ont commencé à arriver au cours de la soirée du 4 juillet. C’était le début de la fin du mouvement. En même temps que les troupes arrivaient de plus en plus nombreuses, le gouvernement lançait une grande campagne accusant Lénine d’être à la solde des Allemands et d’avoir organisé la tentative d’insurrection à leurs ordres. C’était le début d’une chasse aux sorcières.
Dans la soirée du 4 juillet, le rapport de forces a basculé en faveur du gouvernement. Pendant la nuit la direction bolchevique a décidé d’appeler à la fin de manifestations et à demander aux soldats de rentrer dans leurs casernes. Au cours de la journée du 5 il devenait de plus en plus évident que le gouvernement avait les moyens militaires de contrôler la situation. Le 5 juillet, à l’aube, des forces sous les ordres du général Polovtsev ont investi et saccagé l’imprimerie de la Pravda. Les tentatives des bolcheviks dans d’autres villes d’organiser des manifestations ont servi seulement à souligne que la majorité des ouvriers et soldats soutenaient encore les mencheviks et SR.
La direction bolchevique a donc cherché à se replier de manière organisée. Des négociations avec le Soviet ont conduit à un accord où les bolcheviks rendraient leurs blindés à l’armée, renverraient les marins à Kronstadt et rendra la forteresse Pierre et Paul, tenue par des soldats rebelles. En retour, il ne devait être pas de poursuites contre les bolcheviks. Cette promesse n’a pas été respectée. Peut-être que le négociateur du Soviet, Liber, était sincère mais pour l’instant c’était le gouvernement et le militaires qui menaient la danse. Le siège des bolcheviks a été investi par l’armée.
Une défaite temporaire
Lénine ne cherchait pas à nier la défaite que les bolcheviks avaient subie, mais il la considérait comme temporaire. Et il insistait qu’un résultat positif des événements de juillet était que les mencheviks et les SR se sont révélés d’être du côté du gouvernement provisoire et de la contre-révolution militaire. La suite des événements semble confirmer ce jugement. Dans les jours qui suivaient, Kamenev, Trotsky, Lunacharsky et d’autres responsables bolcheviques ont été arrêtés. Ainsi qu’un grand nombre des responsables de l’Organisation militaire, mais pas ses chefs principaux. Lénine et Zinoviev sont rentrés dans la clandestinité. Mais il y avait de limites à la répression. Prendre les mesures contre environ 100,000 soldats et marins était au-delà de moyens du gouvernement. Et en ce qui concerne Kronstadt et la Flotte de la baltique les dirigeants bolcheviks ont été arrêtés mais les unités et les équipes des vaisseaux ont été peu touchées. Les ouvriers des usines devaient être désarmés, mais la plupart ont suivi une consigne du CC bolchevique et ont caché leurs armes. Ils ont même pu en avoir davantage parce que des régiments menacés de désarment ont passés leurs armes aux ouvriers.
Le Parti bolchevik a finalement été peu touché par la répression, et très brièvement. Les structures du parti recommençaient à fonctionner. La presse bolchevique, interdite début juillet, a recommencé à paraitre avec des titres un peu modifiés. Même l’Organisation militaire a repris, prudemment, son travail parmi les soldats et marins. Et le VIe congrès du parti bolchevique s‘est tenu à Petrograd, de manière semi-clandestine, mais tenu quand même, du 26 juillet au 3 août.
L’explication pour le caractère limité en temps et en intensité de la répression contre les bolcheviks n’est pas difficile à comprendre. Le mouvement avait échoué, mais toutes les causes de ce mouvement subsistaient. Le Gouvernement provisoire, maintenant dirigé par Kerenski, était parfaitement incapable de répondre aux problèmes politiques économiques, sociaux, qui avaient provoqué le soulèvement. Et il persistait à mener une guerre avec une armée qui ne voulait pas se battre et une opposition forte dans la classe ouvrière et la paysannerie. Quant aux partis majoritaires du Soviet, leur subordination au gouvernement devenait chaque jour plus évidente. Tout cela explique pourquoi la période qui séparait la défaite du mouvement de juillet de la reprise de la marche en avant des bolcheviks se compte non pas en mois mais en semaines. Et avec une certaine ironie, cette marche en avant recommence avec la défaite de la révolte militaire contre-révolutionnaire du général Kornilov. Car si en juillet certaines révolutionnaires ont surestimé leur force, en août c’est la contre-révolution qui a fait cette erreur, avec des conséquences plus sévères pour elle.
Au cours du Vie congrès il y a eu des débats sur les Journées de juillet et sur le rôle de l’Organisation militaire, qui a été beaucoup critiqué. En apprenant que Sverdlov devait faire partie d’une délégation pour investiguer le travail de l’Organisation militaire, Lénine lui a dit : « S’informer, c’est nécessaire. Les aider, c’est nécessaire, mais il ne devrait pas y avoir ni pressions ni réprimandes. Au contraire il faut les soutenir: ceux qui ne prennent pas de risques ne gagnent jamais; sans défaites il n’y a pas de victoires.» A condition, évidement, d’apprendre des défaites. En octobre, l’Organisation militaire se distinguera par la manière sérieuse et minutieuse dont elle a préparé l’offensive contre le Gouvernement provisoire. Dans ses mémoires, Nevsky écrit : «certains camarades pensaient que nous étions trop prudents (…) mai notre expérience (surtout dans les journées de juillet) nous a montré ce que signifie une absence de préparation minutieuse et une force prépondérante».
