14-06-2017
Corbyn donne un nouvel élan au Parti travailliste
Quand Theresa May a annoncé le 18 avril dernier la tenue d’élections législatives, personne n’aurait pu imaginer qu’elle puisse les perdre. C’est pourtant ce qui s’est passé le 8 juin. Bien qu’il n’ait pas obtenu la majorité, le grand gagnant de ces élections est Jeremy Corbyn, dirigeant du Parti travailliste.
Les travaillistes ont commencé la campagne avec 20 points de retard sur les conservateurs. Et les élections locales du 4 mai semblaient confirmer ce retard: une victoire de conservateurs, une défaite des travaillistes, un effondrement de l’UKIP au profit des conservateurs. La messe semblait être dite. Et puis le 8 juin le Parti travailliste arrive à 40%, juste derrière les conservateurs avec 42,4%. Ce qui représente une progression de 9,6% par rapport aux élections de 2015, la plus importante avancée entre deux élections depuis 1945. En gagnant une trentaine de sièges, les travaillistes ont privé May de sa majorité.
Qu’est-ce qui s’est passé entre début mai et le 8 juin ? Tout simplement la campagne. May a fait une très mauvaise campagne. Elle a dû faire un virage à 180° sur les retraites et les soins pour personnes âgées. Elle a refusé de débattre à la télévision avec les dirigeants des autres partis et ses apparitions publiques ont été soigneusement mises en scène. Cela collait mal avec le thème central de sa campagne, qui était de demander aux gens de la soutenir en tant que dirigeante «forte et stable», notamment dans les négociations pour le Brexit.
Mais on ne peut pas expliquer le retournement de tendance uniquement par les erreurs de May. Corbyn a fait une très bonne campagne. A la différence de May, il est allé à l’encontre des électeurs, menant une campagne de proximité, marquée aussi par des grands rassemblements, souvent en plein air. Et surtout la campagne était organisée autour d’un manifeste radical: nationalisation du rail, de l’énergie, de la Poste, augmentation des dépenses sociales, construction de 100,000 logements par an, suppression des frais d’inscription à l’université, réintroductions des bourses, pour ne citer quelques axes. Tout cela était clair et concret. Corbyn a défendu les valeurs de la gauche, mais appuyées sur des mesures qui devraient vraiment améliorer la vie des gens. Et aussi avec une stratégie de relance économique et de réindustrialisation, centrée sur une banque d’investissements publique.
Une campagne réussie
La réussite de la campagne était évidemment celle du Parti travailliste en tant que tel. Mais dans un sens très important, elle était celle de Jeremy Corbyn lui-même. Non seulement parce qu’il a fait campagne de manière infatigable. Mais aussi parce qu’il a su, ce qui n’était pas donné d’avance, imposé son propre programme, sauf sur des questions de défense et politique étrangère, où il a quand même marqué sa différence avec l’aile droite de son parti. Corbyn a réussi avec le soutien des syndicats et des militants de base. Certains députés travaillistes ont dénoncé le manifeste et refusé de le diffuser, d’autres l’ont accepté sans enthousiasme. Depuis jeudi dernier certains ont découvert des qualités à Corbyn jusque-là insoupçonnées. Il saura sans doute apprécier leur changement de ton à sa juste valeur.
L’impact de cette campagne ne devrait pas été sous-estimé. D’abord, elle a enthousiasmé les jeunes, qui se sont inscrits et ont voté en grand nombre. Deux-tiers des 18-24 ans et plus de 50% des 25-34 ans ont voté travailliste. Ensuite, Corbyn a fait campagne partout. Il est allé sur les terres traditionnelles du Parti travailliste, notamment dans les régions du Nord et du Centre qui ont voté très majoritairement pour le Brexit et où beaucoup avaient voté pour l’UKIP en 2015. Les premières analyses montrent qu’un tiers des anciens électeurs UKIP ont voté travailliste, deux-tiers conservateur. Cela a été suffisant pour que les travaillistes gardent de nombreuses sièges et même en gagnent d’autres. Seulement six circonscriptions dans ces régions ont été prises aux travaillistes par les conservateurs. C’était bien en-deçà des prévisions et des espoirs de May. Les travaillistes ont aussi fait campagne à Londres et dans le Sud-Est du pays, dans des zones qui ont voté contre le Brexit. Là aussi des victoires ont été remportées. Corbyn s’est même aventuré en Ecosse, où les travaillistes avaient été laminés en 2015. Cette fois-ci, ils ont remporté huit sièges contre une seule en 2015. Cela est dû en partie à l’aveuglement du SNP (voir v ci-dessous), mais aussi à l’intervention de Corbyn, dont le programme parlait aussi aux Ecossais. La direction travailliste en Ecosse, Blairiste et hostile à Corbyn, n’y était pour rien ou presque.
Au fur et à mesure que se déroule la campagne, l’écart entre les deux partis se resserre. Des prévisions de majorité conservatrice de 100, voir 150 sièges descendent vers 60, 50, 30. Et petit à petit l’impensable, une victoire travailliste, devient imaginable, bien qu’improbable. Les premiers a été abasourdis par le sondage de sorte d’urnes prévoyant un Parlement sans majorité ont été le travaillistes eux-mêmes.
Et le Brexit?
Les premières analyses montrent que 64% de ceux qui ont voté travailliste avaient voté contre le Brexit et que 68% de ceux qui ont voté conservateur avaient été pour le Brexit. Dans le référendum du 23 juin ; 2016, 58% des électeurs conservateurs avaient vote pour le Brexit, 63%% des électeurs travaillistes contre. OI est intéressant de regarder les motivations. Les électeurs conservateurs ont cité le Brexit et la question de la direction (premier ministre). Les électeurs travaillistes ont plutôt cité la défense du système de santé et les coupes austéritaires. Seulement 8% des électeurs travaillistes ont cité le Brexit comme leur première préoccupation, contre 48% des électeurs conservateurs. Enfin il n’est pas sans intérêt de savoir que 10% d’électeurs conservateurs de 2015 ont voté travailliste cette fois-ci.
Corbyn a donc largement gagné son pari. La campagne travailliste centrée sur le programme économique et social a pu s’adresser à de larges couches de la population, au-delà de leurs attitudes vis-à-vis du Brexit et la façon dont ils avaient voté par le passé.
La signification de la percée travailliste dépasse les frontières du Royaume Uni. C’est la deuxième fois en deux mois qu’une campagne électorale qui contestait le néolibéralisme dominant a pu mobiliser des millions d’électeurs. Au-delà des différences entre la campagne de la France insoumise et Jean-Luc Mélenchon et celui de Corbyn, ainsi du contexte nationale et politique, les deux campagnes ont su traduire une rupture avec le néolibéralisme dans des propositions claires, positives, concrètes, porteuses de changements réels dans la vie de sens. C’est une leçon à méditer pour la gauche radicale partout en Europe.
Il est à noter que le seul parti qui a fait de l’opposition au Brexit son cheval de bataille, le LDP (libéraux-démocrates) a eu des piètres résultats, gagnant cinq sièges et en perdant une, celle de son ancien dirigeant et artisan de la coalition avec les conservateurs de 2010 à 2015. Il passe donc de 8 à 12 sièges, loin des 57 de 2010. Au Pays de Galles les travaillistes ont repris leur hégémonie traditionnelle et le parti nationaliste de gauche Plaid Cymru est passé de 3 à 4 sièges. En Irlande du Nord le Sinn Fein est passé de 4 à 7 sièges (sur 18). En face les unionistes du DUP (voir ci-dessous) sont passés de 8 à 10.
Changement de paysage en Ecosse
En Ecosse ce qui devait arriver est arrivé. Le SNP (au pouvoir à Edimbourg) a payé ses incohérences depuis le référendum de juin 2016. La seule surprise a été l’ampleur des dégâts. Depuis le vote à 62% contre le Brexit le SNP avait commencé à développer un discours où la revendication minimum était que l’Ecosse puisse rester dans le marché unique, et de plus en plus l’exigence d’un deuxième référendum sur l’indépendance avec en perspective l’adhésion de l’Ecosse indépendante à l’UE. Il était pourtant évident que beaucoup de ceux qui avaient voté pour le Brexit étaient pour l’indépendance et beaucoup de ceux qui avaient voté contre le Brexit étaient aussi contre l’indépendance. Il devenait aussi clair que la plupart des Ecossais ne voulaient pas de nouveau référendum et qu’il n’y avait pas encore une majorité pour l’indépendance. Le gouvernement a néanmoins passé des mois à parler de référendum-indépendance-Europe, alors que beaucoup d’Ecossais voulaient d’abord voir ce que le Brexit pourrait signifier, ce que May pouvait négocier. Et ils étaient aussi préoccupé que leurs voisins au sud par les questions économiques et sociales. Le SNP semble avoir finalement compris. Son manifeste pour les législatives parlait beaucoup d’austérité et de pauvreté et très peu d’un referendum et de l’indépendance. C’était trop peu, trop tard. A part les sept sièges gagnés par les travaillistes, 13 ont été remportés par les conservateurs.
La très capable dirigeant conservatrice; Ruth Davidson, commence à s’affirmer. D’abord elle a dit ce qu’elle pensait de l’accord avec le DUP (voir ci-dessous) en téléphonant à May pour exiger que le gouvernement ne bouge pas sur le mariage pour tous. (Il se trouve par ailleurs qu’elle va bientôt se marier avec sa partenaire). Elle exige aussi maintenant, ouvertement, que le Royaume-Uni reste dans le marché unique, ouvrant un nouveau front contre May. Et elle semble tentée par sa propre déclaration d’indépendance – du Parti conservateur écossais par rapport à celui de Londres
Mais le talent de Davidson et ses positions progressistes sur des questions de société ne devraient pas faire oublier la nature du Parti conservateur en Ecosse. S’il arrivait au pouvoir (une possibilité jusque récemment exclue par tout le monde) il mènerait une politique qui démantèlerait les défenses érigées par le SNP contre l’austérité de Londres. Le SNP s’est habitué à un paysage où le Parti conservateur était marginal et le Parti travailliste social-libéral, encore plus en Ecosse. Il a pu donc se présenter comme le parti de centre-gauche qui garantissait qu’on puisse vivre mieux en Ecosse qu’en Angleterre, sans avoir vraiment représenter une alternative au néolibéralisme. La percée des conservateurs et le phénomène Corbyn, qui fait enfin sentir ses effets en Ecosse, sont en train de modifier ce paysage. C’est un défi pour le SNP. Dans ces élections, son score est tombé de 50% à 37%. Les conservateurs ont réussi à devenir le principal pôle unioniste. Si le Parti travailliste se reconstruisait sur la ligne de Corbyn, le SNP se trouverait vraiment coincé.
Cherche nouveau leader du Parti conservateur
Sauf un miracle, cette campagne, désastreuse pour elle et son parti, signale la fin du règne de Theresa May. Qui pourrait intervenir dans quelques semaines ou quelques mois. Cela dépend entre autres de trouver un successeur crédible. Pour l’instant elle a pris le seul choix possible pour avoir une majorité au Parlement, celui du soutien des dix députés du Parti unioniste démocratique (DUP), majoritaire parmi les protestants d’Irlande du Nord. Il s’agit du parti le plus réactionnaire et odieux représenté au Parlement. A côté, l’l’UKIP, ce sont des enfants de cœur. Le DUP est lié historiquement aux milices loyalistes (protestants) responsables de nombreux attentats et assassinats de catholiques. On en parle peu en Angleterre parce que son champ d’action est limité à l’Irlande du Nord. Mais grâce à lui, dans cette province la loi britannique de 1967 légalisant l’avortement n’est toujours pas intégralement appliqué et le mariage gay reste interdit.
Au cours de la préparation du Brexit Theresa May avait réussi à colmater les brèches dans son parti au nom de l’unité nécessaire pour gouverner et confronter l’Union européenne. Maintenant c’est le retour à la case départ. Le pacte avec le DUP est un bouche-trou mal accepté par de nombreux députés. L’unité du parti ne pourra plus être garantie par une première ministre en fin de cours et les opposants au Brexit relèvent la tête. Et surtout un gouvernement aussi fragile ne peut pas assumer les négociations avec l’UE, qui saura bien profiter de cette nouvelle situation. Il est donc inévitable qu’il y aura de nouvelles élections, probablement cet automne.
