11-03-2014
Que fait la Russie en Ukraine?
Le Parlement de Crimée a donc voté son rattachement à la Russie. Le fameux référendum, fixé d’abord pour le 25 mai, puis avancé au 30 mars, aura finalement lieu le 16 mars et « ne fera que confirmer » le vote du Parlement. On peut dire qu’ils s’entraînent déjà pour rejoindre la Russie de Poutine. Là-bas, on ne tient jamais une consultation électorale sans avoir décidé le résultat à l’avance.
Nous devons comprendre l’énormité de ce qui vient de se passer. Pour la première fois depuis 1945, un pays a simplement annexé, par la force armée, une partie du territoire d’un autre pays. Jusqu’ici nous avons vu des interventions armées, des bombardements, même des guerres dans les Balkans. Mais jamais ça. Et pour l’instant, rien n’indique que cela restera un cas isolé.
Ceux qui prévoyaient que Poutine n’attendait que la fin des JO de Sotchi pour frapper n’avaient pas tort. Car l’intervention en Crimée qui a débuté le 27 février était tout sauf une réaction sur le vif aux événements dramatiques à Kiev de la semaine précédente. Elle a impliqué un transfert de navires de guerre de la flotte de la Baltique à la Mer noire, la préparation et le transfert de 2.000 troupes d’assaut, sans parler des manœuvres en parallèle à la frontière orientale de l’Ukraine qui mobilisaient 150.000 troupes.
Pas de place à l’improvisation
Tout était donc préparé à l’avance. Par ailleurs, l’intervention s’insère dans un projet géopolitique de Poutine. Vladimir Poutine considère que l’effondrement de l’Union soviétique était « le plus grand désastre géopolitique » de notre temps. Et en effet, l’effondrement de l’URSS a effectivement été un désastre social qui a frappé la vie de dizaines de millions de ses citoyens.
Une « catastrophe humaine », comme l’a caractérisé le grand historien marxiste Eric Hobsbawm. Mais ce n’est pas ce qui concerne Poutine. Celui-ci a poursuivi l’œuvre de destruction de l’Etat social commencé sous Eltsine dans les années ’90. Il préside aujourd’hui une société où 110 milliardaires possèdent 35 % des richesses du pays.
Mais revenons à la géopolitique, car il est indispensable de comprendre les objectifs globaux de la Russie de Poutine. Ce qu’il regrette, c’est le statut de grande puissance qu’avait l’URSS. Ce qu’il veut, c’est restaurer la puissance de la Russie et imposer son contrôle sur les territoires qui étaient ceux de l’URSS et de l’Empire tsariste.
L’URSS sans le socialisme
En 1913, le troisième centenaire de la dynastie des Romanov fut célébré avec grand faste. Quatre ans plus tard, la révolution les a renvoyés à la poubelle de l’Histoire. Définitivement, semblait-il. Mais non : après le chute de l’URSS, ils ont été déterrés, littéralement et figurativement. Le Tsar Nicolas II, connu de son vivant comme Nicolas le Sanglant, grand amateur de pogroms anti-juifs, fut canonisé en 2000.
Et en 2013, on célébrait en Russie le quatrième centenaire des Romanov. Ce qui était mis en exergue et enseigné aux écoliers, cartes interactives à l’appui, c’était le rôle de cette dynastie dans l’extension de l’empire russe. Et c’est vrai : sous les Romanov, de l’Ukraine aux pays Baltes et d’Asie centrale au Caucase, la Russie a construit son empire par des méthodes non moins barbares que celles employés par les Britanniques, les Français et autres impérialistes aux quatre coins du monde.
Arrivé au pouvoir en 2000, Poutine se désolait du déclin de la Russie et jurait de restaurer l’autorité de l’Etat, ce qu’il a largement fait. Cela se traduit par une « démocratie guidée », une mainmise croissante sur les médias, la répression de toute dissidence sérieuse et une politique de réarmement.
Le tout sur fond d’un chauvinisme grand-russe, cette idéologie que Lénine détestait tellement et qu’il combattait inlassablement. Et qui est largement partagée dans le monde politique, de l’extrême droite de Zhirinovsky au Parti communiste de la Fédération de Russie (PCFR).
L’alliance des grands-russes
Sur le deuxième volet, Poutine a commencé par liquider l’indépendance de fait de la Tchétchénie avec une brutalité extrême, à plus petite échelle que ce qu’ont fait Bush et Blair en Irak trois ans plus tard, mais avec des méthodes similaires. Le tout sans vraiment restaurer « l’ordre » dans cette république du Caucase du Nord qui a donné du fil à retordre à ses prédécesseurs tsaristes et même à Staline.
Et puis, il a élaboré son projet pour encadrer les anciennes républiques soviétiques. Pour commencer, il s’agit d’une union douanière, à laquelle adhérent pour l’instant le Kazakhstan et la Biélorussie et que devrait suivre l’Arménie. Mais il annonce la couleur : dès 2015, il veut transformer l’union douanière en Union eurasiatique, définie comme union économique et politique.