En juin, et de manière beaucoup plus aiguë dans les journées de juillet, les bolcheviks étaient mis devant un choix. La direction du parti expliquait que le rapport de forces n’était pas suffisant, qu‘une action serait prématurée, qu’il fallait attendre. Elle a eu raison, car elle partait d’une analyse globale de la situation dans le pays. Mais que fait-on quand malgré tout, dans un endroit (à Petrograd…) une action commence à une échelle de masse. On peut essayer de convaincre les gens qu’ils ont tort, de les dissuader. Mais si cela échoue, parfois il faut accompagner un mouvement dont les possibilités de réussite sont minces, en essayant de les augmenter et au pire à limiter les dégâts. C’est ce qu’ont fait les bolcheviks en juillet 1917, et ils ont limité les dégâts.
11-07-2017
Ban de Gasperich : un désastre écologique et urbanistique
déi Lénk s’est toujours opposé au projet du Ban de Gasperich. Ce dernier fait la part belle aux intérêts privés de quelques grandes entreprise, en sacrifiant à a fois les intérêts de la population et ceux de l’environnement. Les récents développements dans ce dossier confortent malheureusement cette analyse.
Le début de l’été 2017 a été ponctué par 2 événements importants relatifs au nouveau quartier du Ban de Gasperich.
Le mardi, 20 juin, la majorité DP-Déi Gréng a dévoilé aux habitants de Gasperich le futur parc du quartier, annoncé comme le nouveau poumon vert de la Ville. Cette nouvelle est, à première vue positive.
Toutefois, elle ne saurait cacher que quelques jours plus tard, c’est-à-dire lundi 26 juin, était inauguré en grande pompe le chantier du futur hyper-mall Auchan II. Trois fois plus grand que celui du Kirchberg, il doit attirer chaque année plus de 11 millions de clients.
Le parc qui cache la forêt
Les représentants de la majorité DP-déi Gréng n’ont pas mentionné ces chiffres lors de leur présentation du nouveau parc. Et pour cause : comme déjà à Kirchberg, l’écrasante majorité des 11 millions de clients d’Auchan II viendront en voiture, réduisant à néant l’apport écologique du futur parc. Comme le parc Kirchberg, celui du Ban de Gasperich servira de triste faire-valoir à un quartier à l’urbanisme digne des années 1970, aux dimensions inhumaines, dénué de petits commerces indépendants, dont les avenues parsemées d’immeubles à bureaux surdimensionnés seront largement désertes le soir. Il ne cachera pas, surtout, le fait que la Ville n’a pas profité de la création de ce quartier pour construire ou faire construire un nombre conséquent de logements susceptibles de répondre, en particulier, aux besoins des jeunes familles à revenus faibles ou moyens.
Par ailleurs, la conception du parc du Ban de Gasperich, aussi généreuse soit-elle, ne manque pas de soulever une autre question : à qui appartiennent les terrains sur lesquels il sera aménagé ? À la Ville ? Dans ce cas, quelle est la contrepartie que la commune exige de la part des promoteurs en échange d’un équipement qui augmentera considérablement la valeur de leurs terrains ? Aurait-elle eu l’audace d’imposer aux promoteurs la construction de quelques logements à bon marché dans le quartier ? Ou les terrains du parc appartiennent-ils aux promoteurs ? Dans ce cas, quelle est la contrepartie que ceux-ci ont exigée de la part de la majorité DP-déi Gréng en échange de la belle opération de marketing politique que constitue la présentation du parc ? De manière plus générale, la majorité est-elle en mesure de dire combien de logements seront construits dans le Ban de Gasperich, quelle forme ils prendront et quel type de population ils accueilleront ?
A toutes ces questions, nous attendons toujours les réponses…
10-07-2017
L’âme sur la terre – Les mémoires de François Houtart
François nous a quittés en juin dernier.
Beaucoup d’entre vous, ici à Luxembourg, l’ont rencontré, apprécié ses interventions, que ce soit sous forme de conférences ou de journées de formation, ou de compagnon de manifestation. À ce propos, je me souviens : lors de la 2e manifestation à Luxembourg contre la guerre en Irak, je devisais avec des amis quand, tout à coup, je vois à quelques mètres devant moi, un imperméable gris que j’avais connu déjà de longues années auparavant, quand je travaillais avec lui à Leuven, puis Louvain-la-Neuve. Je n’en croyais pas mes yeux, mais, c’était bien lui : François, avec des camarades ouvriers et employés, faisait partie de la manifestation devant moi ; à la proposition de ses camarades luxembourgeois, il avait accepté avec joie de suspendre la formation et de participer à la manifestation.