C’est à cette échéance que le Parti travailliste doit se préparer. Corbyn dit qu’il est prêt à former un gouvernement minoritaire. Soit. Mais même avec le soutien de tous les partis sauf les conservateurs et le DUP, les chiffres ne sont pas là. Mais il a eu la bonne idée de présenter un «contre-discours de la Reine» – la déclaration des intentions du gouvernement qui ouvre chaque grande session parlementaire. C’est en effet maintenant comme un vrai gouvernement alternatif que le parti travailliste devrait se présenter, en attendant les prochaines échéances électorales. Il faudra aussi préparer le parti en essayant de limiter l’influence de sa droite, notamment au sein de la fraction parlementaire. Si Corbyn arrive à faire gagner le Parti travailliste sur son programme actuel il se trouvera face à un front d’opposition comprenant les conservateurs, la City, les multinationales et l’Union européenne. Il aura besoin d’un parti bien soudé derrière lui.
29-05-2017
Guidage des drones militaires : le côté sombre de SES
Cela se déroule sans aucune base légale, avec à la clé, des milliers de victimes civiles dont de nombreux enfants. La guerre des drones n’est pas seulement contre-productive, elle viole la Convention de Genève qui est entrée en vigueur après la seconde guerre mondiale, notamment pour protéger les populations civiles durant les guerres.
Soyons clairs, il ne s’agit pas ici de diaboliser les activités de SES. Ses satellites rendent de nombreux services à la population, à travers le monde. Télécommunications, Internet, télévision… autant de services très utiles sont rendus possibles grâce aux satellites de SES.
Mais les drones qui tuent des innocents sont également guidés par SES. Et jusqu’à présent, aucun représentant de l’Etat n’a posé la question du rôle joué par SES dans le guidage des drones militaires. Le poids économique du fleuron national empêcherait-il de se poser la moindre question éthique ?
Malheureusement, ce n’est pas la seule entreprise publique, ou entreprise dans laquelle l’Etat est financièrement impliqué, qui ne respecte pas les conventions internationales ou bien les accords climatiques de Paris. Le « fonds pour l’avenir » soutient même des entreprises qui font le commerce de bombes à fragmentation !
Les hauts fonctionnaires au service de l’Etat ont-ils oublié que ces entreprises doivent respecter les conventions internationales que le Luxembourg a signées ? Ont-ils oublié qu’ils ont, en plus de leur confortable salaire, un devoir de vigilance.
Il serait temps que l’Etat, la Chambre tout comme le gouvernement s’intéresse à ces questions et ne permettent plus que des entreprises publiques ou dans lesquels de l’argent public est investi, violent impunément les règlementations, les conventions, et les Droits de l’Homme.
29-05-2017
Grève de la faim dans les prisons israéliennes
1. Mise en perspective
L’emprisonnement des résistants a toujours constitué une pratique et un moyen stratégiques clés de la part des dictatures, des pouvoirs forts, des fascismes de toutes sortes: fermer la bouche à l’opposition, décourager la résistance, saper sinon détruire le «moral», la confiance en soi, l’espoir d’une vie meilleure, … des peuples opprimés, des résistants à la barbarie.
De la même manière et avec leurs spécificités, l’emprisonnement des Palestiniens et ses diverses formes constituent un élément politique clé de l’occupation israélienne et, plus largement, de leur stratégie d’épuration ethnique et d’accaparement d’un maximum de terres avec un minimum d’ « arabes » sur ces terres – cœur du projet sioniste sur la Palestine, du XIXe s. à aujourd’hui. Et lorsque ces prisonniers décident d’entrer en grève de la faim, comme l’ont fait les prisonniers politiques palestiniens, il y a 5 semaines déjà, à l’appel de Marwan Barghouti, et mettent gravement leur vie en danger, c’est d’abord pour obtenir de l’occupant israélien des conditions de détention « normales », conformes aux standards du Droit international en la matière. Et notre devoir est de les soutenir, de les encourager, d’inciter les instances nationales, européennes et internationales pour qu’elles fassent pression sur l’état d’Israël dans cette direction.
Il est donc opportun, certes, de pointer et de dénoncer les conditions d’arrestation et d’emprisonnement des Palestiniens dans les geôles israéliennes. Nombre d’organisations locales et internationales des Droits de l’homme ne cessent de le faire depuis des années : Addameer, en Palestine, B’tselem en Israël, Amnesty International dans le monde, pour n’en citer que quelques-unes.
C’est ce qui se passe pour l’instant un peu partout dans le monde, en accompagnement de cette grève de la faim menée par plus de 1.500 prisonniers politiques palestiniens depuis plus de 5 semaines: manifestations, grève de la faim d’une journée symbolique ce jeudi 25 mai dans de nombreuses villes du monde, grève de la faim de plusieurs jours par des militants, des personnalités politiques, culturelles, religieuses, académiques, des étudiants de divers campus… Nous pouvons, nous devons les soutenir, et, pourquoi pas, nous associer personnellement, comme groupe, comme parti, à cette grève.
Il n’en reste pas moins que ce combat à court et moyen termes doit être relayé par l’autre combat, à longue échéance : mettre un terme aux diverses formes d’emprisonnement pratiquées par l’État d’Israël, faire libérer tous les prisonniers politiques palestiniens et, last but not least, mettre fin à l’occupation, à la colonisation et au projet d’épuration ethnique qui sous-tend et justifie cette occupation et cette colonisation.
2. L’emprisonnement des Palestiniens, un fait permanent et de longue date
Aussi loin qu’on remonte dans l’histoire de la Palestine moderne – début du mandat britannique -, l’emprisonnement des résistants palestiniens a fait partie des pratiques et de la politique des pouvoirs en place – comme dans les autres formes ou stades de colonialisme.
À ce jour, la situation est la suivante dans les prisons israéliennes (voir https://www.plateforme-palestine.org/Prisonniers):
• On compte, au mois d’avril 2017, 6 300 prisonniers palestiniens dont 61 femmes, 13 membres du Conseil législatif palestinien.
• 300 enfants (moins de 18 ans) sont également dans les prisons militaires israéliennes.
Entre 2015 et 2016, le nombre d’enfants détenus a triplé.
• 458 prisonniers purgent des sentences de prison à vie, et 459 des sentences de plus de 20 ans de prison.
• Selon le Club des Prisonniers Palestiniens, 1 700 prisonniers malades sont incarcérés dans les prisons israéliennes; 25 d’entre eux seraient dans un état critique et ne recevraient pas les traitements appropriés.
• Depuis 1967, 850 000 Palestiniens ont été emprisonnés par les autorités israéliennes. Presque toutes les familles palestiniennes ont des membres qui ont subi des peines d’emprisonnement.
Les principales augmentations du nombre de prisonniers sont liées à des événements ou périodes significatifs: libérations de prisonniers, la 2e intifada, les «guerres» contre Gaza, et, plus récemment, depuis 2014, les révoltes de jeunes et les répressions accrues dans le cadre de gouvernements d’extrême droite, marqués par le poids des colons …
3. Arrestations et emprisonnements «administratifs»
Outre les liens entre les diminutions ou augmentations de prisonniers et certains événements extérieurs, depuis la 2e intifada, il y a de manière permanente un «volant» de 4 à 5.000 Palestiniens dans les prisons israéliennes. Les dernières années se sont caractérisées à la fois par une reprise des « détentions administratives » et une augmentation d’arrestations et d’emprisonnements de jeunes de moins de 18 ans, dont beaucoup en détention « administratives ».
La détention « administrative » ?
« La détention administrative est une procédure qui permet à l’armée israélienne de détenir une personne pour une période de six mois maximum, renouvelable de manière indéfinie, sans inculpation ni procès. Le détenu administratif est emprisonné le plus souvent sur la base d’informations considérées comme « secrètes » par l’armée et qui ne sont donc accessibles ni au détenu ni à son avocat.
Les conditions pour un procès juste et équitable ne sont jamais réunies. En l’absence d’accès au dossier, réservé aux seuls procureurs et juges militaires, il est impossible au détenu ni à son avocat de contester efficacement leur placement en détention. Par ailleurs, la détention administrative s’accompagne souvent de mauvais traitements voire de tortures exercées à l’encontre du détenu lors de son arrestation, de son interrogatoire ou au cours de sa détention » (voir : http://plateforme-palestine.org/Detention-administrative-un-deni,3657).
Si les emprisonnements de résistants constituent déjà en tant que tels et en eux-mêmes une politique cherchant délibérément à mettre fin à la résistance, y compris non violente, des Palestiniens, les arrestations et détentions « administratives » d’hommes adultes, de femmes et de jeunes représentent le nœud de cette politique, dans la mesure où elle ajoute une dose maximale d’arbitraire à l’enfermement : la personne arrêtée ne sait pas à cause de quoi elle est arrêtée ; son emprisonnement de 6 mois peut être renouvelé indéfiniment sans cause précise et connue; absence d’avocat et le plus souvent absence de communication avec l’extérieur (la famille …). Tortures physiques ou morales pour obtenir on ne sait pas quoi … Tout est rassemblé pour isoler, démoraliser, décourager, faire plier. Et si, soudainement, l’un de ces prisonniers est libéré sans qu’il sache pourquoi, pourquoi maintenant, sans explication, à sa sortie de prison, il peut être repris et ré-emprisonné au 1er check point rencontré, ou les Israéliens ont organisé des scénarios destinés à faire suspecter ce « libéré » de trahison, de délation, de communication à l’occupant de données sensibles … Ce qui inflige au « libéré », à sa famille, à sa communauté, une souffrance morale supplémentaire qui peut lui être fatale.
4. Des formes de tortures sans cesse renouvelées
Les organisations de droits humains et les associations de défense des droits des prisonniers ont recensé plusieurs centaines de moyens de tortures utilisés contre les prisonniers palestiniens dans les prisons israéliennes pendant les interrogatoires (1).
Un rapport de l’ONU répertorie quelques 200 moyens de torture. L’organisation israélienne de défense des droits humains, B’Tselem, en recense quant à elle environ 105. Quel que soit leur nombre exact, tous ces rapports montrent l’importance des abus dont sont victimes les Palestiniens arrêtés.
Selon Fouad Khuffash, le directeur du Centre Ahrar d’étude des prisonniers et des droits humains, la torture peut être divisée en deux catégories : physique et psychologique. Pour certains, la torture psychologique est moins préjudiciable que la torture physique, mais les cicatrices mentales laissées par les deux sortes de torture peuvent être à l’origine de traumatismes durables.
Khuffash ajoute : „La torture dans les prisons israéliennes est systématique et commence avec l’arrestation du prisonnier, pas avec son interrogatoire. Elle est pratiquée selon des méthodes étudiées pour répondre au cas du détenu et à la nature de son dossier. Les officiers du renseignement se relayent, chacun jouant le rôle qui lui est assigné.“
Selon Fahd Abu Al-Hajj, le directeur du Centre Abu Jihad des Affaires des Prisonniers à l’Université de Jérusalem, 73 méthodes d’interrogatoire sont considérées comme „très populaires“ dans les prisons israéliennes. Ces techniques témoignent de la barbarie et du manque de respect des principes de base des droits humains, a-t-il déclaré.
Il a ajouté : „La preuve en est qu’un grand nombre de prisonniers meurent pendant les interrogatoires, le dernier d’entre eux étant Raed Al-Jabari.“
Al-Hajj pense que l’usage de la torture par les services secrets israéliens est systématique et qu’aucun prisonnier dans aucune prison n’y échappe.
Selon lui, les prisonniers sont passés à tabac, douchés alternativement à l’eau brûlante et glacée, attachés pendant de longues heures, les mains menottées derrière le dos, à une fenêtre ou une porte ; on les fait aussi asseoir sur des chaises pour les battre avec des bâtons jusqu’à ce qu’ils perdent connaissance ; ces bastonnades visent les endroits sensibles du corps provoquant des blessures qui mettront des années à guérir quand elles n’engendrent pas des maladies chroniques.
L’organisation israélienne des droits humains, B’Tselem, dit, dans son rapport, que 105 moyens de torture qui sont utilisés contre les détenus palestiniens, constituent de sévères violations des droits humains. Un comité des droits humains de l’ONU dit que la torture dans les prisons israéliennes „traverse la ligne rouge“, et précise que les Israéliens ne reculent pas devant des méthodes aussi brutales que briser le dos des prisonniers, leur arracher les doigts et leur tordre les testicules.
Les Renseignements israéliens basent la torture des détenus sur de soi-disant instructions secrètes approuvées en 1987, après le déclenchement de la première Intifada. Ces directives les autorisent à appliquer une pression physique et psychologique „modérée“ sur les prisonniers. Cela a servi de couverture légale à la torture pratiquée par les agents des services secrets israéliens.
Au cours des 10 dernières années, les méthodes d’interrogatoire ont évolué : de centrale, la torture physique est devenue l’auxiliaire de tortures psychologiques d’une violence telle qu’elles laissent des traces indélébiles.