C’est dans cette union qu’il voulait (et qu’il veut encore…), entraîner l’Ukraine : d’où son opposition furieuse à la signature par l’Ukraine d’un partenariat avec l’Union européenne. Bien sûr, il ne s’agit pas d’annexer toutes les républiques de l’ex-URSS (bien que…), mais de les réunir dans une union dominée par Moscou. Cela peut se faire à géométrie variable.
Le PCFR parle de « l’Etat unifié de Russie et de Biélorussie » comme si c’était déjà une réalité. C’est inexact. Des accords dans ce sens existent, mais ils ne sont pas très clairs et la Biélorussie fait preuve de quelques réticences.
Timides manifestations
Ce qui est clair et ce dont tout le monde convient, qu’ils soient pour ou contre, c’est que l’Ukraine constitue une pièce maîtresse du projet d’Union eurasiatique. C’est pourquoi on aurait tort de conclure que Poutine s’arrêtera après l’annexion de la Crimée. Il ne peut pas simplement regarder le nouveau gouvernement s’installer, se rapprocher de l’Union européenne et signer un partenariat.
Il est clair que la Russie a été et reste très active dans l’Est et le Sud de l’Ukraine. Elle a essayé de susciter des manifestations en faveur de l’union avec la Russie. Pour le moment, c’est un échec. Il y a eu quelques manifestations mais relativement restreintes, de l’ordre de quelques milliers, 10.000 au maximum, ce qui est peu pour des villes comme Donetsk, Odessa ou Kharkiv, avec des populations d’un million et plus.
En face, il y a eu des manifestations pour l’unité de l’Ukraine, parfois plus importantes (15.000 à Odessa) mais pas non plus massives. Et puis des tentatives, parfois réussies dans un premier temps, de prendre d’assaut des bâtiments officiels pour y hisser le drapeau russe. Là, il s’agissait d’attaques bien organisées, de quelques centaines d’hommes, dont certains venaient manifestement de Russie.
La plupart de la population ne se mobilise pas. Pourtant, un sondage du 3 mars montre que le plus fort pourcentage en faveur de l’intégration à la Russie est d’un tiers dans la région de Donetsk, puis de 24 % à Luhansk et Odessa, et pas plus de 16 % ailleurs. Il ne faut pourtant pas en conclure que le danger serait passé.
Il est facile d’organiser des provocations comme prétexte d’intervention militaire, surtout dans des régions où il y a des fortes minorités pro-russes. Et puis, on occupe le conseil régional, on fait voter, on ferme tous les médias indépendants comme en Crimée…
Aujourd’hui la Crimée, demain Kiev?
Au-delà de la question de possibles interventions-annexions, il y a celle, plus large, de la déstabilisation de l’Ukraine toute entière. Si l’élection présidentielle a lieu le 25 mai, on ne sait pas encore qui va gagner, mais on sait que ce ne sera pas un candidat pro-russe. Alors, soit il faut empêcher que l’élection ait lieu, soit il faut que le président élu préside un pays affaibli, divisé, déstabilisé. Rien, absolument rien n’est exclu, y compris une invasion de tout le pays, ou au moins jusqu’à Kiev.
En fin de compte, ce que Poutine fera ou pas dépendra du degré d’opposition qu’il rencontre, en Ukraine comme au niveau international. En Ukraine, il ne suffit pas simplement que le gouvernement affirme son autorité, y compris dans l’Est. Il faut qu’il prenne en compte les préoccupations de tous les citoyens.
C’est une bonne chose que le président par intérim ait refusé de signer l’annulation de la loi sur les langues de 2012, mesure qui avait inquiété inutilement les russophones. Et puis il faut mettre fin à la situation où dans certaines régions, certains partis ne peuvent pas fonctionner normalement. En particulier, il faut stopper les agressions contre le Parti communiste d’Ukraine.
Bien évidemment, la tenue d’une élection présidentielle ne résoudrait pas en soi les problèmes de l’Ukraine.
Il faudrait une démocratisation de fond en comble, un programme social, une assemblée constituante. Mais rien de tout cela ne pourrait se faire sans lever la menace d’une intervention russe.
Antisémitisme?
Deux raisons sont et seront avancées pour justifier une intervention russe. D’abord, que le pays serait dans un état de chaos, d’anarchie, avec des agressions contre les minorités, et surtout des actes antisémites. C’est faux. La meilleure réponse est fournie par cette lettre ouverte à Vladimir Poutine signée par un large éventail de la communauté juive en Ukraine.