Ainsi a été François : un homme, un chrétien, un prêtre de conviction, engagé socialement, politiquement, chrétiennement ; par les idées, les écrits, les actes, les solidarités. Je laisse la parole à nos amis de Cuba pour vous rappeler ce qu’a cherché à être, à vivre, à croire et à faire François, et l’héritage qu’il nous laisse. C’est avec beaucoup d’émotion que j’ai appris son départ. Inattendu !
Par Fernando Martinez Heredia. Traduit par Alain de Caltant.
10-07-2017
Venezuela – der Marsch in den Bürgerkrieg
Der vor mehr als 3 Jahren einsetzende Verfall des Ölpreises hat Venezuela in eine tiefe Wirtschafts- und Gesellschaftskrise gestürzt. Nach nun mehr als 6 Monaten täglicher, gewalttätiger Demonstrationen der Rechten, beginnt nun in Teilen des Landes ein offener Zersetzungsprozess der staatlichen Ordnung. Vor dem Hintergrund einer manifesten Versorgungs- und Verteilungskrise an Lebensmitteln, werden nun einzelne Städte, Regionen oder Viertel von gewalttätigen Mafia ähnlichen Banden regelrecht beherrscht. In diesem Kontext hat Präsident Maduro die Einberufung einer Verfassungsgebenden Versammlung beschlossen, wohl mit dem Ziel, den Konflikt auf die Ebene der politischen Debatte zurück zu führen. Dazu ist es allerdings zu spät. Die Krise hat nun eine derartige Intensität erreicht, dass ein gewaltsamer Konflikt wohl unvermeidbar wird. Die Zeichen stehen auf Krieg!
Die Frage, die sich nun für uns stellt, lautet; wird die Rechte oder die Linke siegreich aus ihm hervorgehen? Und was können wir tun, damit die politische Linke gewinnt? Ein kritischer Rückblick auf die Entwicklung, die zu dieser Lage geführt hat, ist erforderlich.
Historisch gesehen war die ganze venezuelanische Bourgeoisie zu Beginn des 20ten Jahrhunderts auf den Erdölexport umgestiegen. Abgesehen vom Importgeschäft, blieb der gesamte produktive Bereich, auch was den Agrarsektor betrifft, sträflich unterentwickelt. Das Streben nach Reichtum war ein Jahrhundert lang der Kampf der Eliten um den Gewinn aus dem Erdölexport. Die „bolivarianischer Revolution“ unter Hugo Chavez war im Grunde genommen nichts anderes als die erstmalige Teilhabe der Mehrheit des einfachen Volkes an dieser Quelle des Reichtums. Erstmals bekam der durchschnittliche Venezuelaner, mittels der Verteilung durch staatliche oder parastaatliche Institutionen, auch seinen Teil am Profit ab.
Im Grunde war die „Revolution“ des Hugo Chavez, groβspurig auch „Sozialismus des 20. Jahrhunderts“ genannt, nichts anders als ein reformistisches Projekt einer sozial gerechten Verteilung der Erdöleinnahmen. Wobei die bestehenden Strukturen der Klassengesellschaft grundsätzlich nicht oder nur sehr begrenzt in Frage gestellt wurden. Der Privatbesitz der Bourgeoisie über die Produktionsmittel, über großflächigen Landbesitz, die Massenmedien, den Import-Export etc., wurde nicht angetastet (abgesehen von der Stahl- und Erdölindustrie, und die auch erst nach harten sozialen Kämpfen, sowie die erneute Verstaatlichung von vormals öffentlichen Betrieben, wie Post, Telecom usw.).
Die Politik von Chavez verstand sich immer als ein klassenübergreifendes, „interklassistisches Projekt“. Ein Bruch mit dem Kapitalismus und der einheimischen Bourgeoisie war im Drehbuch nie vorgesehen, nicht einmal als Fernziel. Die politischen Vorstellungen von Hugo Chavez basierten auf einem kontinuierlichen Transfert eines Teils der Erdölrente, via parastaatlicher „Missionen“, als soziale Subventionen an das Volk, in Koexistenz mit der privaten Profitwirtschaft. Diese politische Ausrichtung brachte letztlich den Typ des „Boli-Bourgeois“ hervor, des Kaders oder Beamten der bolivarianischen Revolution, der seine Kontakte und den Zugang zu staatlichen Erdöl-Dollars nutzt, um nebenbei im Spekulationsgeschäft kräftig mitzumischen. Daβ von diesen Leuten keine Impulse zu gesellschaftsverändernden Initiativen mehr ausgehen werden, versteht sich wohl von selbst. Der Einbruch der Erdöleinkünfte nach 2008 um bis zu 80% brachte dann ab 2013 die Implosion des bolivarianischen Modells.
Seit der Niederlage bei den Parlamentswahlen (im Dez. 2015), aufgrund der Stimmenthaltung von mehr als 1 Million vormals chavistischer Wähler, ist die politische Krise manifest.
Die Mehrheit der Rechtsparteien setzt auf einen gewaltsamen Sturz des bolivarianischen Systems und versucht dies mit einer Welle von regelrechten Aufständen und Blockaden, wobei Wirtschaftssabotage, Morde und die Verhinderung von Lebensmittelverteilung, gängige Mittel sind. Die Fraktion der neureichen „Geschäftsleute“ in Maduros PSUV verschleppen und behindern alle konsequenten Maβnahmen gegen die Wirtschaftskrise. Ein Kuhhandel zwischen der „alten“ Oligarchie und der „neuen“ Boli-Bourgeoisie auf der Basis einer Teilung der Erdölrente, wird von der Rechten rigoros abgelehnt. Sie besteht auf der 100%tigen Kontrolle dieser Einnahmen.