Mohammed Kilani, qui a subi de nombreux interrogatoires, dit que ce qu’il a vécu de pire c’est d’être resté plus de deux mois à l’isolement, attaché à une chaise. Il dit aussi qu’il n’y a pas de moyen de tortures pratiqué dans quelque prison que ce soit dans le monde qui n’ait été soit conçu, soit utilisé par les autorités israéliennes à un moment donné. Selon les statistiques, environ 72 prisonniers sont morts sous la torture dans les prisons israéliennes depuis 1967, sur un total de plus de 200 prisonniers morts en prison. »
Le premier prisonnier mort sous la torture a été Yousef Al-Jabali le 4 janvier 1968 dans une prison de Naplouse. Beaucoup d’autres prisonniers sont morts depuis dans les mêmes circonstances, comme Qassem Abu Akar, Ibrahim Al-Rai, Abdul Samad Harizat, Attia Za’anin, Mustafa Akkawi et d’autres, jusqu’au dernier en date, Arafat Jaradat.
5. Le combat des prisonniers grévistes de la faim au cœur de la résistance palestinienne
Tout ce qui précède relève d’atteintes permanentes, récurrentes, sans signes d’améliorations, au droit international et aux standards internationaux concernant les arrestations, les emprisonnements et les conditions de détention de prisonniers politiques en situation de guerre ou de conflits armés.
Tout ce qui précède – et qui est loin d’être neuf, qui est largement documenté depuis des dizaines d’années – reste sans suite chez nos élus et dans les sphères politiques nationales, européennes et internationales.
Tout comme l’occupation – et ses formes de plus en plus pernicieuses – et la colonisation – et ses stratégies de plus en plus fallacieuses sinon grossières. Non. Rien n’y fait. Tout cela continue.
C’est pour ces raisons que, en 2005, s’inspirant des événements et processus survenus en Afrique du sud, 160 organisations et institutions palestiniennes ont fait appel « aux femmes et hommes de conscience » de par le monde en leur demandant de boycotter les produits israéliens et les entreprises complices de la colonisation et de l’occupation, et de faire pression sur les sphères politiques nationales, européennes et internationales pour qu’elles sanctionnent enfin l’État d’Israël aussi longtemps que celui-ci refusera de se conformer au Droit international. Pratique européenne courante vis-à-vis d’autres États bien moins coupables de telles violations, mais « non applicable » à Israël, parce que…, parce que… , parce que … Israël est l’exception !
Cet appel de 2005 a pris acte de tout ce qui précède, mais aussi de l’avis de la Cour internationale de Justice de la Haye en juillet 2004, condamnant le « mur » construit par Israël en bonne partie dans les Territoires palestiniens, et tout son système associé (barrages, colonies, routes de contournement réservées aux colons, etc.). Mais un an après cette condamnation, rien n’avait changé.
Aujourd’hui, avec cette xième grève de la faim, large et massive, nous entrons dans une étape nouvelle, grave et dangereuse.
Cette grève est massive, de par le nombre actuel de participants : plus de 1.500 ! Elle est large, de par la variété des factions et des groupes de la société palestinienne participant à la grève et à leur représentativité de la société palestinienne.
Cette grève est grave et dangereuse. Non seulement, la vie des prisonniers est chaque jour un peu plus mise en péril et leur avenir hypothéqué en cas de cessation du mouvement. Mais elle semble aussi vouloir constituer un va tout décisif dans la main de fer qui s’est amorcée entre les gouvernants israéliens et les prisonniers. Il est clair que le gouvernement israélien est prêt à aller loin, très loin, manipulé qu’il est par son extrême droite jusqu’auboutiste. Il est clair en même temps qu’Israël, particulièrement attentif, sinon « malade » de son image à l’étranger, doit éviter de passer une ligne « rouge » (laquelle), ce qui risquerait pour lui des dommages difficilement réparables – comme après la 3eguerre contre Gaza.
Mais il est tout aussi clair que, si peu ou prou d’ambassades de l’étranger réagissent jusqu’ici, si l’UE reste muette, le mouvement de solidarité qui s’est amorcé dans les sociétés civiles de par le monde est en train de se multiplier, de s’élargir, de se diversifier. Si, d’un côté, la détermination des prisonniers et de leurs leaders n’a pas faibli jusque maintenant, après 5 semaines, la détermination des sociétés civiles est loin d’avoir atteint son apogée et pourrait, à moyen terme, amener les politiques à enfin se mouiller.
En même temps, la colère monte en Palestine (Cisjordanie et Gaza) face au silence l’Autorité Palestinienne quant à cette grève, devant diverses instances où sa parole aurait pu au moins informer, sinon interpeller … . La colère monte en Palestine parce que l’Autorité palestinienne, au lieu de soutenir sa société civile en ébullition et en rébellion, la réprime et … l’emprisonne, montrant de la sorte son alliance objective avec l’occupant. C’est aujourd’hui ou demain, plus qu’en 2014 et 2015 avec la « révolte des couteaux », qu’une 3e intifada pourrait bien naître – en tous cas trouver un terrain favorable.
Car d’autres étapes d’un large processus de protestation sont encore nécessaires avant qu’un tel « terrain » ne soit mûr. L’un de ceux-ci est le niveau de revendications des prisonniers en grève de la faim : au stade présent, ils revendiquent seulement ce qui relève de leurs droits humanitaires les plus élémentaires en tant que prisonniers. Dans une 2e phase, puis une 3e, il n’est pas impossible qu’ils élèvent et élargissent de manière tout à fait légitime leurs niveaux de revendication : vers la fin des arrestations administratives, vers la libération de tous les prisonniers politiques, et finalement vers la fin de l’occupation et de la colonisation ou des négociations au finish. C’est l’interaction entre la persévérance des grévistes, l’élargissement du mouvement de solidarité, l’émoi possible au sein des instances politiques de divers niveaux, qui pourrait contribuer à faire mûrir ce terrain.
À nous de montrer notre solidarité réelle et profonde dans les prochaines semaines.
(1) Nous reprenons ici une description détaillée réalisée par le Middle East Monitor : https://www.middleeastmonitor.com/news/middle-east/14957-torture-in-is… -Traduction : Info-Palestine.eu – Dominique Muselet, http://www.info-palestine.eu/spip.php?article15020
29-05-2017
Élections britanniques: les jeux ne sont pas encore faits
Une fois déclenché l’Article 50, donnant préavis que le Royaume Uni allait quitter l’Union européenne d’ici deux ans, May doit s’attendre à des négociations difficiles avec l’UE. Or, elle ne dispose que d’une une courte majorité à la Chambre des communes et à chaque étape du processus jusque-ici elle a dû compter avec les dissidents dans son propre parti, ainsi qu’avec les partis d’opposition: travaillistes, libéral-démocrates et SNP. Sans parler de cette institution d’un autre âge, la Chambre des pairs non élue. Le but de l’opération est donc de lui donner une majorité plus solide et surtout de renforcer sa propre autorité.
Puisque c’est le Brexit qui a provoqué les élections, on pourrait penser que ce sera le thème principal de la campagne. Pas tout à fait. Seulement au sens que May se présente comme la meilleure garante de la défense des intérêts britanniques et demandé d’être adoubée par le suffrage universel. Pas au sens d’un débat sur le contenu des négociations. La position globale de May est claire: quitter le marché unique et l’union douanière, négocier le meilleur accord de libre-échange possible, reprendre le contrôle du flux migratoire et sortir de la juridiction de la Cour de justice de l’UE. Au-delà de ces grandes lignes, elle n’a pas l’intention de discuter de sa stratégie de négociation, ni avec le Parlement, ni avec l’électorat.
Le premier test de Corbyn
En face de May, Jeremy Corbyn, leader du parti travailliste, élu deux fois en 2015 et 2016 par les membres et sympathisants de son parti contre l’appareil et la majorité de députés, affronte son premier grand test électoral. Sur le Brexit, Corbyn fait le minimum: il reconnaît la légitimité du vote du 23 juin, il demande un Brexit dans l’intérêt des classes populaires et le maximum d’accès au marché unique. Sur ce dernier point, sa position est assez proche de celle de Theresa May.
Le Parti libéral-démocrate se présente comme celui qui s’oppose clairement au Brexit et appelle à un deuxième référendum. Par conviction, sans doute, mais aussi par calcul électoral, dans l’espoir de prendre aux conservateurs des circonscriptions, surtout dans le Sud-Est, ayant voté Remain (1) et ainsi se remettre de sa déroute aux élections de 2015, où les LibDems ont payé leur coalition avec les conservateurs en tombant de 57 sièges à 8. Ils avaient connu un premier succès dans une élection partielle en octobre 2016 à Richmond, banlieue cossue de Londres, dans la «ceinture des banquiers», qu’ils ont repris aux conservateurs. Mais le déroulement de la campagne législative et les sondages semble indiquer que ce n’était qu’un feu de paille et que leur calcul est faux.
Beaucoup d’observateurs en Europe sont restés avec le résultat du 23 juin: 52-48, une majorité claire mais guère massive. Il y a eu quand même de nombreux indices d’un renforcement du sentiment pro-Brexit et récemment le Financial Times a commandé une enquête qui apporte quelques éclaircissements. Selon cette enquête 45% des 52% restent solidement pro Brexit. Mais 23% des 48% soutiennent maintenant le Brexit. Pour plusieurs raisons; certains avait voté contre par peur des conséquences et sont maintenant rassurés, d’autres considèrent que la décision a été prise et qu’il faut maintenant l’unité nationale pour négocier le meilleur accord possible. Leur attitude est bien résumée par un électeur dans une enquête du Guardian du 18 mai: «Le NHS [service de santé], l’éducation, le logement et ainsi de suite sont tous des points secondaires par rapport à ce qui est fondamentalement une crise nationale». Ces ex-Remainers ont été baptisés Re-Leavers. Nous ne sommes donc plus à 52% mais à 68%. En face il y a 22% de Hard Remainers et 10% de sans avis. Pour les LibDems les perspectives semblent donc assez sombres. Avec leur ligne ils peuvent gagner quelques sièges, surtout dans le Sud-Est, mais ils peuvent aussi perdre dans leur ancien bastion du Sud-Ouest, région qui a largement soutenu le Brexit.
Une partie jouée d’avance ?
Au début de la campagne électorale tous les commentateurs, appuyés par les sondages, prévoyaient une victoire, voire un raz-de-marée, des conservateurs. Les élections locales qui ont eu lieu le 4 mai semblaient confirmer ce pronostic. Une grande victoire des conservateurs, une grosse défaite des travaillistes. Et en plus une déroute pour l’UKIP, dont les électeurs sont passés en masse chez les conservateurs. Pour l’UKIP le seul espoir aurait été que May se montre faible et vacillante face à l’UE, prônant un «soft Brexit»: ce n’est pas le cas.
L’ombre du Brexit plane sur le scrutin, sans qu’on en parle des détails. May n’en a ni envie ni besoin, ses positions sont connues, elle campe dessus. Corbyn n’en a pas envie car il ne veut pas rallumer les divisions dans son parti, où l’aile droite est fortement pro-UE. Donc May se présente pomme le meilleur défenseur de la patrie et Corbyn a du mal à la concurrencer sur ce terrain-là. La campagne se déplace vers des questions sociales et économiques. Un gros titre du Guardian le résume «Travaillistes et conservateurs courtisent l’électorat populaire avec des politiques neuves».
Sur ce terrain, Corbyn se montre plus fort que les experts avaient prévu. On assiste même au cours de ses déplacements à des foules enthousiastes qui rappellent celles de ses deux campagnes pour le leadership du parti. Et ce n’est pas surprenant. La politique que défend Corbyn est populaire: nationalisation du rail,de l’énergie, de l’eau, de la Poste; augmentation de l’imposition sur les riches et les sociétés (de 21% à 26%) suppression des frais de scolarité pour les étudiants et réintroduction des bourses; gel de l’âge de la retraite à 66 ans; construction de 100,000 logements sociaux par an; augmentation des dépenses pour la santé et l’éducation; une politique industrielle, basée sur l’intervention de l’État, avec une banque nationale d’investissement. Tous ces points rencontrent un soutien majoritaire dans l’opinion. Le Parti travailliste accepte aussi que le Brexit signifie la fin de la liberté de circulation; et il propose un ensemble de mesures sur la sécurité et la défense qui inclut l’appartenance à l’OTAN et le maintien des sous-marins nucléaires armés des missiles Trident. Ces derniers points représentent le point de vue majoritaire dans la direction du parti. Corbyn les a contrebalancés dans un discours du 26 mai, nettement anti-guerre, où il a expliqué qu’il n’y a pas de réponse purement sécuritaire aux menaces terroristes et qu’il faut une autre politique étrangère. Et on ressort aujourd’hui une déclaration de lui au moment de la guerre d’Irak en 2003, qui n’a rien perdu de sa pertinence: «Des milliers de morts de plus en Irak ne vont pas résoudre les choses. Cela va déclencher une spirale de conflits, de haine, de misère, de désespoir, qui alimentera les guerres, les conflits, le terrorisme, la dépression et la misère de générations futures».