La deuxième raison serait qu’au lieu d’être l’agresseur, de poursuivre une politique élaborée bien avant les événements récents en Ukraine, la Russie serait en réalité la victime, la cible de provocations venant des Etats-Unis et de l’UE. Avec en particulier l’intention d’admettre l’Ukraine comme membre de l’OTAN. Dans cette vision, il y a certainement du vrai. Depuis la chute de l’URSS, les Etats-Unis ont poursuivi une politique visant à « contenir » la Russie : expansion de l’OTAN vers l’Est, bouclier anti-missiles…
La perspective que l’Ukraine adhère à l’OTAN est partagée par certaines puissances et forces en Occident, mais pas par toutes. Et par des partis aujourd’hui au gouvernement en Ukraine. Pourtant, les sondages ont systématiquement montré qu’une majorité d’Ukrainiens est contre et préfère une position non-alignée.
C’est certainement la meilleure solution, pour l’Ukraine et pour la paix en Europe. Pourtant, le moins que l’on puisse dire, c’est que si jamais un prochain sondage donnait une majorité pour l’adhésion à l’OTAN, ce serait sans doute une conséquence de l’agression russe actuelle.
Vers un conflit avec l’OTAN?
Pour conclure : les mesures économiques et diplomatiques à l’égard de la Russie qui ont été prises, ou sont envisagées par les Etats-Unis et les pays européens auront un certain effet. Mais aussi, mondialisation oblige, des conséquences pour certains pays européens. Il n’est pas sûr qu’elles soient vraiment efficaces, ou qu’elles seront maintenues longtemps, et Poutine a dû prendre cela en considération avant d’agir.
Jusqu’ici, ceux en Occident qui parlent d’action militaire sont très minoritaires. Mais on aurait tort de considérer que cette option est totalement exclue. Les Américains et les Européens étaient surpris par l’intervention en Crimée, et encore plus par son annexion. Mais si les choses en restent là, on peut dire que le risque de conflit armé entre la Russie et l’OTAN est minime.
Si la Russie devait aller plus loin en Ukraine, ce risque augmenterait et les secteurs les plus va-t-en guerre en Occident seraient renforcés. C’est pourquoi il faut condamner toute intervention étrangère en Ukraine et défendre la souveraineté de l’Ukraine. Le peuple ukrainien doit pouvoir régler les problèmes considérables auxquels il est confronté sans ingérence étrangère aucune.
04-03-2014
Chronique ukrainienne
La rédaction de cet article a débuté juste avant les événements dramatiques des journées des 18-22 février. A l’origine, l’intention était surtout de traiter quelques questions de fond, de porter un regard sur l’arrière-fond de ce qui se passe en Ukraine. Et puis on a commencé à tirer dans les rues de Kiev et tout a basculé en quelques jours. Le régime commençait à s’effondrer, les soutiens de Ianoukovitch l’abandonnant les uns après les autres, les plus coupables de ses partisans prenant la fuite. Le compromis laborieux négocié entre Ianoukovitch et l’opposition sous l’égide des ministres des affaires étrangères allemands, français et polonais, et qui aurait laissé Ianoukovitch au pouvoir jusqu’en décembre, a échoué face au refus du mouvement, exprimé sur la Place Maïdan dans la soirée de vendredi 21 février. Et puis, Ianoukovitch lui-même a pris la fuite et le Parlement l’a destitué à l’unanimité des présents, 328 députés sur 450.
Une semaine après la chute de Ianoukovitch, comment résumer la situation de l’Ukraine ?
D’abord, il y a un nouveau gouvernement. La Présidence par intérim est assurée par le président du Parlement Oleksandr Tourtchynov, de Baktivshchina, le parti de Ioulia Tymoshenko. L’élection présidentielle est fixée pour le 25 mai. Le premier ministre est Arseni Iatseniuk, du même parti, l’homme de Washington. Le gouvernement comprend d’un côté des représentants de Baktivshchina, du parti d’extrême-droite Svoboda, du monde des affaires, et de l’autre des représentants du mouvement. Mais ce sont les premiers qui dominent. Le ministre des Finances est un banquier. Le ministre de l’Agriculture, un membre de Svoboda, est un riche agriculteur. Vitali Klitschko, l’ancien boxeur qui dirige le Parti UDAR, ne fait pas partie du gouvernement, se réservant pour l’élection présidentielle.
Pourtant, le mouvement qui a renversé Ianoukovitch ne s’est pas démobilisé. Il a eu un droit de regard sur la formation du nouveau gouvernement et il reste très méfiant à son égard, à l’affût de chaque signe qui montre que si les têtes ont changé, le système reste le même. De ce point de vue-là, les leçons de la « Révolution orange » de 2004 et de la déception qui a suivi le changement de gouvernement sans changement de système ont été apprises. Et bien qu’Ioulia Tymoshenko ait été acclamée sur la place Maïdan après sa sortie de prison, il est clair qu’elle ne jouit pas du même niveau de confiance qu’en 2004.
2004: Le changement sans changement
L’économie est en ruines, les coffres de l’Etat sont presque vides, les réserves sont autour de 12 milliards de dollars, l’équivalent des 16,3 % de la dette nationale de 73 milliards qui doit être remboursée cette année. La monnaie, la hryvnia, est en chute libre. Si elle est dévaluée, la dette, dont une grande partie est libellée en dollars, augmentera. D’ici quelques mois, un défaut de paiement est une possibilité réelle.