Was die PSUV in Zeiten wo sie über Geld und Mehrheiten verfügte, versäumt hat, versucht sie nun in einem chaotischen Kontext nachzuholen. Maduro spielt nun die Karte einer neuen „Verfassunggebenden Versammlung“. Teile der antikapitalistischen Linken sehen darin eine Möglichkeit, erneut fundamentale gesellschaftliche Fragen zu stellen und eine Remobilisierung der Volksmassen anzufachen, andere Linke lehnen diese Operation grundsätzlich ab und verlangen sofort radikale Maβnahmen der Wirtschaftskontrolle oder einen Rücktritt Maduros.
Der eigentlich längst begonnene lavierende Bürgerkrieg kann nur auf politischer Ebene gewonnen werden. Derzeit steht die Masse des Volkes noch abseits und zögert, aktiv in diesen Konflikt einzugreifen. Wenn es der Linken, in und ausserhalb des PSUV, allerdings nicht gelingt, dem Volk klare politische Ziele und Perspektiven der gesellschaftlichen Veränderung zu bieten, dann sieht es sehr schlecht aus.
Als erstes muss der Wille einer radikalen Landreform und eine Orientierung auf den produktiven Sektor hin erfolgen. Die Selbstorganisation der Massen zur Kontrolle der Produktion und Güterverteilung, muβ als einziger praktikabler Ausweg gefördert werden. Alle „klassenübergreifenden“ Illusionen müssen bekämpft und den Spekulanten in den eigenen Reihen muss ein Ende bereitet werden. In der nun bevorstehenden Auseinandersetzung darf die europäische Linke nicht als neutraler Zuschauer fungieren, sondern muss eindeutig Stellung für die sozialistische Bewegung ergreifen.
26-06-2017
Une crise politique rampante
Moins de deux semaines après les élections législatives au Royaume-Uni, les choses ne s’arrangent pas pour le gouvernement conservateur. En perdant sa majorité, Theresa May a beaucoup perdu de son autorité. Le gouvernement engage les négociations de sortie de l’Union européenne dans une situation très défavorable. Les divisions dans son propre parti que May avait réussi à colmater depuis le référendum du 23 juin 2016 resurgissent, y compris au sein du gouvernement. Le Parti travailliste rajeuni est à l’offensive et Jeremy Corbyn réussit à faire taire – provisoirement – la majorité de ses propres opposants.
En convoquant des élections, May avait cherché à élargir sa majorité. Un raz-de-marée aurait été le bienvenu, mais une majorité de 50 ou 60 aurait suffi pour affermir son autorité et éviter des votes à risques. En fait, son calcul n’était pas si faux que cela. Elle a augmenté le pourcentage de son parti de 5,5%, arrivant à 42,4%; il faut revenir à 1983, à l’époque de Margaret Thatcher, pour retrouver un tel score. Mais son calcul a été basé aussi sur le fait que le Parti travailliste resterait bien derrière. C’est là où elle s’est trompée – avec, il faut dire, la quasi-totalité des commentateurs politiques. Et il faut bien comprendre pourquoi. Certes, les faiblesses et incohérences de sa campagne ont joué un rôle. Mais fondamentalement Corbyn a réussi sa percée à cause de son programme socio-économique radical. Tant que le Parti travailliste vivotait à moins de 30% dans les sondages les élites ne se souciaient pas trop de son programme, sinon pour s’en moquer. Par ailleurs, ils ont cru à leur propre propagande, qu’on ne pouvait pas se faire élire avec un tel programme. Corbyn a démontré le contraire.
Maintenait les conservateurs sont confrontés à plusieurs dilemmes. May dépend du soutien des dix députés du DUP, parti des protestants fondamentalistes d’Irlande du Nord, ce qui n’est pas encore acquis. Dans une situation moins compliquée, un gouvernement minoritaire avec le soutien d’un petit parti pourrait survivre au moins deux ou trois ans, même peut-être cinq. Mais la situation est compliquée par le Brexit. Il est difficile d’imaginer ce gouvernement naviguer une série de votes d’ici 2019. Dans le Discours de la reine, qui présente les priorités du gouvernement à l’ouverture du nouveau Parlement, il n’y a donc pas moins que huit projets de loi concernant le Brexit. Il faudrait un gouvernement fort, face à l’UE et à l’opposition interne. Comment y arriver ? Dans certains pays la solution pourrait être une grande coalition. Mais chaque pays a sa propre culture politique et le Royaume-Uni ne fait pas de grandes coalitions. La seule et unique exception était en 1940.