May et le «social-conservatisme social»
May aussi s’adresse à l’électorat populaire. Elle vise les électeurs travaillistes qui soutiennent le Brexit et les circonscriptions du Centre et du Nord où ils sont concentrés, des terres qui étaient sans espoir pour les conservateurs pendant longtemps. Elle a choisi de présenter le manifeste de son parti non pas à Londres mais à Halifax, ville industrielle du Nord. Elle sait que le Brexit ne suffit pas, qu’il faut une politique économique et sociale. D’ailleurs, cela correspond à ses propres idées. Dans la partie du manifeste titrée «Nos principes» on peut lire: «Nous ne croyons pas aux marchés libres sans entraves. Nous rejetons le culte d’individualisme égoïste, Nous détestons les divisions sociales, les injustices, les inégalités. Nous considérons les dogmes rigides et l’idéologie comme non seulement pas nécessaires mais dangereux». Passe sur le fait qu’elle aussi a son idéologie, avec son coté dogmatique. Ce qu’elle veut faire, c’est affirmer qu’elle n’est ni Thatcher ni Cameron. Elle croit à l’action du gouvernent et de l’État dans les sphères de l’économie et du social. Il y a une crise du logement au Royaume-Uni. May propose un programme de construction de logements sociaux. Après 10-15 ans ces logements seront mis à vente, avec priorité donnée à leurs locataires, et les recettes serviront à construire davantage de logements. A comparer avec Thatcher, qui a obligé les communes à vendre les logements sociaux aux locataires en leur interdisant d’utiliser les recettes pour construire de nouveaux logements, semant ainsi les graines de la crise actuelle. May propose aussi de contrôler les prix de l’énergie – une idée qui a été dénoncé comme extrémiste et archaïque quand l’ancien dirigeant travailliste Ed Miliband l’avait avancée. Elle propose d’étendre les droits des salariés, éventuellement avec représentation aux conseils d’administration des entreprises; elle veut réglementer les OPA de firmes étrangères sur les sociétés britanniques; elle propose une réglementation des emplois précaires et des faux travailleurs indépendants. Et puis elle a aussi sa stratégie industrielle. Un débat entre John McDonnell, artisan de la politique industrielle travailliste et Margaret Thatcher aurait été un dialogue de sourds, marché libre contre interventionnisme d’État. Un débat entre McDonnell et May serait plutôt quelle intervention de l’État? Bien sûr, Theresa May reste une femme politique de droite et sur d’autres questions, notamment l’ouverture des secteurs de la santé et de l’éducation aux capitaux privés et la réduction de l’État social elle poursuit les politiques de Cameron. Mais elle croit aussi que le conservatisme doit avoir un volet social qui renforce la cohésion national. Là-dessus elle est en conflit larvé avec des secteurs de son propre parti.
May, à la différence de Cameron, ne craint pas de faire payer sa propre base politique. C’est un jeu à risque. Ainsi, le manifeste conservateur proposait de modifier radicalement la limite à laquelle les personnes âgées doivent payer pour leurs soins, ne leur laissant que £100.000. Conçu apparemment avec l’intention de faire payer les plus riches, ce propos a été compris, à tort ou à raison, comme une attaque en règle contre les retraités. Face à une avalanche d’opposition, même dans son propre parti, May a dû abandonner l’idée. Faire cela en pleine campagne électorale, c’est rare, et cela a entamé son image de dirigeante «forte et stable» – un des slogans de sa campagne.
May utilise aussi son manifeste pour avoir un mandat face à l’UE. Donc il est écrit noir sur blanc, «nous ne ferons plus partie du marché unique ou de l’union douanière» et que, tout en cherchant un accord acceptable, «nous continuons à croire que pas d’accord vaut mieux qu’un mauvais accord». De manière générale la sortie de l’UE est présentée non simplement comme un défi difficile à relever mais comme une étape nécessaire vers un pays plus prospère et plus juste. Les détails sont laissés aux négociateurs. Mais le message centrale est répété: «chaque voix pour moi et mon équipé me renforcera dans ces négociations autour de Brexit».
May a-t-elle réussi son coup?
Alors, est-ce qu’elle va avoir son mandat? Probablement. La seule chose qui pourrait l’empêcher serait une victoire travailliste. Le parti de Corbyn a commencé la campagne électorale avec des sondages à 25-26%. Petit à petit, il est monté à entre 32 et 34%. S’il fait 35%, même plus, ce sera déjà une victoire pour lui, comparé au 30% de Miliband en 2016. Pour le moins cela renforcerait sa position dans son parti. Mais est-ce qu’il pourrait vraiment gagner? Le système électoral britannique, uninominal à un seul tour, est pernicieux. Corbyn peut remonter dans ses bastions alors que les conservateurs remportent les circonscriptions marginales. Mais l’idée d’une défaite de May et d’une victoire des travaillistes est maintenant considérée comme une possibilité, bien qu’improbable. Il y a quelques indications intéressantes. Un sondage montre que le parti travailliste est majoritaire parmi les moins de 40 ans. Et un autre vient de donner les conservateurs à 43% et les travaillistes à 38%. Autre élément à prendre en compte, ces dernières semaines trois millions de personnes se sont inscrites sur les listes électorales, dont environ un million a moins de 34 ans, notamment des étudiants, parmi lesquels les travaillistes font 55%. Donc il peut y avoir un apport de voix pour les travaillistes. On ne peut donc pas totalement exclure une victoire travailliste, qui constituera, vu son programme, un vrai tremblement de terre. D’un autre côté pourtant, les orphelins de l’UKIP iront beaucoup plus vers le conservateurs que vers les travaillistes et les conservateurs ont fait des percées, on l’a vu dans les élections locales, parmi les couches populaires.
Tout dépend de ce qui est la motivation centrale des électeurs. Si c’est le programme économique et social, beaucoup d’électeurs peuvent être attirés par le programme travailliste. Malgré les efforts «sociaux» de May, le projet de Corbyn est plus large, plus cohérent. Si c’est le Brexit qui domine, May est dans une position plus forte. Et puis il y a l’attentat de Manchester. Est-ce que les gens seront plus convaincus par la démarche sécuritaire de May ou par l’approche de Corbyn?
Ces dernières années, les campagnes électorales au Royaume-Uni n’ont pas été passionnantes, exception faite de celles en Écosse et des deux référendums de 2014 et 2016. Mais la campagne qui se déroule en ce moment, à moins de deux semaines du scrutin, peut nous réserver quelques surprises.
NOTE
(1) On se rappelle que 23 juin 2016 on demandait aux électeurs de choisir entre «leave» (partir) ou «remain» (rester). On parlait donc de Leavers et Remainers et maintenant on ajoute les Re-Leavers et Hard Remainers (voir plus loin).
Il n’y a pas que l’Angleterre
L’Angleterre est de loin la composante la plus importante du Royaume-Uni. Mais il y a aussi l’Écosse, le Pays de Galles et l’Irlande du Nord. Au Pays de Galles le combat est comme en Angleterre, entre travaillistes et conservateurs, avec aussi le parti indépendantiste Plaid Cymru. Les conservateurs avaient commencé la campagne avec dix points d’avance sur les travaillistes. Aujourd’hui la situation est inversée: les travaillistes sont en tête (44%-34%). Plaid Cymru suit avec 9%.
En Irlande du Nord toutes les élections opposent les partisans de l’Union avec la Grande-Bretagne à ceux de l’unité irlandaise. C’est encore le cas aujourd’hui, mais avec la complication que, dans la perspective du Brexit, tout le monde souhaite que la frontière avec la République d’Irlande reste ouverte, une position partagée aussi par Londres et Dublin. La spéculation sur l’unification d’Irlande comme conséquence du Brexit est largement prématurée. Les obstacles du côté de la population protestante restent considérables.
Mais c’est en Écosse que le Brexit joue le rôle le plus important dans la campagne. On se rappelle que le Parti travailliste, longtemps hégémonique en Écosse, a subi une déroute aux mains du SNP (indépendantiste, au pouvoir à Edimbourg) aux élections législatives britanniques en 2015 et encore à celles pour le Parlement écossais en 2016. C’était prévisible depuis le référendum sur l’indépendance en 2014. Ce que l’était moins, c’était la renaissance du Parti conservateur, réduit à une force marginale en Écosse sous Thatcher. Même aujourd’hui les gens aiment dire qu’il y a plus de pandas en Écosse que de députés conservateurs (il y a deux pandas au zoo d’Édimbourg et un seul député conservateur). Mais c’est fini la rigolade: ce parti renaît de ses cendres. On l’a vu aux élections pour le Parlement écossais en 2016 où il a fait jeu égal avec les travaillistes à 22%, avec le SNP à 46%. Avec le déclin du Parti travailliste les conservateurs ont pu se présenter comme le parti de l’Union. Donc, alors qu’une grande partie de l’électorat travailliste est passé au SNP, la composante unioniste a en partie trouvé refuge chez les conservateurs. En plus, les conservateurs ont pu attirer une partie de l’électorat du SNP qui vote pour ce parti parce qu’il gouverne bien, sans être pour l’indépendance. Aux élections locales le 4 mai, le SNP a fait 32% de premières préférences (il y a un système de vote transférable avec plusieurs tours), les conservateurs 25%, les travaillistes 20%. Pour les élections du 8 juin les sondages donnent le SNP à 40%, les conservateurs à 28%, les travaillistes à 18%. Le SNP est donc toujours dominant, mais il n’est plus, comme en 2015, à plus de 50%.
Dans cette situation le SNP est tenté par une fuite en avant vers un nouveau référendum. Cela semble un pari hasardeux, surtout quand le SNP le lie à la question de l’Union européenne. Tout le monde sait que l’Écosse a voté à 62% contre le Brexit, après avoir voté à 55% en 2014 contre l’indépendance. Mais les deux référendums étaient distincts. Ceux qui ont voté pour l’UE ne sont pas forcément pour l’indépendance, même pour pouvoir rester dans l’UE. Et ceux qui ont voté pour l’indépendance en 2014 n’étaient pas tous pro-UE. Le 23 juin un million d’écossais a voté pour sortir de l’UE, 1,66 million pour rester. On estime que sur le million qui a voté pour le Brexit, 400,000 avaient voté pour l’indépendance, donc environ 25% du total de 2014. Et dans un sondage récent 25% des Écossais se prononcent pour la sortie de l’UE et 42% pour réduire les pouvoirs de Bruxelles et renforcer ceux des parlements nationaux. Il faut supposer que le 23 juin une partie des 42%, confronté à un choix binaire pour ou contre l’UE, a voté contre.
Il semble évident qu’avec 25% contre l’UE et 42% fortement critiques, il ne serait pas raisonnable de faire un référendum lié à la question européenne, au risque d’un deuxième échec. Par ailleurs les sondages indiquent que la majorité d’écossais ne veut pas d’un nouveau referendum maintenant. La direction du SNP semble pourtant tenir à son idée. En déclarant qu’elle n’acceptera pas un référendum avant le Brexit, Theresa May rend peut-être involontairement service à la cause de l’indépendance écossaise.
29-05-2017
L’État d’exception au Luxembourg!
Le 1er juin 2017 sera voté un changement important de la Constitution (Projet de Loi n° 6938): l’ «état de crise» permettant au Gouvernement, dans l’urgence, de déroger à toutes les lois. Le Conseil d’État avait souligné le danger de cette mesure: «La proposition de révision donne le signal erroné que les règles traditionnelles de l’état de droit ne suffiraient pas pour maintenir l’ordre public et risquera d’être perçue comme le passage de l’impératif de la sauvegarde des libertés publiques et des droits fondamentaux à celui du maintien de la sécurité publique.» Il avait déjà mis en garde en 2002, lors de l’introduction de la notion de «crise internationale» dans la Constitution: «Le Grand-Duc disposerait en toute hypothèse de pouvoirs quasi illimités.»