Le nouveau gouvernement aura donc besoin de crédits. Sous l’œil méfiant du mouvement, il va négocier et en toute probabilité les obtenir de l’Union européenne, du FMI et des Etats-Unis, et ce au prix que l’on sait: austérité, réformes néolibérales. Les premières déclarations de Yatseniuk, le 28 février, vont dans ce sens-la. Si les choses se déroulent ainsi, on verra comment vont réagir le mouvement et la population.
Le facteur qui peut encore tout bouleverser, c’est le rôle de la Russie. Ce qui se passe en ce moment en Crimée est très inquiétant. Ce qui est clair, c’est que la Russie est en train d’intervenir militairement sur le territoire ukrainien. Ce qui n’est pas clair, c’est jusqu’où elle veut aller. Plutôt que de spéculer, nous reviendrons sur la question dans les prochains jours.
Jusqu’où peut aller la Russie?
Revenons maintenant une semaine en arrière. Ce qui venait de se passer en Ukraine était assez extraordinaire. Un mouvement de masse avait réussi à renverser un de ces autocrates qui président encore la plupart des anciennes républiques soviétiques, ces pays dominés par un capitalisme de type mafieux. Certains nous rappellent que Ianoukovitch avait été élu de manière légitime, démocratiquement, dans une élection honnête. C’est exact. Ils oublient en général d’ajouter que ce n’est pas lui, mais son prédécesseur qui a organisé cette élection. Quand Ianoukovitch était aux affaires en 2004, les élections se passaient tout autrement, provoquant la première grande mobilisation depuis l’indépendance et imposant de nouvelles élections que Ianoukovitch avait perdues.
Elu démocratiquement ou pas, il ne suffisait pas de répéter qu’il était le « président légitime ». La légitimité, ça se gagne et ça se perd. Quelle est la légitimité de Samaras en Grèce, pourtant élu démocratiquement? Elu en 2010, une des premières actions de Ianoukovitch était de se débarrasser de la Constitution de 2004 qui partageait le pouvoir entre la Présidence et le Parlement et de concentrer le pouvoir dans ses propres mains.
Ensuite il a largement profité de son mandat pour s’enrichir, lui et les fils et son clan, que les Ukrainiens appellent « la Famille ». Sa fortune personnelle a été estimée à 12 milliards de dollars. C’est d’ailleurs très exactement la somme qui reste dans les coffres de l’Etat ukrainien. A la demande du nouveau gouvernement, des mesures sont prises pour bloquer les comptes de la bande à Ianoukovitch en Autriche, Suisse et Liechtenstein.
C’est quoi être légitime?
Entre le 18 et le 22 février, les événements se sont déroulés à une vitesse fulgurante. Le 18 à Kiev, les affrontements entre protestataires et policiers ont fait 28 morts, dont 10 policiers, et des centaines de blessés. Ce n’était pas les premiers affrontements entre manifestants et policiers, ni même les premiers morts, mais on a eu l’impression qu’un pas qualitatif avait été franchi.
La suite l’a confirmé. Le jeudi 20 février a été la journée la plus noire, la plus sanglante de l’histoire de l’Ukraine indépendante, avec plus de 50 morts. Nous commençons à apprendre maintenant qu’une répression à beaucoup plus grande échelle était en préparation, un scénario à la Tienanmen. Que cela a été évité revient sans doute au fait que Ianoukovitch était déjà en train de perdre le contrôle de l’appareil d’Etat et qu’une partie au moins de l’armée n’était pas fiable.
La responsabilité première et écrasante pour le sang qui a coulé échoue à Ianoukovitch et son gouvernement. Pendant trois mois, le régime a fait preuve d’un immobilisme à toute épreuve. Trois mois de crise politique permanente, qui a vu des manifestations de masse à répétition, rassemblant des dizaines et parfois des centaines de milliers de personnes, alors que s’installait au cœur de Kiev, sur le Maïdan, un campement de plusieurs milliers de personnes qui a progressivement pris l’allure d’une forteresse retranchée et qui s’est doté d’un Conseil élu.
Alternant entre répression, négociations avec les partis d’opposition et concessions de façade, Ianoukovitch n’a rien lâché sur le fond. Le 16 janvier, il a fait adopter une série de lois liberticides. Le 28 janvier, il les a fait annuler, à condition que les bâtiments publics occupés fussent libérés. En même temps, il a limogé son premier ministre, Mykola Azarov, qui a tout de suite pris l’avion pour rejoindre ses comptes en banque en Autriche.
La forteresse Maïdan
Jusqu’au lundi 17 février, avec la libération des manifestants détenus et l’évacuation de certains bâtiments publics occupés, on aurait pu avoir l’impression d’une détente, d’une décompression, d’une possible résolution pacifique de la crise. A condition qu’il y ait une ouverture politique quelconque.