Une nouvelle élection? Ce serait plus logique. Le problème, c’est qu’on ne peut pas garantir le résultat. On peut espérer une victoire conservatrice sous un nouveau dirigeant, mais on peut aussi se retrouver avec le statu quo. Et encore pire, une victoire de Corbyn. Ce qui serait inacceptable pour les classes dirigeantes et au lieu d’offrir une solution au Brexit, cela compliquerait le problème. Le Financial Times cite un ex-responsable de la campagne pour sortir de l’UE: «Si 38% [en fait, 40%] des électeurs optent vraiment pour Corbyn, [qui est] pro-IRA, antinucléaire, pro nationalisation, alors les électeurs du Royaume-Uni ne sont plus assez muris pour la démocratie. Nous ferions mieux de rester à l’UE si on va élire Corbyn». Les propos sont extrêmes. Mais le sentiment d’inquiétude à la perspective d’un gouvernement Corbyn est largement partagé dans les cercles dirigeants.
La référence à l’Union européenne est révélatrice. Les divergences entre les partisans du Brexit et les dirigeants de l’UE sont bien réelles. Mais face à la menace d’un vrai gouvernement de gauche la classe politique britannique, pro- et anti Brexit confondus, ferait front commun avec les institutions européennes.
Corbyn a réussi à faire la campagne électorale en parlant peu du Brexit, indiquant simplement qu’il acceptait le verdict du 23 juin et qu’il ferait le meilleur accord possible, donnant juste l’impression qu’il sera moins rigide que May. Mais s’il est confronté à de nouvelles élections, il aura intérêt à être plus clair. Son programme le mettrait sur une course de collision avec les institutions européennes. Il ferait mieux de l’assumer et expliquer comment il voit l’avenir de la Grande-Bretagne après le Brexit, quels rapports avec l’Europe.
Le gouvernement britannique a sa vision du Brexit. Loin du protectionnisme prôné par Trump ou celui, européen, que Macron semble défendre, il veut un Royaume-Uni libre-échangiste et dérèglementé, mieux équipé pour affronter les défis la mondialisation.
Corbyn a intérêt à développer un contre-narratif. Au fait, il le développe largement en ce qui concerne le pays, mais la question de l’Union européenne est moins abordée. Trois jours après les élections, John McDonnell, ministre des Finances dans le cabinet fantôme et bras droit de Corbyn, répondait à des questions concernant l’attitude des travaillistes à l’égard du marché unique. Il a dit qu’il ne voyait pas comment le parti pourrait être favorable à rester dans le marché unique, parce son programme donnait la priorité à l’emploi. Il ajoutait que son parti respectait le résultat du référendum, ce qui n’était pas compatible avec le maintien dans le marché unique. L’explication est un peu courte. Mais il est parfaitement possible d’expliquer qu’une grande partie du programme travailliste est contradictoire avec les principes des échanges libres et sans entraves, l’opposition aux aides de l’État, etc. Dans un article sur le site du journal Politico, un ancien ministre portugais s’exprime ainsi : «Le débat fondamental n’est plus un combat entre ceux qui s’opposent à ce que la Grande-Bretagne quitte le bloc et ceux qui veulent arracher le sparadrap. La tension réside dans les visions différentes d’où se dirige le pays» (http://www.politico.eu/article/how-a-socialist-brexit-could-reshape-uk-and-europe/ ). C’est une vision un peu optimiste; ce n’est pas encore le débat fondamental pour des millions de gens, mais c’est le débat qu’il faut mener et qui est déjà là en filigrane. Corbyn devrait expliquer comment son programme est contradictoire avec le marché unique et avec son ambition affichée de gouverner «pour le plus grand nombre, pas pour la minorité [des riches]». Cela permettrait aussi de s’adresser aux peuples d’Europe. Ce que le gouvernement britannique est strictement incapable de faire.
L’urgence d’une attitude offensive par Corbyn est soulignée par le fait que 50 de ses propres députés viennent de lancer un appel à rester dans le marché unique. Pour l’instant Corbyn est obligé de vivre avec sa fraction parlementaire. Mais il semble qu’il s’apprête, fort du résultat du 8 juin, à faire du nettoyage dans l’appareil du parti et de renforcer sa position au sein de son Comité exécutif. Il se peut quand même qu’avant qu’il ne puisse le faire, il soit confronté à une élection, si le gouvernement perd des votes sur le Discours de la reine, ou même se trouvait à la tête d’un gouvernement minoritaire.
Le débat sur l’avenir du pays qu’il faut n’a rien à voir avec l’affrontement caricatural entre hard et soft Brexit. «Soft Brexit» est un mot de code pour un Brexit sans Brexit, mis en avant par ceux qui ne voudraient pas de Brexit, mais n’osent pas aller directement contre le vote populaire. Donc ils proposent un «Brexit» tout en restant dans le marché unique. Pour le gouvernement britannique, dans les négociations qui viennent de débuter il ne s’agit pas de soft ou de hard, mais d’un Brexit plus ou moins favorable aux exportateurs britanniques, au flux des capitaux financiers, etc. Le résultat dépendra du rapport de forces, qui s’est brusquement dégradé depuis le 8 juin.