Dans une série d’articles publiés dans Goosch nous avions retracé l’historique de la notion d’urgence au Luxembourg (1) et démontré que la législation actuelle permet déjà de faire face à toute situation exceptionnelle comme attentats terroristes ou catastrophes naturelles (2). Nous avions aussi analysé la première version de la proposition de loi Bodry qui sera définitivement votée cette semaine et les réactions très fortes qu’elle avait suscitées: un professeur de droit (Stefan Braum) parlant même du «début de la mort finale de l’état de droit» (3).
Bien que ni la Belgique ni l’Allemagne ne connaissent une telle mise à l’écart de la Chambre élue par la population, le gouvernement libéral Bettel, avec l‘appui du CSV, n’a jamais abandonné son projet de copier la France dans ce domaine problématique.
L’exemple de la France montre d’ailleurs le véritable but d’une législation d’exception consistant surtout à se donner des moyens politiques et administratifs de restriction des droits individuels et collectifs, sans réelle emprise sur les menaces concrètes.
L’état d’urgence en France est un monstre piloté en réalité par les services secrets qui dictent la voie à suivre au gouvernement, avec le résultat que cet état se voit prolongé depuis novembre 2015.
Des cas d’ouverture très larges
La constatation de l’état de crise et la décision de mesures réglementaires par le gouvernement peut avoir lieu pour trois raisons:
1) En cas de crise internationale qui n’est pas autrement définie et où le rapport parlementaire concède au gouvernement une «certaine marge d’appréciation» (tout en constatant que cette disposition, existant déjà actuellement, a toujours été limitée au domaine économique et financier: sauvetage de la Dexia en 2008 et 2011).
2) En cas de «menaces réelles pour les intérêts vitaux de tout ou partie de la population».
Cette formulation, malgré sa révision (au début il était question aussi de «besoins essentiels»), est cependant encore très loin du seul cas d’état d’urgence prévu par la Convention européenne des droits de l’Homme, à savoir: «en cas de guerre ou en cas d’autre danger public menaçant la vie de la nation.»
3) En cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à la sécurité publique.
La notion d’»ordre public» (permettant l’intervention politique tous azimuts de l’État contre tout ce qui dérange) a certes été remplacée par la notion de sécurité. Mais de graves interrogations persistent.
S’agit-il d’un péril pour l’État et ses institutions, ce qui permettrait de démarquer ce cas de figure de celui de la menace pour les intérêts vitaux de la population, s’est interrogé le Conseil d’État sans que le rapport ne fournisse d’autre réponse que le renvoi à la situation française qui montrerait qu’il s’agit de prévenir un risque de nouvelles atteintes à la sécurité publique.
Mais l’exemple français montre justement aussi le danger inhérent à cette notion, car quel gouvernement pourrait dire, après un attentat, que le risque est définitivement écarté, ce qui lui ferait immanquablement porter la responsabilité du prochain attentat!
Rien que cet engrenage potentiel montre le danger d’une telle autorisation permanente constitutionnelle de briser la législation normale. Lors de l’application de cette disposition, le gouvernement – et avec lui la Chambre des Députés – sera l’otage en particulier du service secret et de ses besoins spécifiques difficilement contrôlables (même sans envisager d’éventuelles stratégies internationales de la tension comme du temps de Gladio ou du Bommeleër).
Des restrictions assez hypothétiques
Comme les conditions du déclenchement de l’état d’exception sont très vastes et très vagues (crise internationale, intérêts vitaux d’une partie de la population, péril imminent pour la sécurité publique), comme le déclenchement de la crise est décidé par le gouvernement, sur base de l’avis des services de sécurité, toutes les limitations introduites risquent de se révéler largement inefficaces:
– Il faut le constat préalable de l’impossibilité d’agir de la Chambre? Cela risque de devenir une formule rituelle, car la Chambre ne sera évidemment pas en état de réagir en un jour à «l’urgence» par une loi.
– Il faut une majorité de 2/3 des députés pour proroger l’état d’exception au-delà de 10 jours? Et ce serait à la Chambre, et non plus au pouvoir exécutif, d’apprécier souverainement si les conditions de l’état de crise restent données? Elle pourra aussi elle-même fixer les conditions de l’exception dans une loi ou contraindre le gouvernement à changer le règlement par une motion? C’est déjà plus sérieux, mais honnêtement: dans un contexte d’attentats où les informations sont celles des services, amplifiées par la presse oligarchique, quel parlement voudrait encaisser le reproche d’être «inactif»? On l’a vu en France où même des députés PCF ont voté l’inauguration de l’état d’urgence (et se sont montrés incapables d’empêcher la prorogation par après).
– Les règlements d’exception devront respecter la Constitution et les traités notamment de droits de l’homme? Des recours sont possibles contre les règlements et contre les mesures contraignantes prises sur leur base? Oui, mais cela ne les empêche pas de causer tort pendant un certain temps et, soyons sérieux, la Constitution est elle-même très vague en matière de droits humains (raison d’ailleurs pour laquelle Déi Lénk a introduit une Constitution alternative), et toutes les conventions des droits de l’homme n’ont pas été ratifiées par le Luxembourg.
– La Constitution interdira à l’avenir la prorogation de l’état d’exception au-delà de 10 jours + 3 mois? C’est une barrière réelle; mais évidemment, un nouvel état d’exception pourra toujours être déclenché par le gouvernement sur base de faits nouveaux.
Un gouvernement Bettel-Schneider-Braz ordo-libéral
Il ne faut pas oublier que derrière la proposition de loi Bodry se trouve le gouvernement libéral DP-LSAP-Gréng en son entier. Cette loi constitutionnelle potentiellement liberticide est le fruit du libéralisme autoritaire des Bettel (patron du service de renseignement), Schneider (chef de l’armée et de la police), Braz (Ministre tutélaire de l’Accusation Publique de classe, appelée parquet). Je ne peux m’empêcher de penser ici à la junte de Pinochet représentant l’Armée de l’Air, de Terre et navale, mais ramenez-moi sur terre…
Ce Gouvernement avait d’ailleurs proposé de biffer dans la proposition de révision constitutionnelle, amendée par la Commission des Institutions, la limitation de l’état d’urgence à trois mois! Il voulait que le parlement soit libre d’en fixer la durée … comme en France.
Ce gouvernement, après d’autres lois liberticides en matière de terrorisme (Braz) et après la légalisation des pratiques douteuses du service de renseignement (Bettel), montre une nouvelle fois que libéralisme économique se marie bien avec autoritarisme sécuritaire quand il s’agit de défendre les intérêts de la classe dominante. Cette loi constitutionnelle est aussi inutile à la poursuite de l’objectif de sécurité pour les populations civiles que dangereuse pour les libertés publiques. En disant cela, j’appuie toutes les mesures réelles et efficaces pour découvrir, prévenir et punir les auteurs des attentats à la vie d’autrui et leurs complices. Les députés de Déi Lénk ont d’ailleurs voté la loi sur la protection nationale.
(1) http://www.goosch.lu/etat-durgence-etat-dexception-politique-2/
(2) http://www.goosch.lu/etat-dexception-politique/
(3) http://www.goosch.lu/etat-durgence-etat-dexception-politique-3/
15-05-2017
Die Tabus in der Wohnungsfrage
Das Wachstum der Demografie ist aber zur Zeit weit grösser…und es wurden in der Zeitspanne von 2004 bis 2010 jährlich nur 1.685 Wohnungen gebaut. 92% des Baulandes ist in Privatbesitz. Der Marktwert dieses Baulandes steigt jedes Jahr um 4-5%. (Zahlen aus einer rezenten Tagung des „Ordre des Architectes“) Daher wird kein Bauland mobilisiert.
„Sozialer Wohnungsbau ist was für arme Schlucker“
30% der Bevölkerung besitzen kein Wohneigentum. Nicht alle können erwarten, dass sie sich eine eigene Wohnung leisten können. Menschen mit bescheidenem Einkommen, in der Mehrzahl normale Lohnabhängige in Arbeit werden verarmt weil die Misere am Wohnungsmarkt nicht bekämpft wird. Der Anteil der Miete am verfügbaren Einkommen übersteigt jede vernünftige Proportion. Wie steht es um die Neuankömmlinge am Arbeitsmarkt. Wenn sie nicht jahrelang im „Hotel Mama“ überwintern oder Wenn sie keine reichen Elternhaben werden sie wie seit jeher zuerst eine Wohnung anmieten. Auch mit einer guten Ausbildung ist mit einem Anfangslohn nur selten an einen Wohnungskauf zu denken.
„Die Wohnungsmisere ist die Schuld vergangener konservativer CSV-Minister“
Ja, die sukzessiven CSV-Wohnungsminister, wie Pit Boden, tragen ihren Anteil Schuld an der bestehenden Misere. Immerhin hatte die CSV das Gesetz zum „pacte logement“ hervorgebracht, das immerhin einige Möglichkeiten eröffnete, bezahlbaren Wohnraum in den Gemeinden zu schaffen. Dieses schlecht geschriebene Gesetz wurde hauptsächlich dazu genutzt, die Bevölkerung zu erhöhen und staatliche Subsidien in die Gemeindekassen zu leiten. Nun haben wir aber eine DP-LSAP-déi Gréng-Regierung, die den Wohnungsbau den Liberalen zuschusterte und dazu noch einer Ministerin, die eigentlich für nichts zu gebrauchen war. Sie wurde ausgewechselt und der neue Minister setzt nur auf den Markt um die Situation zu verbessern. Verantwortlich ist aber die ganze Regierung also auch die Sozialdemokraten und die Grünen, die sich höchstens mal beklagen, aber nicht auf einem Kurswechsel beharren. Die kürzlich eingeführten Mietprämien sind kein Kurswechsel, sondern ein zusätzlicher Beweis für das Scheitern aller Wohnungspolitik der letzten Jahrzehnten.
„Das „pacte logement“-Gesetz zeigt doch keinerlei Wirkung“
Dazu sagt Patrick Bousch vom LISER treffend: „Die Bestimmungen zielen fast alle auf den kommunalen Sektor ab. Aber ist das die „échelle pertinente“? Die Vorgaben und Ziele sind national, sollen kommunal umgesetzt werden – ohne dass die Strategie bis auf Gemeindeniveau heruntergebrochen wird und es die nötige Unterstützung gibt.“(tageblatt vom 11.Mai).
Bousch ist noch höflich zu den Gemeinden. Es stimmt, dass der Staat die Lösung der Probleme in einem gewissen Sinn auf die Gemeinden abgeladen hat. Nun sind die Gemeinden wenigstens teilweise tatsächlich die „échelle pertinente“. 100% des nationalen Territoriums sind auch kommunales Territorium. Das Problem ist, dass die Gemeinden die einschneidenden Maßnahmen des „pacte logement“ nie umgesetzt haben. Man muss die Kritik viel weiter treiben.
1.Fühlen die Gemeinden sich nicht als Wohnungsbauer, selbst wenn 75% der Investitionen vom Staat bezahlt werden und das Patrimonium der Gemeinde erheblich gestärkt wird. Es ist des Landes nicht der Brauch.
2. Führt die soziologische Zusammensetzung der Gemeinderäte dazu, dass der Bau von kommunalem, bezahlbaren Wohnraum als eine Politik für arme Leute angesehen wird, was nicht stimmt. Die Wohnungsmisere betrifft auch Familien mit mittleren Einkommen, junge Menschen, Alleinerziehende mit einem Arbeitsplatz, Studierende usw.
3. Wollen die Gemeinden die Last der Verwaltung eines kommunalen Wohnungsparks nicht auf sich nehmen.
4. Wollen sie keine sozialen Mietwohnungen bauen, weil sie die sozial schwache Bevölkerung nicht anziehen, sondern abstoßen wollen. Das klingt krass, wird aber (außer bei offiziellen Anlässen) kaum verholen so begründet. In Frankreich gibt es die Beispiele von bourgeoisen Gemeinden, die sich nicht an die Regel von 10% kommunalen Sozialwohnungen halten und dafür auf die staatlichen Dotationen verzichten. Das scheint in Luxemburg mit wenigen Ausnahmen die Grundhaltung zu sein.