En fait, il y a eu, depuis trois mois, des possibilités, pas exclusives : une élection présidentielle anticipée, des élections législatives anticipées (ou les deux à la fois), un retour à la constitution de 2004 et un nouveau gouvernement qui aurait organisé à terme des élections. Mais de toute façon la solution passait forcément par la possibilité pour les citoyens de dire s’ils avaient encore confiance dans le président et le gouvernement.
Aucune de ces initiatives n’a été prise. Mardi 18, le parlement devait encore une fois discuter d’une réforme constitutionnelle. Une marche sur le Parlement voulait exercer une pression pour que les députés l’adoptent. Et puis, une fois encore, le débat a été reporté pour une raison « technique ». Pour les manifestants c’était la goutte qui a fait déborder la vase. Et la police a lancé des grenades et commencé à tirer avec des balles réelles à une échelle jusque-là jamais vue. Le jeudi 20, un nouveau pas a été franchi.
La goutte qui fait déborder le vase
Des tireurs d’élite nichés sur les toits ont tiré avec des armes automatiques, faisant une cinquantaine de morts, âgés de 17 à 62 ans, pour ceux qui ont pu être identifiés. Beaucoup venaient de l’Ouest, beaucoup de Kiev, mais aussi plusieurs de l’Est; il y avait même un Russe. Cette-fois-ci, seulement trois policiers sont morts: les manifestants, que certains présentaient comme des paramilitaires armés jusqu’aux dents, n’avaient aucun moyen contre ceux qui tiraient pour tuer avec des armes automatiques. Ils ont été tirés comme des lapins.
Le mouvement est parti de la volte face de Ianoukovitch sur l’Europe en novembre dernier. Mais il a progressivement pris comme cible le véritable problème, le système corrompu et autoritaire que subit l’Ukraine, et de plus en plus Ianoukovitch lui-même. Avant d’aborder la situation d’aujourd’hui, essayons de voir l’arrière-fond du mouvement.
Sur l’Ukraine, il y a plusieurs discours qui ont été largement diffusés par les média et même par certains « experts ». D’abord, le mouvement serait dirigé par (voire dans les pires caricatures se réduirait à) des groupes néo-nazis et antisémites. Ensuite, le problème fondamental serait le choix entre l’Union européenne d’un côté et de l’autre la Russie (et son projet d’Union eurasienne); donc entre « pro-européens » et « pro-russes ».
Propagandes
Enfin, que ce choix serait le reflet d’une division fondamentale entre un Ouest ukrainophone et un Est russophone. Chacun de ces éléments a sa part de vérité. Aucun ne constitue le problème fondamental ni ne suffit à expliquer la crise et le mouvement. On pourrait ajouter que ces visions partielles sont aussi souvent partiales : présenter les opposants à Ianoukovitch comme essentiellement pro-européens sert bien les intérêts de l’UE; en revanche, présenter le mouvement comme dirigé par l’extrême droite, et maintenant comme un coup d’Etat, sert la propagande de Ianoukovitch et de Poutine. Certains colportent ces versions des événements par ignorance, d’autres savent très bien ce qu’ils font.
Il existe, bien sûr, des groupes néo-nazis et beaucoup plus importants, des courants ultranationalistes. D’après de nombreux témoignages – de participants et de journalistes – ils ne sont pourtant pas majoritaires dans un mouvement large extrêmement divers. Le groupe (en fait une coalition) Praviy Sektor en regroupe plusieurs d’entre eux. Ils ont été très actifs dans la défense de Maïdan et, qu’on le veuille ou non, se sont fait largement acceptés pour cette raison. Surtout dans la dernière phase du mouvement, après les premiers morts, disparitions et actes d’intimidation par les forces de répression au mois de janvier; à partir de là, la question de l’autodéfense devenait centrale.
Svoboda et les autres…
Le parti Svoboda, qui a obtenu environ 10 % aux dernières élections législatives, a une idéologie et des pratiques fascistes. Pourtant, il semblait chercher à devenir « respectable », à être accepté comme la composante nationaliste dure de l’opposition parlementaire. Aujourd’hui, il participe au gouvernement. Ainsi, à la différence de la plupart des partis d’extrême-droite en Europe, il est devenu – tardivement – pro-Union européenne.
A côté de son discours ultranationaliste, Svoboda devait sa percée électorale en 2012 aussi à sa dénonciation du système politique corrompu, exigeant même la nationalisation des entreprises privatisées (souvent crapuleusement).
Svoboda est surtout porteur d’une idéologie nationaliste ethnique et exclusive et se réclame de l’héritage – ou de son interprétation de cet héritage – du mouvement nationaliste OUN-UPA des années 30 et 40. Il joue ainsi un rôle de division dans l’Ukraine d’aujourd’hui, où la nation est encore en voie de formation et ne peut être construite que sur des bases politiques, civiques, citoyennes, englobant ukrainophones, russophones, Tatars, Juifs et autres.
Vous avez dit antisémite?