Depuis le 8 juin au Royaume-Uni on assiste à un barrage médiatico-politique visant à présenter le vote du 8 juin comme un vote contre un hard Brexit. Avec peu de preuves. Rappelons que le Brexit était la préoccupation principale pour 48% des électeurs conservateurs (qui soutenaient May), mais seulement 8% de ceux des travaillistes, qui avaient d’autres soucis. Parler du hard et soft, c’est déformer la réalité et essayer de faire oublier la leçon primaire de la campagne électorale: ce sont les questions sociales et économiques qui ont été mises au centre par la campagne du Parti travailliste.
Malgré les meilleurs efforts des anti-Brexit, les lignes ont remarquablement peu bougé depuis le 8 juin. Depuis son limogeage par May en juillet 2016, George Osborne, numéro deux du gouvernement Cameron et putatif successeur de ce dernier, s’est recyclé comme rédacteur-en-chef du journal de soir de Londres Evening Standard, d’où il a mené la vie dure à May pendant la campagne électorale. Mais c’est dans son journal qu’on apprend, le 15 juin, que 70% soutiennent toujours le Brexit (44 % par conviction, 26% parce que le peuple a voté ainsi) et que 52% soutiennent la ligne définie par May en janvier (ni union douanière ni marché unique). En revanche, moins de gens pensent que May est capable de réaliser ses objectifs (37% contre 48% avant les élections). Ce qui est assez logique.
Pour résumer : si les conservateurs continuent à gouverner avec le Parlement actuel, avec ou sans May, ils seront dans une situation de faiblesse, en générale et surtout vis-à-vis de l’UE ; s’ils risquent une élection, le résultat est imprévisible, la porte de sortie n’est pas garantie. On assiste à une crise politique rampante.
Après le 8 juin, on pouvait se demander ce qui pourrait arriver de pire aux conservateurs. La réponse est venue le 14 juin sous la forme de l’incendie d’une tour dans l’ouest de Londres. Les dernières estimations parlent de 79 morts, chiffre qui risque d’augmenter. Il s’agit donc d’une tragédie humaine qui a entraîné la mort de dizaines de personnes, dont de nombreux enfants. Mais cette tragédie jette une lumière crue sur le Royaume-Uni d’aujourd’hui. D’abord, elle a eu lieu dans la commune la plus riche du pays, Kensington and Chelsea. Ensuite, la circonscription qui couvre une grande partie de la commune a pour la première fois été gagnée, de justesse, par une candidate travailliste, qui a centré sa campagne sur les inégalités. Car dans cette commune il y a des gens très riches et des pauvres. Et ce sont les pauvres qui habitaient la tour en question, Grenfell Tower.
Last but not least, l’incendie a mis l‘accent sur la dérèglementation et les coupes budgétaires. La tour consiste de logements sociaux qui appartiennent à la commune, mais qui sont gérés, comme la totalité des logements sociaux de la commune, par un organisme dont la gestion et la volonté de réduire les dépenses ont été beaucoup critiqué. Il semble que l’incendie a s’est répandue à une vitesse fulgurante parce les panneaux extérieurs étaient faits d’une matière combustible. Il paraît que cela coûtait moins cher… Plus largement sont en cause non seulement la question de savoir si les règles sécuritaires ont été bien suivies, mais si ces règles elles-mêmes étaient suffisantes. Des poursuites criminelles restent possibles.
La réaction du gouvernement et de la commune (de droite) pour aider les survivants n’a pas été à la hauteur. May en particulier a été critiquée parce qu’elle a été voir la police et les pompiers, mais pas les résidents survivants. Il y a eu de gros problèmes de relogement des survivants; certains se sont fait proposer des logements loin de Londres, d’autres dorment dans leurs voitures ou dans les parcs. Corbyn est intervenu pour rappeler que les logements existent à Londres. Il y a en effet presque 20,000 logements qui sont vides depuis au moins six mois. Les personnes aisées et les sociétés immobilières les achètent comme un investissement. Cela s’appelle le «land banking». Corbyn a expliqué que ces logements pourraient être occupés, expropriés ou sujets à un achat obligatoire («compulsory purchase»). Il a encouragé les gens à occuper de logements vides.
Ni les conditions dans lesquelles vivaient les locataires, ni la question des normes de sécurité, ni la gestion où l’argent prime sur les besoins humains ne sont un hasard. C’est le reflet parfait de la société britannique après 40 ans de néolibéralisme. Dans un discours du 5 janvier 2012, David Cameron déclarait que sa résolution pour la nouvelle année était de «tuer la culture de santé et sécurité une bonne fois pour toutes», car cela représentait «un albatros autour du cou des entreprises britanniques». Pour inverser un vieux slogan de la gauche radicale: «Nos profits valent mieux que vos vies».
26-06-2017
Après les élections, le combat contre Macron
Les élections en France se suivent et ne se ressemblent pas. À la suite d’une longue et passionnante campagne, plus de 36 millions d’électeurs ont voté le 23 avril, en sachant pour qui et pourquoi. Ils étaient 31 millions pour le deuxième tour et on comprend le nombre de votes blancs et nuls et le niveau d’abstention élevée comme un refus politique de choisir entre Macron et Le Pen.
