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Egypte : escalade de la répression à l’encontre des journalistes

Depuis la prise de pouvoir du maréchal Abdel Fatah Al-Sissi il y a trois ans exactement, le 30 juin 2013, les acquis de la révolution du 25 janvier 2011 ont systématiquement été remis en cause. Un des plus importants, le droit de manifester, est la cible privilégiée du régime. En plus d’avoir fait passer une loi restreignant fortement le droit de manifester, arrestations arbitraires, jugements de civils par des tribunaux militaires, tortures dans les commissariats, disparitions et meurtres sont devenus des pratiques courantes.

C’est dans ce contexte que la répression à l’encontre des journalistes a pris ces derniers mois des tournures inquiétantes. Au soir du 1er mai, le siège du syndicat des journalistes au centre du Caire est pris d’assaut par les forces de sécurité. Celles-ci viennent arrêter deux journalistes qui s’y étaient réfugiés la veille. Amr Badr et Mahmoud Sakka, tous deux critiques à l’égard du régime, travaillaient pour le site d’information « Yanair.net » (« janvier.net ») et sont accusés d’avoir appelé à manifester le 25 avril. Cette journée de mobilisation, coïncidant avec l’anniversaire de la libération du Sinaï, avait pour but de protester contre la rétrocession à l’Arabie saoudite de deux îles égyptiennes de la mer Rouge (Tiran et Sanafir), situées à l’entrée du golfe d’Aqaba. Un mois plus tard, ce sont trois dirigeants du syndicat des journalistes qui sont poursuivis pour avoir abrité des fugitifs : le président du syndicat Yehia Kalash, le secrétaire général Gamal Abdel-Reheem et son adjoint Khaled El-Balshy. Et enfin, le 29 juin, c’est une célèbre présentatrice libanaise de la chaine privée ONTv qui est expulsée d’Egypte le jour même de la fin de son contrat. Elle présentait une des rares émissions donnant encore la parole aux figures de l’opposition en Egypte.

Il peut pourtant paraître surprenant que le régime s’attaque avec autant d’acharnement au syndicat des journalistes et à la presse en général. En effet, depuis le coup d’Etat du 30 juin 2013 et la répression féroce à l’encontre des Frères musulmans (plusieurs centaines de morts lors de la dispersion de leur sit-in au Caire le 14 août de la même année), une grande partie de la presse s’est rangée derrière le régime et son appel à l’unité nationale dans la lutte contre le terrorisme. De nombreux journaux se sont séparés de leurs journalistes trop critiques et la censure (ou l’autocensure) devient une pratique de plus en plus utilisée. Dans l’affaire des deux îles de la mer Rouge, c’est le rédacteur en chef du quotidien gouvernemental « Al-ahram » qui a été contraint de retirer un article trop critique et de le publier sur sa page facebook. On se souviendra aussi que lors de la signature du contrat de vente de l’avion de chasse Rafale entre l’Egypte et la France en 2015 (plus de 5 milliards d’euros), très peu d’articles critiques avaient été publiés. Et comble de l’absurdité, le syndicat des journalistes avait invité le président Al-Sissi aux festivités prévues pour les 75 ans de sa création…

L’escalade actuelle de la violence du régime à l’encontre du syndicat des journalistes semble donc plutôt être une attaque concertée contre un symbole de la liberté de manifester, en plein centre de la capitale. C’est en effet devant le bâtiment du syndicat que se sont rassemblées le 15 avril les manifestations spontanées d’opposants à la rétrocession des deux îles. Lors de l’appel à manifester du 25 avril, le régime avait anticipé la situation et bloqué toutes les rues adjacentes au bâtiment du syndicat et organisé un rassemblement de manifestants pro-régime brandissant des portraits du « maréchal-président » et des drapeaux saoudiens. Et les forces de police se souviennent certainement des nombreuses manifestations d’opposants à Moubarak sur les marches devant le bâtiment…

Le régime semble donc s’attaquer à la liberté d’expression en général et à la moindre opposition dans de nombreux pans de la société. Le syndicat des médecins, des avocats, des habitants des quartiers populaires protestant contre les violences policières, les étudiants…, tous sont confrontés à la répression de la part d’un pouvoir contre-révolutionnaire cherchant à colmater les brèches de démocratie ouvertes par la révolution de janvier 2011.

Article publié par Léon Gaki