Quant à l’antisémitisme – oui, il existe, sans aucun doute, dans Svoboda et d’autres courants d’extrême droite. Pourtant, de l’avis de la principale organisation juive ukrainienne, la VAAD, il se manifestait peu sur Maïdan. D’après la VAAD, le nombre d’incidents antisémites enregistrés en Ukraine en 2013 était de 27, le même qu’en 2012. Il affirme aussi que l’antisémitisme est moins présent en Europe de l’Est qu’en Europe occidentale, ce qui peut surprendre.
Ceci dit, pour l’année 2012, le chiffre pour la France était de 177 actions antisémites et de 437 menaces. Par la voix de son président, Iosif Sissels, la VAAD a fait une déclaration concernant deux incidents antisémites en janvier. Il est clair que qu’il y a de sa part pour le moins des forts soupçons que ces incidents, qui coïncidaient avec l’adoption de l’arsenal répressif, étaient des provocations par le pouvoir. D’autres groupes juifs se montrent plus inquiets sur l’antisémitisme.
Et puis, les groupes d’extrême droite sur le Maïdan n’avaient pas le monopole de l’antisémitisme. Médiapart nous fournit un lien vers le site des Berkout, cette police anti-émeute d’élite qui a été au tranchant de la répression et qui vient d’être dissoute par le nouveau gouvernement.
Le site a été « nettoyé » depuis, mais on peut toujours voir ce qu’il y avait. On trouve des perles du genre « La sioniste Tymoshenko et la carte pour diviser l’Ukraine en trois », « Les racines et liens juifs des dirigeants de l’opposition Ioulia Tymoshenko, Vitali Klitschko, Arseniy Yatsenyuk et Oleg Tiagnybok ». Ce dernier est le dirigeant principal de Svoboda…
Quand l’hôpital se fout de la charité
« Les Juifs sont les acolytes des Nazis, le Juifs au service de la Wehrmacht, Juifs – collaborateurs, sionistes – acolytes d’Hitler, le drapeau Nazi-sioniste ». On trouve aussi beaucoup de graphiques, notamment la croix gammée superposée sur l’Etoile de David. C’est incohérent ? Certainement. Les déversements antisémites le sont souvent, ils ne sont pas moins nocifs.
En matière d’antisémitisme et d’idées d’extrême droite, il faut aussi regarder du côté de la Russie, qui se plaît en ce moment à dénoncer le fascisme en Ukraine. Un certain Sergeï Glazyev a refait surface ces derniers temps comme porte-parole officieux du régime Poutine sur l’Ukraine, souvent cité dans la presse occidentale. Glazyev est un ancien député communiste qui a ensuite fondé le parti d’extrême droite Rodina (Mère-patrie). En 2005, des députés de Rodina ont demandé l’interdiction de toute organisation juive en Russie.
Glazyev fait part du courant idéologique connue comme « National-Bolchévik » ou « Eurasien ». Son principal théoricien est Alexandre Dougine, qui cherche à faire une synthèse entre le fascisme et le stalinisme et s’inspire du théoricien nazi Carl Schmitt. Dougine prône ouvertement la division et la colonisation de l’Ukraine. Ces idées ne sont pas marginales dans l’administration Poutine, où on entend souvent qu’il ne faut pas « perdre » l’Ukraine – qui n’est bien sûr pas la leur à garder ou à perdre.
De Glazyev à Dougine…
Iosif Sissels a pris la parole à au moins deux occasions à la tribune de Maïdan. A aussi pris la parole le 18 février Mustapha Djemilev, dirigeant historique des Tatars de Crimée, un des peuples déportés en masse en 1944 par Staline et qui n’a pu revenir en Crimée qu’après la chute de l’URSS.
Il y avait aussi des groupes et des militants de gauche sur le Maïdan. Ils n’ont pas eu la vie facile, subissant parfois des agressions de l’extrême droite. Mais ils avaient le mérite d’être là, dans le mouvement, à la différence du Parti communiste d’Ukraine, dont on parlera plus tard.
Ce sont des faits qui collent mal avec l’image d’un mouvement où l’extrême droite et le nationalisme ethnique sont hégémoniques. Il convient donc de regarder derrière les formules toutes faites. Il faut garder une vision d’ensemble : oui, l’extrême droite a une forte présence, non le Maïdan ne se réduit pas à cela. Les groupes de défense et d’entraide s’appelaient sotyas et ils se formaient en général par affinité. Donc, il y avait des sotyas d’extrême droite, mais aussi un sotya pacifiste, un sotya de femmes non-mixte, un autre dont le chef et plusieurs membres étaient Juifs.
Un mouvement hétéroclite
Médiapart nous fournit aussi un lien avec un appel signé par des universitaires spécialistes de l’Ukraine, et pour un certain nombre d’entre eux, spécifiquement des mouvements nationalistes et d’extrême-droite et de l’antisémitisme. La plupart sont Ukrainiens, mais ils travaillent dans des institutions d’enseignement supérieur et de recherche dans une dizaine de pays. Deux au moins sont Juifs, dont Iosif Sissels.