Les législatives qui viennent d’avoir lieu ont été une tout autre affaire. Seuls 22.65 millions ont fait le déplacement pour le premier tour, le11 juin. Une semaine plus tard, ils étaient un peu plus de 18 millions à voter. Entre les deux tours, le taux d’abstention est passé de 51,3 à 57,36%. Donc moins de 43% des électeurs ont voté au deuxième tour. Du jamais vu, mais cela se comprend. Quand la Constitution a été modifiée pour raccourcir le mandat présidentiel de sept à cinq ans il a aussi été décidé que les législatives suivraient directement les présidentielles. Du coup ces élections ont commencé à se vider de leur sens. Elles étaient là pour confirmer le vote des présidentielles. Cela tendait à faire de l’Assemblée un simple appendice de la Présidence de la République. Face à ce type d’élections, ceux qui voulaient que le président ait une majorité parlementaire votaient pour son parti, ceux qui étaient vraiment motivés à l’en empêcher ont voté autrement. Et de plus en plus nombreux, les gens n’ont pas voté du tout. Le taux d’abstention a augmenté à chaque élection, passant de 32% en 2002 à 57% en 2017.
C’est la première raison, structurelle, qu’il faut prendre en compte pour expliquer le taux d’abstention. Mais il y a une raison spécifique à cette élection, que nous avons citée dans des articles précédents: la victoire d’Emmanuel Macron a des pieds d’argile. Nous l’avons déjà vu au deuxième tour de l’élection présidentielle: ce qui a fait élire Macron, ce sont ceux qui ne voulaient pas voter pour lui, mais contre Le Pen. Mais dans les élections législatives, le parti de Macron, REM, avec ces alliés centristes du MoDem, ont obtenu 32,3% des voix exprimées, c’est-à-dire moins de 16 % des inscrits. Pour le programme antisocial ambitieux du nouveau président, c’est une base extrêmement faible. Et autant on comprenait ceux qui ont refusé de choisir le 7 mai, autant on ne sait pas ce que pensent ceux qui n’ont pas voté aux législatives. Ils n’ont pas voulu voter pour Macron, ni contre. Pourtant, ils existent. Ils travaillent, ils sont au chômage, ils font des études, ils sont à la retraite. Mais ils existent, ils pensent, ils seront touchés par les mesures du nouveau gouvernement, ils peuvent agir. Et leur apathie apparente peut se transformer en colère. Ce que Jean-Luc Mélenchon a bien compris dans son discours à Marseille le soir du 18 juin.
Le système électoral français est particulièrement cruel à l’égard de minorités, encore pire que celui d’outre-Manche. Le rapport entre le nombre de voix et le nombre de sièges varie énormément. Ainsi avec un peu plus de 7 millions de voix au premier tour, le bloc REM-MoDem a 350 sièges. La France insoumise, avec 2, 5 millions de voix, a 17 sièges; le PCF, avec un peu plus de 600,000 voix, 11 sièges; et avec 1,68 million, le PS et ses alliés en ont 44.
Il s’est passé quand même quelque chose entre le premier et deuxième tour. Sur la base du premier tour, les estimations allaient jusqu’à 450 à 475 sièges pour le bloc présidentiel. La gauche radicale n’était pas sure d’avoir un groupe, même en additionnant les forces de LFI et du PCF. Et le Front national n’était pas sûr de dépasser ses deux sièges dans l’Assemblée sortante. Les résultats du 11 juin ont infirmé ces prévisions. La gauche aussi bien que le Front national ont fait mieux que prévu, le bloc macroniste moins. On peut supposer qu’au deuxième tour il y a des électeurs macronistes qui n’ont pas voté, pensant peut-être que l’affaire était déjà dans le sac. Et que des électeurs FN qui s’étaient abstenus au premier se sont mobilisés au second. Et qu’à gauche la mobilisation des électeurs et les reports de voix ont était suffisants pour éviter le pire et même en sortir la tête haute.
À l’arrivée le Front national a eu huit élus, avec un triomphe personnel pour Marine Le Pen à Hénin-Beaumont. Cela lui donne un peu de marge de manœuvre et le met dans une meilleure situation pour aborder le débat sur le bilan des présidentielles et surtout celui, inéluctable, sur la stratégie future du FN.
À gauche, LFI avec ses 17 élus était tout de suite capable de former un groupe. Le PCF en a onze. En fait, c’est plus compliqué que simplement LFI ou PCF. Il y a sept élus strictement PCF, plus trois PCF soutenus par LFI, dont Marie-George Buffet. Il y a deux avec la double investiture, Clémentine Autain et François Ruffin. Cinq des nouveaux députés appartenant à d’autres partis ont signé la Charte de LFI: deux PCF, une Ensemble, deux Réunionnais. Enfin, il y a douze députés purement LFI. Le chiffre de 17 avancé pour un groupe LFI à l’Assemblée comprend les trois dernières catégories. Quand le PCF donne un chiffre de onze élus, il compte manifestement sur l’un de ceux qui ont signé la Charte. Il semblait possible et souhaitable qu’il y ait un seul groupe LCI-PCF. Du côté du PCF, on aurait pu penser que la décision serait prise par le Conseil national de ce parti qui aura lieu les 23 et 24 juin. Mais on vient d’annoncer par la voix d’André Chassaigne qu’il n’y aurait pas de groupe commun avec LFI, mais un groupe PCF avec les quatre députés d’outremer qui s’étaient déjà alliés avec lui au dernier Parlement.