„In Esch-Alzette ist die Lage doch besser, weil die Stadt viele Sozialwohnungen hat.“
Stimmt nicht. Der LSAP-déi Greng-Schöffenrat baut gar keine kommunalen Mietwohnungen. In einem Neubauviertel Zaepert sind Wohnungen für etwa 2000 Menschen vorgesehen, doch Mietwohnungen gibt es dort nur beim „Fonds du Logement“, denn die Stadt baut nur Eigentumswohnungen, die meisten werden zum Selbstkostenpreis verkauft, einige meistbietend. Von den etwa 350 Wohnungen, die der Stadt gehören, stehen etwa 80 leer. Der Gemeinderat hat vor zwei Jahren ein Reglement im Rahmen des „pacte logement“ gestimmt, das private Wohnungen höher besteuert, die seit mehr als 18 Monte leer stehen. Doch gibt es innerhalb der LSAP-Fraktion und des Schöffenrats eine Opposition gegen dieses Reglement, so dass es, allen demokratischen und juristischen Regeln zum Trotz, nicht zur Ausführung kommt. Der LSAP-déi Gréng Schöffenrat macht Politik für die gehobene Mittelklasse.
15-05-2017
Was wäre wenn Marine das Kulturministerium in Luxemburg übernommen hätte?
Luxemburg hätte ein paar Affen mehr bekommen und hätte sich so stark wie einst das Gibraltar des Nordens gefühlt.
Nun dann wäre die Kultur nach wie vor das Stiefkind der Nation geblieben, denn von den 144 Vorschlägen im Programm des «Front National» befassten sich praktisch nur drei mit dem Thema Kultur. Nicht unter der Rubrik Kultur, die gab es nicht, sondern unter der Rubrik »Un Luxembourg qui crée et rayonne. »
Erster radikaler Schritt wäre gewesen, allen Museen wieder einen luxemburgischen Namen zu geben . Das« City Museum Luxembourg » würde dann wieder « Staater Musée » heissen. «Sorry» Madame Polfer.
Auch hätte es nicht mehr Geld als zuvor gegeben. Das Budget « Kultur » bliebe eingefroren auf dem selben Niveau wie bei den beiden vorherigen Präsidenten. Die drastische Sparpolitik erklärt diesen Schritt. Für Künstler und Künstlerinnen hätte das bedeutet: keine Subsidien mehr!
Nur eine Institution hätte sich gefreut. Nämlich das «Sites et monuments». Hier wären die Kredite um 25% erhöht worden. Unser Architekturerbe wäre dann besser unterhalten, geschützt oder vielleicht sogar wieder ganz neu aufgebaut worden.
Die Stadt Luxemburg hätte mit dem Wiederaufbau der Festung, wie vor der Schleifung im Jahre 1867, begonnen. Nur der Bürger wäre abends in die Festung hereingelassen worden, der eine Strofe des «Renert» von Michel Rodange in luxemburgischer Sprache auswendig aufgesagt hätte.Wäre das nicht der Fall gewesen, dann wäre Letztere freundlichst gebeten worden seine Heimreise in Richtung Frankreich, Deutschland oder Belgien anzutreten.
Es wäre dann auch nicht mehr möglich gewesen unsere Paläste und architektonischen Kronjuweln an chinesische oder arabische Grosskonzerne zu verjubeln. Damit hätte man ja auch noch einverstanden sein können.
Das Kunsthandwerk wäre wiederum in unseren Schulen mehr gefördert worden, wohlverstanden das traditionelle Handwerk, wie z.B «Peckvillercher» modellieren . Warum nicht! Denn manuelle Aktivitäten sind willkommener Ausgleich für stundenlanges Smartphoneglotzen bei Kindern und Jugendlichen.
Nach einem Sieg von Marine wäre unser Land von einer Unzahl sogenannter «pépinières d’artistes» übersäht worden. Natürlich nur geöffnet für einheimische Künstler(innen), was aber unweigerlich zu einer Art degenerierter und inzesthafter Kunst geführt hätte. Die Einreise ausländischer Künstler(innen) wäre stark behindert worden. Im Programm ist nämlich ein Verlassen des Schengenraum und eine Wieder- einführung der Grenzkontrollen vorgesehen.
Weiterhin wäre die Finanzierung der Museen nur noch durch ein sogenanntes «populäres Mäzenat» garantiert worden. So könnte sich dann jeder Bürger finanziell an kulturellen Projekten beteiligen und bekäme als Gegenleistung steuerliche Erleichterungen zugesprochen. Staat und private Wirtschaft müssten so ihr Monopol durch Sponsoring aufgeben. Das Volk würde dann über das Programm der Museen entscheiden und den kulturellen Eliten, Kuratoren, Kunstkritikern den Garaus machen.
Nur was schön ist und dem allgemeinen Geschmack entspricht wäre dann gezeigt worden. Eine uniforme Kunst wäre die Konsequenz gewesen.
Es wäre aber auch vielen Künstlern und Künstlerinnen an den Kragen gegangen. Nur diejenigen die Kunst zu ihrem Beruf gemacht haben, also ein Studium mit Abschluss, hätten dann das Recht gehabt sich diesen Titel anzueignen. Letztere hätten eine sogennante « carte professionnelle » erhalten, aber nur wenn sie den Kriterien rechtsextremistischer Kunst entsprochen hätten. Alle Pseudo respektiv Hobbykünstler(innen) hätten so ihre Pinsel beim Kulturministerium persönlich abgeben müssen.
In allen Schulen des Landes, von der Primärschule bis hin zum Gymnasium, wäre Musikunterricht wieder obligatorisch geworden. Man hätte das, der älteren Generation noch bekannte Liederbuch, »Mir sangen- Lëtzebuurger Lidderbuch » erneut auf das Programm gesetzt. Dank dessen hätte man beim gemütlichen «Patt» im Café zusammen singen können, um so unser Zusammengehörigkeitsgefühl wieder zu stärken.
Marine hätte die kulturelle Diversität gestärkt. Nein das kann nicht wahr sein! Ach ja, sie versteht unter kultureller Diversität etwas anderes, nämlich die einheimische Diversität, also die Kultur der Minettsdëpp, der Moselaner oder der Wëlzer hoch im Norden des Landes. Die Priester wären dann gezwungen worden ihre Sonntagspredigt im passenden Dialekt zu machen.
Marine hätte jedes Jahr einen Kunstsalon für die sogennante «offizielle Kunst» organisiert. Natürlich nur für Künstler(innen) mit rechtsextremer Gesinnung und dazu passenden Themen wie z.B Schönheit, Erbe und Identität. Daneben hätte es einen « Salon de l’art caché »gegeben, ein anderer Name für «entartete Kunst», mit Werken die Marine’s Nachfolgerin Marion persönlich ausgewählt hätte. Die «Cloaca» von Wim Delvoye hätte bestimmt zu den ausgewählten Werken gehört !
Fazit des Ganzen: Luxemburger Kunst über Alles. Einige einheimische Künstler(innen) hätten sich eventuell gefreut, wären sie jetzt endlich auch ins MUDAM eingezogen… OK. Aber zu welchem Preis ?
Gott sei Dank ist dies nur eine fiktive Geschichte.
Articles consultés :
Le programme culture du front national : un danger pour la diversité culturelle. (Le club de Mediapart)
Culture : Que propose le programme de Marine le Pen. (Le Figaro )
Les candidats à la présidentielle et la culture. Les propositions de Marine le Pen. (Culturebox)
Emmanuel Macron –Marine le Pen, quid de la culture. (Exponaute)
Le plan culture de Marine le Pen. (L’Express)
Politique cultuelle Macron VS Le Pen (Rollingstone)
Que propose Marine le Pen pour la culture ? (La toutdesuite)
15-05-2017
France: Les législatives seront le troisième tour
On peut attribuer l’ampleur de la victoire à une deuxième semaine de campagne assez catastrophique pour Marine Le Pen. En particulier pendant le débat en face à face avec Macron: elle a été coriace, agressive et elle a marqué quelques points sur le thème de Macron candidat de la finance, de la continuité, etc. Mais sur l’économie et en particulier sur l’euro, sa prestation était mauvaise jusqu’à frôler l’incohérence. Macron n’avait pas besoin d’être très bon pour apparaître plus crédible.
L’élection présidentielle terminée, se profilent les législatives des 11 et 18 juin. L’enjeu est de taille: Macron n’est pas certain de rassembler majorité sans laquelle sa capacité à appliquer son programme sera limitée. Ainsi, tous les états-majors préparent la campagne: le parti du président, qui s’appelle maintenant « La République en Marche » (LRM), évidemment; mais aussi les autres partis, qui cherchent à se remettre en selle après la campagne présidentielle et à refuser sa majorité à Macron. Pour certains il s’agit de pouvoir ensuite marchander leur soutien, pour d’autres et notamment la gauche radicale, de mener une opposition conséquente à sa politique antisociale.
Déception pour le Front national
La candidate battue a obtenu 33,9% et 10,6 millions de voix; c’est encore beaucoup. Mais c’est nettement en-deçà des espoirs des cadres du Front national. Suffisamment pour que des critiques de la ligne «sociale» et le projet de sortie de la monnaie unique de Marine Le Pen et Florian Philippot, et plus largement la tentative de s’adresser aux couches populaires et aux électeurs de gauche, ont commencé à se faire entendre. De nombreux cadres du FN, peut-être la majorité, n’ont jamais vraiment été d’accord avec la ligne de Marine : ils l’ont acceptée tant qu’elle remportait des victoires, dans la séquence électorale de 2012 à 2015. Mais l’échec relatif du 7 mai a changé la donne. Personne ne lui reproche de ne pas avoir gagné, mais une meilleure fin de campagne aurait pu franchir la barre symbolique des 40%. L’analyse de la composition du vote le Pen au deuxième tour apporte quelques éclaircissements. Elle montre que malgré ses appels aux électeurs de gauche, seulement 7% des électeurs de Mélenchon et 2% de ceux d’Hamon ont voté Le Pen. A droite, 20% des électeurs de Fillon et seulement 30% de ceux de Nicolas Dupont d’Aignon, candidat souverainiste de Debout la France, qui avait pourtant apporté son soutien à Le Pen entre les deux tours et était prévu comme premier ministre. Des chiffres qui confortent l’analyse d’un élu FN du sud de la France «C’est une catastrophe. On paye un programme qui a fait fuir la droite», en lançant «des appels à la gauche, alors que la gauche ne votera jamais pour nous». Dans un de ces coups de théâtre qui ont tellement marqué cette campagne Marion Maréchal-Le Pen, qui aurait pu être le porte-voix de ces critiques a annoncé sa retraite de la vie politique pour des raisons personnelles, en précisant que ce n’était pas définitive. Certains pensent qu’il s’agit d’une fine manœuvre: partir pour revenir en force au moment choisi. Quoi qu’il en soit, le Front national rentre dans une zone de turbulences qui peut aboutir à une vraie crise. Les critiques, mises en sourdine pour l’instant, ne le seront plus après les législatives.
A gauche, on aurait pourtant tort de se réjouir trop tôt. Le FN est déjà passé par d’autres crises et a toujours rebondi. Le score de Marine Le Pen est quand même le plus élevé de l’histoire du parti. Et cinq ans de Macron, s’il arrive à trouver une majorité à l’Assemblée nationale reproduira les conditions qui alimentent le Front.
Macron : une victoire ambiguë
Si la défaite de Marine Le Pen a été amère, la victoire de Macron a été ambiguë. Avec 24% au premier tour et 66% au deuxième, il doit sa victoire à la volonté de battre Le Pen. Parmi les 52% des électeurs de Mélenchon, les 48% de ceux de Fillon, les 71% d’Hamon, et les 27 % de Debout la France qui ont voté Macron au deuxième tour, il est difficile de décerner un vote d’adhésion. D’ailleurs, parmi les votants pour Macron au deuxième tour, 43% cite l’opposition à Marine Le Pen comme leur motivation. Un tiers ont voté Macron pour le renouvellement qu’il prétend représenter; seulement 16% approuve son programme et 8% ont voté pour sa personnalité. Sa base est donc fragile et instable et par ailleurs fortement biaisée vers les couches aisées. Il peut compter sur une certaine dynamique dans le sillage des présidentielles, mais il est difficile d’en estimer l’ampleur. Un sondage quelques jours avant le deuxième tour donne 22% pour LRM, 20% chacun pour le FN et les Républicains, 16% pour la France insoumise. Un autre sondage entre le 9 et le 11 mai voit Macron à 29%, LR et le FN toujours sur 20% la France insoumise à 14% et le PS à 7%.
Tout en espérant un grand succès pour LRM, Macron ne peut pas tout miser là-dessus. Donc on le voit négocier avec des députés sortants qui ont un pied dans le PS et un pied dehors. Il semble qu’en fin de compte il y aura quelques dizaines de ces girouettes qui seront soit candidats LRM, soit laissés sans candidat LRM face à eux. En ce qui concerne les Républicains, dont les tensions internes sont d’un autre ordre que la crise existentielle que vit le PS, il semble qu’un nombre plus restreint de ses députés n’auront pas un candidat LRM en face. Il semble aussi qu’il y aurait un accord avec le MoDem de François Bayrou, mais comme tout ce qui entoure la campagne de Macron ces derniers jours, il y a des déclarations, des contre-déclarations et des démentis.