L’appel est adressé à des journalistes, commentateurs et analystes qui écrivent sur l’Ukraine et s’intitule « L’Euromaidan de Kiev est une action de masse de désobéissance civile, libératrice et non extrémiste ».
Il existe des différences entre l’Est et l’Ouest. C’est une histoire complexe mais qu’on peut schématiser en trois étapes. D’abord, l’Est, le Centre et le Sud de l’Ukraine ont été rattachés progressivement à l’Empire russe dès le 17e siècle. L’Ouest a été polonais et plus tard faisait partie de l’Empire austro-hongrois.
Par conséquent, les Ukrainiens de l’Ouest ont pu disposer à partir du 19e siècle d’un certain nombre de droits politiques, linguistiques et culturels. A contraster avec la situation dans le bastion de réaction et d’absolutisme qu’était la Russie tsariste, sans droits politiques et où l’utilisation écrite même de la langue ukrainienne fut interdite.
Une histoire éclatée
De manière générale, l’Ouest était plus tourné vers l’Europe. Accessoirement, il s’y pratiquait largement une forme de catholicisme, alors que l’Est était orthodoxe. Ensuite, dès la fin du 19e siècle, l’industrialisation de l’Ukraine a eu lieu dans l’Est, surtout le bassin minier du Donbass. La majorité de la force de travail initiale venait de Russie, ce qui faisait en sorte que même quand les Ukrainiens furent embauchés, la langue véhiculaire était le russe.
Dans les années ’20, la direction national-communiste d’Ukraine appliquait une politique d’ukrainisation, de soutien à la langue et la culture ukrainienne, ce qui correspondait à la politique relativement éclairée de l’époque du régime soviétique sur la question nationale. A partir des années ’30 et jusqu’à la fin de l’Union soviétique, une politique de russification a repris le dessus. Enfin, l’Est a fait partie de l’URSS dès le début, bien que l’histoire de la révolution ukrainienne de 1917 à 1920, mal connue, soit bien distincte de celle en Russie.
L’Est a donc partagé l’histoire de l’Ukraine soviétique, pour le meilleur, celle sous la direction national-communiste dans les années ’20 (qui fut anéantie par la terreur stalinienne); et pour le pire, les horreurs des années ’30, la famine de 1932-33 qui a tué des millions, la terreur, suivie par la guerre. Les estimations du nombre de morts ukrainiens pendant la Deuxième Guerre mondiale vont de 8 à 10,5 millions. En ajoutant ceux de la guerre civile, de la famine et de la terreur des années ’30, on va vers les 20 millions. Seule la Biélorussie a autant souffert.
Une histoire douloureuse
L’Ouest, de nouveau polonais dès 1920, a été incorporé de force à l’Union soviétique en 1939, dans le cadre du Pacte Nazi-Soviétique. Pour l’Union soviétique, la Deuxième Guerre mondiale a commencé avec l’invasion allemande en juin 1941. Pour l’Ukraine occidentale, elle a commencé en septembre 1939 avec l’occupation soviétique. Pour elle donc, juin 1941 n’était pas simplement une occupation, mais l’échange d’un occupant contre un autre. Ce qui aide à expliquer la suite.
Dans un premier temps, les occupants allemands n’étaient pas mal accueillis, non simplement dans l’Ouest mais à Kiev et dans les campagnes. Les nationalistes espéraient la création d’un Etat indépendant sous « protection » allemande. Les paysans espéraient la fin de la collectivisation. Tout le monde a été déçu.
L’Organisation Ukrainienne Nationaliste (OUN) a proclamé l’indépendance de l’Ukraine le 30 juin. Il s’en suivait une floraison de comités locaux, associations culturelles, etc. Les Allemands n’ont pas apprécié et ont commencé à réprimer durement l’OUN et toute manifestation nationale ukrainienne. Stepan Bandera, dirigeant du principal courant de l’OUN, a été détenu par les Allemands de 1941 à 1944. A partir de 1942, la majeure partie de l’OUN a commencé à résister aux Allemands, créant l’UPA (Armée insurgée ukrainienne).
Entre l’Allemagne et la Russie
L’OUN a brièvement collaboré avec les Allemands à deux périodes. En 1941, elle a formé deux bataillons qui ont participé à l’invasion de l’Ukraine. Ils ont été dissous par les Allemands en 1942. Pendant la majeure partie de la guerre, l’UPA a combattu à la fois les Allemands, l’Armée rouge, les partisans soviétiques et les partisans polonais. Ensuite, en septembre 1944, Stepan Bandera a accepté l’offre des Allemands, qui avaient déjà perdu la guerre, d’être libéré de Sachsenhausen pour combattre les Soviétiques.