Au-delà des questions d’alliances il faut apprécier les succès de LFI et du PCF. LFI a pris les deux sièges du département de l’Ariège, où Mélenchon était arrivé en tête le 23 avril. Il a remporté six des 12 sièges pour le département emblématique de Seine-Saint-Denis, auxquels il faut ajouter celui de Marie-George Buffet. LFI a aussi pris un siège tenu historiquement pas le PCF en Val-de-Marne et Elsa Faucillon récupère pour le PCF le siège de Gennevilliers-Colombes, perdu en 2012. Dans le Nord il y a deux députés PCF et deux LFI. En Meurthe-et-Moselle Caroline Fiat remporte le seul duel LFI-FN. André Chassaigne du PCF est réélu avec 63% de voix dans le Puy-de-Dôme. Jean-Luc Mélenchon remporte un siège à Marseille avec presque 60% des suffrages. Pour LFI, mouvement qui a été créé en février 2016 ses résultats sont, dans les circonstances difficiles de ces élections, un triomphe. Aux 17 élus il faut ajouter de très bons résultats aux premier et deuxième tours. Au premier tour LFI a distancé le PCF dans la grande majorité de circonscriptions, y compris dans certains de ses anciens bastions. Pour le PCF le résultat est un soulagement par rapport aux prévisions. Le débat sur le bilan des deux campagnes électorales et les perspectives devrait être moins tendu.
Un des axes de campagne d’Emmanuel Macron était la promesse de rompre avec la corruption et les scandales qui ont éclaboussé aussi bien la droite que le PS, de moraliser la vie publique et d’avoir un gouvernement exemplaire à cet égard. Il semble que ce n’est pas si facile. Nous avons déjà parlé du cas de Richard Ferrand, qui va maintenant quitter le gouvernement, apparemment à la demande de Macron, et qui est préconisé pour être président du groupe REM à l’Assemblée. Ensuite, trois représentants du MoDem, dont son chef de file, François Bayrou, vont aussi se retirer du gouvernement; leur parti est accusé d’avoir créé des emplois fictifs. Potentiellement plus grave, le 20 juin la police anticorruption a fait une perquisition au siège du groupe publicitaire Havas, concernant un voyage de Macron à Las Vegas en 2016, quand il était ministre de l’Économie. Aussi impliquée est l’actuelle ministre du Travail, Muriel Pénicaud, qui avait organisé le voyage. Au niveau du groupe parlementaire du REM on commence à voir les conséquences d’avoir fabriqué un instrument politique de toutes pièces. Il y a maintenant plusieurs nouveaux députés qui se révèlent être embrouillés dans des affaires judiciaires.
Les deux grandes forces traditionnelles, la droite et le PS, ont aussi fait mieux que prévu. Les Républicains (LR) ont 112 sièges, auxquels il faut ajouter 18 pour les centristes de l’UDI. Mais la force d’attraction du macronisme se fait encore sentir. Il y a un nouveau groupe, regroupant l’UDI et une partie de LR, qui serait plus Macron-compatible. Le PS a lui-même 30 sièges plus 14 pour ses alliés divers. Le Bureau national du parti vient de décider que le PS sera dans l’opposition. Reste à voir ce que feront les députés. Le débat sur l’avenir du parti commence et devrait en principe durer jusqu’au prochain congrès, au printemps 2018. Mais les partisans de Benoît Hamon vont se réunir le 1er juillet pour décider s’ils vont rester au PS ou partir pour travailler avec la gauche radicale, notamment LFI. Et d’autres encore seront attirés par Macron.
Pour revenir à la gauche radicale, il ne faut pas se laisser entraîner dans les querelles entre LFI et le PCF. Il semble qu’il y aura maintenant deux groupes. Il y a des raisons à cela. Peut-être cela peut changer à l’avenir. Deux choses semblent essentielles. D’abord, il ne faut pas laisser les arbres des divergences LFI-PCF cacher la forêt. Et la forêt, c’est cette remarquable campagne politique qui, partant de pas grande chose, a su construire un mouvement original, gagner le soutien de 7 millions d’électeurs et qui a raté le deuxième tour de quelques centaines de voix. En cours de route LFI a pu attirer le soutien de forces politiques qui au départ avaient d’autres projets. De cette expérience d’une campagne politique de masse, il faut apprendre. Tout en gardant des rapports fraternels avec d’autres forces politiques et notamment le PCF.
Ensuite, il y aura des batailles à mener contre la politique de Macron, en premier lieu pour résister à son offensive contre le Code du travail. L’unité la plus importante est celle qu’il faut construire au cours de cette lutte et d’autres encore. Le discours de Mélenchon le 18 juin était tout axé sur les luttes et la résistance, avec l’appel à un «nouveau front populaire politique, social et culturel». Ce qui comprendra forcément le PCF, les autres forces de gauche vives, les syndicats, les associations. Le terrain électoral a donné ce qu’il a pu, et c’était beaucoup. Maintenant il faut faire la suite dans la rue, dans les quartiers, sur les lieux de travail.