Ceux qui ont refusé de choisir
L’autre fait marquant du deuxième tour de cette élection présidentielle a été le niveau extrêmement élevé d’abstentions et de votes nuls ou blancs, sans précédent depuis 1969. Il y a eu 25,38% d’abstentions et 11,49% de votes blancs et nuls. C’est d’encore plus remarquable que le danger d’une victoire de Le Pen, bien qu’improbable, était loin d’être inexistant. Il y a deux façons d’aborder ce phénomène. D’abord, on peut critiquer ou dénoncer ceux qui n’ont pas voulu utiliser le bulletin de vote Macron pour bloquer la route à Le Pen. Il fallait certainement essayer de les convaincre avant le 7 mai. Mais en rester là, où faire de cette question un point de clivage, ne sert à rien. Il vaut mieux essayer de comprendre. Le phénomène est loin d’être totalement négatif, au contraire. Parmi ceux qui ont choisi de ne pas choisir le 7 mai, un très grand nombre ont fait leur geste pour signaler leur opposition totale à Macron, qui découlait d’un rejet de son programme et la compréhension que le jeune énarque représentait la continuité, probablement en pire, des politiques de ses prédécesseurs. Cette compréhension était par ailleurs partagée par un grand nombre de ceux qui ont voté pour Macron.
Jean-Luc Mélenchon a refusé de se joindre à ce qu’on appelle le «Front républicain» contre Le Pen le soir du premier tour, dont une bonne partie consiste d’antifascistes d’un jour tous les cinq ans. La France insoumise a organisé une consultation à laquelle 240,000 personnes ont participé – ce qui est en soi un camouflet pour ceux qui mettent en doute la réalité militante du mouvement – avec trois choix: voter Macron, voter blanc, s’abstenir. Le résultat était partagé, aucune position n’étant majoritaire. FI n’a pas pris position et Mélenchon a refusé de dire comment il avait voté. Cette démarche, très critiquée, était sans doute la seule qui garantissait l’unité de la France insoumise ;
Ce degré d’opposition à un président nouvellement élu est sans précédent. Il laisse présager non seulement des mobilisations dans la rue. Celles-ci auront lieu, et bientôt ; surtout si Macron persiste avec son intention de s’attaquer davantage au Code de travail par décret. Mais l’ampleur du refus de la politique de Macron doit aussi trouver son reflet aux législatives.
Où en sont les partis traditionnels?
Malgré la différence d’échelle, on voit des processus parallèles dans LR et le PS. Les plateformes «extrêmes» de leurs candidats présidentiels ont été recentrées. Benoît Hamon a pu constater, sans paraît-il avoir été consulté, que des pans entiers de son programme avait disparu, notamment le revenu minimum garanti et les questions écologiques. Il y a eu aussi un recentrage à droite, où la campagne législative de LR sera dirigée par François Baroin.
Dans le Parti socialiste, on peut identifier plusieurs cas de figure et plusieurs courants. Il y a ceux qui sont passés avec armes et bagages chez Macron, en claquant la porte du PS, à l’image de Richard Ferrand, aujourd’hui secrétaire-général de LRM. Il y en a qui tout en gardant leur carte du PS penchent vers Macron. Il y a l’appareil représenté par le secrétaire national, Jean-Christophe Cambadélis, qui essaie de maintenir le PS plus au moins debout, au moins jusqu’au lendemain des législatives. Et il y a des courants qui se forment, de gauche comme celui de Benoît Hamon ou du centre comme celui emmené par les maires de Lille et Paris, Martine Aubry et Anne Hidalgo et l’ancien Garde des sceaux Christiane Taubira. Où tout cela mène dépendra du score du PS aux législatives et des manoeuvres et reclassements autour de Macron.
Il n’est pas facile de prédire l’issue des législatives. Pour plusieurs raisons. D’abord, les sondages ont été faits avant que les différentes forces politiques ne soient en état de marche, n’ayant même pas clos leurs listes ou commencé leur campagne. Ensuite, une élection avec plusieurs forces politiques n’est pas la même chose que le duel classique gauche-droite. Déjà en 2012 nous avons assisté à un certain nombre de triangulaires (en général PS-droite-FN). Cette fois-ci ce sera encore plus compliqué. Le 23 avril, Macron était en tête dans 240 circonscriptions, Le Pen dans 216, Mélenchon dans 67, Fillon dans 54. A supposer, ce qui est loin d’être sûr, que ces résultats se reproduisent le 11 juin, cela nous dira pas grande chose sur le résultat. Non seulement parce que cela dépend du report de voix du premier tour, mais parce que tout candidat avec les suffrages de plus de 12,5% des inscrits au premier tour peut se maintenir au deuxième. Ce qui peut donner non seulement des triangulaires mais des quadrangulaires. Et dans ces cas-là c’est le candidat en tête qui est élu, même sans avoir 50% des voix. Ce qui peut aider le Front national, mais aussi la France insoumise.
Vu le nombre d’impondérables, et même à supposer que les sondages soient fiables, comme ils l’ont été grosso modo pour les présidentielles, il est particulièrement inutile de spéculer. Surtout, beaucoup de choses peuvent changer au cours de la campagne, comme la campagne présidentielle vient de le démontrer.
La campagne de la France insoumise
Jean-Luc Mélenchon et la France insoumise ont lancé leur campagne le 13 mai. Ils avaient annoncé qu’ils auraient des candidats dans toutes les 577 circonscriptions. Au 13 mai, seule une dizaine n’étaient pas encore couvertes. La grande majorité des candidats n’appartient à aucun parti (la double appartenance est autorisée). Mais un certain nombre, peut-être un quart, sont membres du Parti de Gauche, d’EELV, du PCF et même quelques-uns du PS. Il semble que dans tous ces cas il s’agit de gens qui ont soutenu la campagne présidentielle. Ces derniers jours il y a eu des négociations avec le PCF en vue d’un accord pour les législatives. Les rapports entre la France insoumis et le PCF ont été particulièrement compliquées au cours de cette campagne. Le PCF n’a pas apprécié que Mélenchon lance sa campagne début 2016 et a cherché pendant des mois à trouver un candidat unitaire. Dès le printemps 2016 de nombreux militants et cadres du PCF avaient rejoint la campagne de Mélenchon. Il fallait attendre novembre avant que le parti en tant que tel, après un débat difficile, apporte son soutien. A partir de là au niveau central le PCF a mené une campagne active de soutien à Mélenchon. Mais c’était son propre campagne, avec son propre programme, affiches, etc. Dès le mois de janvier, il y a eu des négociations pour une campagne commune aux législatives, qui n’ont pas abouti. Celles qui ont suivi le premier tour ont été tout aussi infructueuses. Mais il y aura des candidates PCF qui font partie des listes de la France insoumise, surtout ceux qui ont soutenu Mélenchon dès le début. D’autres n’auront pas de candidat FI en face. Il y a un certain nombre d’accords locaux et le 13 mai FI a annoncé qu’elle ne présenterait de candidats contre ceux du PCF qui avaient parrainé Mélenchon. Il faut sans doute attendre la date limite du dépôt de listes le 19 mai pour avoir une idée exacte.
Les conditions de la France insoumise dans ses rapports avec d’autres forces visaient à avoir une campagne nationale unique et pas un patchwork d’accords locaux, ni de campagnes parallèles. Elle a mis comme conditions qu’il y aura un programme unique (que personne n’était obligé de signer), une charte de conduite (que tous les candidats doivent signer) un financement commun et une discipline de vote dans la future fraction parlementaire. Cette démarche découlait de son but, qui était de devenir la première force de gauche et dans ses projections optimistes, d’avoir une majorité de gauche à l’Assemble nationale. Jean-Luc Mélenchon a annoncé sa candidature à Marseille face à un dirigeant socialiste de la ville. A l’accusation qu’il voulait affaiblir le PS (qui par ailleurs s’affaiblit tout seul) il a répondu que son but n’était pas de l’affaiblir, mais de le remplacer. Ce qui a le mérite d’être clair et logique. Cela ne veut pas dire que FI ne peut pas travailler ensemble à l’avenir avec des socialistes ou des Verts qui adoptent une position d’opposition claire à Macron.
Le résultat des élections législatives et surtout la force de la gauche radicale déterminerait la marge de manoeuvre de Macron. Mais en attendant il sera quand même président. Et même avant de s’installer à l’Elysée il a eu deux douches froides. Pendant la campagne il avait eu le soutien indéfectible de toute l’Europe libérale. Une fois élu on l’a rappelé à l’ordre. Jean-Claude Juncker a déclaré que les Français dépensaient trop et mal – entendre, sur les services publics. Et Merkel a fait comprendre qu’il n’y aurait pas de changement des règles pour l’aider et que son premier devoir était de «réformer» la France. De manière hautement symbolique, le premier voyage à l’étranger du nouveau président, le 15 mai, sera à Berlin.
15-05-2017
Algérie, l’autre 8 mai 1945
Ce jour là, dans toute l’Algérie, des manifestations sont organisées pour fêter la victoire des alliés mais aussi pour rendre hommage aux nombreux soldats algériens engagés dans la guerre en Europe. Marseille et Toulon ont été libéré par des régiments de tirailleurs algériens et plusieurs milliers d’entre eux trouveront la mort en France, en Allemagne ou en Italie.
La revendication nationale ayant pris de l’ampleur en Algérie pendant la guerre, le Parti du peuple Algérien donne aux défilés une forte connotation indépendantiste.
A Sétif, c’est le drapeau algérien qui met le feu aux poudres. Le préfet ayant ordonné aux forces de police de «tirer sur tous ceux qui arborent le drapeau algérien», le commissaire ne se fait pas prier: il fait tirer sur les manifestants. Le premier manifestant tué est un jeune scout, Bouzid Saâl. Pacifiques, les manifestations dégénèrent en émeutes et 102 européens sont tués. La répression de l’armée française intervient brutalement dans toute la région. Manifestants fusillés sommairement par centaines, femmes violées… L’aviation mitraille et bombarde les villages de montagne. Les navires de la marine bombardent les douars de la montagne kabyle. Et les colons, organisés en milices, participent aux massacres. Le général Tubert, membre de la commission d’enquête chargée de faire la lumière sur ces événements, avance le chiffre d’environ 1000 morts, mais les historiens s’accordent à parler de 20 000 à 30 000 victimes… De par la radicalisation que ces massacres ont engendrés, certains historiens les considèrent comme le véritable début de la guerre d’Algérie. L’écrivain algérien Kateb Yacine, lycéen à Sétif à cette époque l’exprime ainsi: «C’est en 1945 que mon humanitarisme fut confronté pour la première fois au plus atroce des spectacles. J’avais vingt ans. Le choc que je ressentis devant l’impitoyable boucherie qui provoqua la mort de plusieurs milliers de musulmans, je ne l’ai jamais oublié. Là se cimente mon nationalisme.»
Reconnaissance tardive par la France
La France n’a jamais reconnu officiellement les massacres jusqu’en mars 2005, soit plus de 40 ans après l’indépendance, quand l’ambassadeur de France en Algérie, Hubert Colin de Verdière parla des massacres de Sétif comme d’une «tragédie inexcusable». Et c’est François Hollande qui fut le premier chef de l’État à reconnaître les massacres et de déclarer, lors d’une visite à Alger en décembre 2012: «Pendant cent trente-deux ans, l’Algérie a été soumise à un système profondément injuste et brutal. Je reconnais ici les souffrances que la colonisation a infligées au peuple algérien. Parmi ces souffrances, il y a les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata.»
Malgrè cette reconnaissance symbolique importante vu le contexte, la France reste enfermée dans une logique néo-coloniale vis-à-vis de ses anciennes colonies et la droite et l’extrême droite semble toujours décidée à imposer son Histoire officielle et continuer à vanter le «rôle positif de la présence française outre-mer»…
05-05-2017
Élections en France: le chaînon manquant
Certaines réactions face aux résultats du premier tour des élections présidentielles en France m’obligent de réagir. Dans ce contexte, j’aimerais souligner quatre aspects sous-estimés cruellement, à savoir les conséquences d’une victoire de Marine Le Pen et du FN, mais également celles d’une victoire d’Emmanuel Macron, l’importance du chaînon manquant – la mobilisation sociale et citoyenne et, enfin, l’indispensable recomposition de la gauche.
1) Sous-estimer Marine Le Pen
Contrairement à maints commentateurs, j’estime que le débat télévisé du 3 mai entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen – tout comme ses prises de positions antérieures – a montré clairement que la candidate du Front National dispose bien d’un projet politique pour sa présidence: ancrer vigoureusement la haine, la discrimination et l’exclusion dans la société française et dans les institutions de la République, ceci sur le fond d’une orientation économique protectionniste et néolibérale, cette même orientation engendrée par les politiques de pensée unique au pouvoir presque partout dans le monde et affreusement favorisée en France sous le quinquennat de Hollande. Une orientation qui a créée – suite à la marginalisation et à la précarisation de larges couches populaires – la base du mécontentement duquel le FN tire sa popularité et son soutien électoral.
La sous-estimation des conséquences de la prise de pouvoir d’une Marine Le Pen et du Front National auprès de couches de la population de plus en plus larges semble évidente. Elle est aussi évidente que la sous-estimation des conséquences du succès électoral d’un Adolf Hitler et du NSDAP en Allemagne le 31 juillet 1932, ayant finalement abouti à la prise de pouvoir des nazis. J’estime que la gauche a un devoir d’explication voire d’éducation – ceci par des moyens pédagogiques adaptées, mais sans concession quant au contenu – de ces couches populaires qui voient dans Le Pen et le FN la seule alternative à la politique désastreuse actuelle.
Malheureusement, les conséquences réelles de la conquête du pouvoir par Marine Le Pen sont également sous-estimées fatalement par une grande partie de la gauche. Le fait que deux tiers des membres de ‚La France insoumise‘ veulent s’abstenir ou voter blanc ou nul lors du 2e tour des élections présidentielles illustre parfaitement cette déroute. Il y a ceux qui croient que de toute façon l’accession au pouvoir de Marine Le Pen est inévitable et que, partant, il serait préférable d’aborder et faire passer cette période pénible le plus vite possible. Or, ils se trompent doublement. D’abord la conquête du pouvoir par le FN n’est pas inévitable, même dans 5 ans ou plus tard; tout dépendra des mobilisations sociales et citoyennes contre l’exclusion et la discrimination, contre la politique néolibérale désastreuse pour la majorité de la population et, évidemment, de la capacité de la gauche de démontrer la crédibilité d’une politique alternative (voir point 3 ci-dessous).
Ensuite, il y a ceux qui estiment que la mobilisation nécessaire pour changer la situation politique serait plus simple sous une présidente qui s’appelle Marine Le Pen que sous celle d’un Emmanuel Macron. Hélas, ils se trompent également de façon cruelle; dès que Marine Le Pen sera élue, elle usera fortement des pouvoirs réservés au président de la République pour criminaliser la mobilisation sociale, pour institutionnaliser la haine, l’exclusion et la discrimination et pour faire la chasse aux militants de gauche. Dans cette besogne elle sera largement épaulée par l’apparition publique de milices d’extrême droite, qui créeront la base pour un large éventail d’interdictions et de représailles d’Etat. Lors du débat télévisé du 3 mai, Marine Le Pen a livré un certain nombre de points d’illustration de cette volonté. Et n’oublions surtout pas les conséquences de la politique de Le Pen et du FN que subiront les réfugiés, les immigrés les sans papiers, les Roms, les musulmans et les minorités.
Avec le sacre de Le Pen au pouvoir, plus besoin de parler de cordon sanitaire autour du FN, un cordon qui, de toute façon, est de plus en plus troué. Après l’accession au pouvoir de Marine Le Pen, celle-ci sera courtisée par des secteurs de plus en plus significatifs de la bourgeoise, qui verra s’approcher le moment, où la politique néolibérale sera plus sûre sous le régime autoritaire de Le Pen.
L’espoir d‘aucuns qu’un grand nombre d’abstentions affaiblira considérablement Macron dans son mandat, est certes compréhensible, mais fort dangereux. D’abord parce que Le Pen n’a pas encore perdu le 2e tour, et, surtout, parce que cette attitude fait preuve d’un fatalisme inouï et dangereux dès qu’elle ne s’appuie pas sur une mobilisation large et convaincante dans les rues.
2) Sous-estimer Emmanuel Macron
Ceux qui sous-estiment les conséquences de la prise de pouvoir d’Emmanuel Macron sont aussi nombreux que ceux qui sous-estiment les conséquences d’une victoire de Marine Le Pen. Pourtant, il ne faut pas se tromper sur les conséquences graves de la politique libérale de Macron, l’austérité, la restriction des droits des travailleurs et des syndicaux et tout ce qui en découle pour de larges couches de la population; cette même politique qui prépare le terrain et crée la base pour renforcer d’avantage le Front National. (*)
En dehors des ‚Républicains‘, qui retrouvent dans Macron l’orientation libérale qui leur semble parfaitement adaptée aux besoins de l’économie capitaliste française dans l’état actuel, il y a tous ceux, sociaux-démocrates et verts, qui considèrent qu’Emmanuel Macron constitue le meilleur garant d’une prolongation cohérente des politiques néolibérales instaurées sous Hollande. La liste des sociaux-démocrates et des verts qui soutiennent non seulement Macron contre Le Pen, mais qui adhèrent complètement à l’orientation politique d’Emmanuel Macron, est assez longue, en France comme ailleurs, y compris au Luxembourg (pour ne citer que Franz Fayot et Robert Goebbels).
Il y a également ceux qui estiment nécessaire de se rallier à Emmanuel Macron dans le but de battre Le Pen au 2e tour, sans être d’accord avec l’orientation de Macron, tout en laissant tomber leur critique du candidat de ‚La France en marche‘, ne serait-ce que pour éviter toute entrave à l’élection de Macron contre Le Pen. C’est la logique fatale et fatidique du «moindre mal».
Enfin, il y a ceux qui estiment qu’il n’y a aucune justification pour voter Macron contre Le Pen, soit parce que la politique de Macron serait aussi néfaste que celle de Le Pen («ne pas choisir entre la peste et le choléra»), soit parce qu’ils sont convaincus que la politique de Macron ne fera que préparer l’arrivée au pouvoir de Le Pen au plus tard en 2022. Là encore, il s’agit d’une double erreur. D’un côté cette attitude sous-estime la différence entre un quinquennat de Macron et de Le Pen: sous Macron, les libertés d’expression et de mobilisation ne pourront être remises en question aussi radicalement que sous Le Pen. D’un autre côté, l’opposition à la politique libérale et d’austérité de Macron ne se fera pas dans les urnes d’un ballotage, mais dans la rue.
3) Le chaînon manquant
Pour toutes ces raisons, le chaînon manquant de toute opposition réelle et efficace aussi bien à la politique de Le Pen et du FN, qu’à celle de Macron et de ces adeptes de droite et de gauche, c’est la mobilisation de la société, la mobilisation sociale et citoyenne dans la rue, dans les entreprises, les universités, les villes et les quartiers.
Seule la mobilisation citoyenne large, surtout des jeunes et des travailleurs, saura faire évoluer la conscience politique et les rapports de force en France, aussi bien qu’ailleurs.
Et cette mobilisation dans la rue contre le FN, l’austérité et les politiques libérales, fait cruellement défaut. La faute en incombe également à la gauche, qui a volontairement renoncé à ce moyen d’influencer sur la politique et les élections. Il ne suffit pas d’appeler à la participation à un premier mai, comme parenthèse entre deux échéances électorales, pour changer la donne. L’appel à la mobilisation aurait dû être lancé dès le soir du premier tour. Le 1er mai aurait pu être un moment culminent d’une mobilisation large et forte. C’est le vote contre Le Pen, forcément pour Macron, qui devrait constituer la parenthèse d’une mobilisation qui barre la route au FN et qui se dirige contre toute politique libérale, qu’elle émane de Le Pen ou de Macron; c’est la mobilisation qui affaiblira Macron dans sa tentative de mettre en œuvre sa politique d’austérité, et non pas la seule abstention.
Tout ceci est la raison pour laquelle j’avais noté sur Twitter, dès 22.00 heures du soir du premier tour, sous le hashtag #Presidentielle2017: «Voter Macron sans rien faire d‘autre ne changera rien. La mobilisation dans la rue sera la clef du changement nécessaire.» Et un peu plus explicite sur mon compte Facebook: «Voter Macron au 2e tour sans rien faire d‘autre ne changera rien; Macron continuera à préparer la voie royale à Le Pen. La mobilisation large dans la rue contre le FN, l’austérité et les politiques libérales sera l’élément indispensable pour un changement réel.» J’estime toujours que cette note, bien que brève, était assez claire: le vote contre Le Pen et pour Macron au 2e tour est nécessaire, mais «voter Macron sans ne rien faire d‘autre» ne suffira pas, «la mobilisation large dans la rue contre le FN, l’austérité et les politiques libérales sera l’élément indispensable pour un changement réel.»
Je regrette cette absence de mobilisation et d’appel à la mobilisation de la part des organisations de gauche ; à mon avis, cette renonciation était une erreur fatale. Il est normal que le 1er mai il n’y avait même pas le million de citoyens dans la rue, que les organisations syndicales, de gauche et antiracistes avaient mobilisés avant le 2e tour de vote entre Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen en 2002. Et il est très parlant que parmi les trois options soumises par Jean-Luc Mélenchon aux membres de ‚La France insoumise‘ (abstention, voter blanc ou nul, voter Macron contre Le Pen) ne figurait pas celle d’un vote Macron, pour barrer la route à Le Pen, associé à une large mobilisation dans la rue contre le FN, l’austérité et les politiques libérales.
4) L’indispensable recomposition de la gauche
Un dernier point, que j’aimerais souligner, est l’indispensable recomposition de la gauche. La social-démocratie européenne a vaillamment préparé son autodestruction depuis des décennies, aussi bien en Europe qu’en France. Le quinquennat de Hollande n’était que l’acte final de l’affaiblissement, voire du naufrage de la social-démocratie, qui pourtant n’est pas encore à sa fin, mais qui – faisant partie des politiques libérales et pro-capitalistes – ne saura plus jamais constituer une alternative de gauche à une telle politique. Benoît Hamon, bien que porteur d’un programme social-démocrate plus à gauche, en a du subir les frais, une grande partie des socialistes ayant considéré Emmanuel Macron comme la suite plus logique de la politique d’Hollande, que le malheureux Hamon.
La social-démocratie est dans une crise historique, d’où elle ne sortira que par scissions et recompositions à gauche de la gauche traditionnelle.
Le mouvement ‚La France insoumise‘ de Jean-Luc Mélenchon a sans doute su mobiliser une partie de la population qui s’oppose aux politiques austères de gauche et de droite. La mobilisation électorale était très importante; les résultats électoraux dans de nombreuses villes et de nombreux quartiers populaires en sont la conséquence. Néanmoins, les ambiguïtés au niveau de l’orientation politique de ce mouvement (dont le souverainisme au lieu de l’internationalisme, la politique keynésienne contre la politique néolibérale, …) tout comme celles au niveau du fonctionnement interne peu démocratique et peu propice aux débats nécessaires sur l’orientation politique, empêcheront que la reconstruction d’une gauche authentique en France passe par la croissance linéaire de ce mouvement vers une alternative de masse crédible et capable d’offrir une issue au capitalisme en crise.
Une gauche alternative ne sortira pas non plus du renforcement linéaire du NPA (dont le candidat présidentiel était le très remarqué Philippe Poutou), bien que pour des raisons contraires à celles concernant ‚La France insoumise‘; il s’agit là plutôt de l’incapacité du NPA de porter le débat et de s’ancrer dans des couches populaires plus larges, malgré une orientation stratégique très claire quant au nécessaire dépassement, voire chute du système capitaliste.
Le besoin d’un parti, voire d’un mouvement de gauche alternatif, antilibéral et anticapitaliste, qui saura combiner une telle orientation stratégique aux préoccupations et mobilisations actuels des citoyens, travailleurs et jeunes, est évident.
Ce n’est pas le 3e tour des élections, à savoir les élections législatives en juin, qui saura faire émerger une telle gauche alternative. Or, l’indispensable recomposition de la gauche autour d’une orientation sans ambiguïté ne saurait empêcher des accords et plateformes électorales de gauche, tout en sachant que n’importe quelle politique électorale ne saura remplacer le processus de recompositions ancré dans les luttes sociales et les luttes de classes. Ce processus sera long, mais aussi nécessaire que bénéfique pour l’humanité.
[Publié d’abord sur le blog de Justin Turpel www.justin-turpel.lu le 4 mai 2017]
(*) cette phrase était tombée en souffrance lors de la première mise en ligne, le 4 mai, et a été rajoutée de nouveau le lendemain.