Les affirmations du genre « Stepan Bandera et l’OUN-UPA étaient des supplétifs des Nazis » ont l’avantage de la simplicité, mais l’inconvénient de n’être que très partiellement vraies et donc n’aider à comprendre ni l’Ukraine des années ’40 ni celle d’aujourd’hui. De la mouvance OUN-UPA sont issus une partie de ceux qui ont vraiment collaboré avec les Nazis.
A l’autre extrême, l’OUN clandestine dans l’Est, qui avait une activité importante, a évolué dans un sens plus démocratique et social au contact avec les populations de l’Est, sur lesquelles le nationalisme « pur » avait moins de prise. Dans le Donbass l’OUN a même adopté le mot d’ordre « Une Ukraine soviétique indépendante sans le Parti communiste ».
L’UPA d’Est en Ouest
L’UPA a continué à résister aux Soviétiques jusque dans les années ’50. Elle a aussi commis des crimes. Elle a été antisémite mais beaucoup plus fondamentalement antirusse et anti-polonaise et elle a été responsable pendant la guerre d’un nettoyage ethnique qui a conduit au massacre de dizaines de milliers de civils polonais. L’UPA est controversée en Ukraine aujourd’hui. A l’Ouest, elle est célébrée par beaucoup et pour beaucoup d’autres elle n’est pas complètement condamnable à cause de sa résistance aux Soviétiques.
Pour exactement la même raison, à l’envers, elle est très largement rejetée à l’Est et au Sud. Dans ces régions, la majorité de la population a soutenu et combattu dans les rangs de l’Armée rouge et des partisans soviétiques. Il est à souligner que pendant la guerre, l’identité ukrainienne a été fortement mise en avant par le régime soviétique, avec la création d’unités militaires et de décorations spécifiquement ukrainiennes. Cela n’a pas survécu à la normalisation culturelle après 1945.
L’histoire commune a commencé après 1945 et a conduit à une identité ukrainienne commune, au-delà des régions et des langues. Ce qui sépare l’Est et l’Ouest aujourd’hui, ce sont beaucoup plus deux réalités socio-économiques (voir ci-dessous) que des questions de langue et de culture. Lors du référendum de 1991, l’indépendance a été majoritaire partout. D’après le recensement de 2001, 77 % des habitants se définissent comme Ukrainiens, 17 % comme Russes.
Une unité nationale en germe?
Presque tout le monde comprend les deux langues et apparemment il se développe aujourd’hui le sourzhyk, un mélange des deux. Il n’est pas exclu que les facteurs de division surviennent dans les prochains jours, et pas seulement en Crimée. Mais ce n’est pas inévitable et cela peut être encouragé ou découragé par les actions des uns et des autres. Une mauvaise décision du Parlement dans les premiers jours après la destitution de Ianoukovitch a été d’annuler une loi de 2012 qui donnait un statut officiel à la langue russe.
Que la loi en question affaiblissait en même temps l’ukrainien n’excuse rien. Elle aurait pu être amendée. Cette décision était une provocation potentielle à l’égard des russophones. Mais deux réactions à cette mesure sont à signaler. D’abord, une déclaration signée par des intellectuels de Lviv, grande ville de l’Ouest, en faveur du pluralisme linguistique et culturel.
Il se trouve par ailleurs que le premier signataire est le fils de celui qui était commandant-en-chef de l’UPA. Ensuite le 26 février, la ville de Lviv a annoncé que ce jour-là ses habitants parleraient le russe, en formulant les choses ainsi: « Lviv veut des nouvelles élections pour le Parlement et pas de la spéculation sur la langue et la nationalité. Le 26 Février, je parlerai le russe à la maison, à mon travail, avec mes amis – partout, en solidarité avec les habitants des régions Sud et Est de l’Ukraine ».
Le social au-delà du national
Les villes russophones de Donetsk (Est) et d’Odessa (Sud) ont tout de suite réciproqué, adoptant des déclarations identiques, remplaçant simplement « russe » par « ukrainien » et « Sud » et « Est » par « Ouest » et « Centre ». Il y a aussi des déclarations des municipalités à l’Est contre la division.
Quant aux attitudes de la population, un sondage fait dans l’Est et l’Ouest indique que des questions comme la langue, le fédéralisme et les rapports avec la Russie et l’UE ne sont pas les préoccupations principales: les priorités partout (sauf en Crimée) sont la corruption, le niveau de vie, le chômage, les retraites, la santé et l’éducation.
Et en ce qui concerne la Russie, une pétition circule actuellement à l’Est, adressée à Vladimir Poutine :
« Nous, les Russes et les citoyens russophones de l’Ukraine, n’ont pas besoin de protection par d’autres États. Nous vous remercions pour votre soutien, cependant, nous tenons à vous informer que personne ne nous a jamais porté atteinte, en aucune façon, sur le territoire de l’Ukraine. Nous avons toujours vécu librement et heureusement, parlant notre langue habituelle. Nous avons également étudié la langue d’Etat de l’Ukraine à l’école et sommes capables de la parler assez bien pour nous sentir à l’aise dans un environnement ukrainophone. C’est pourquoi, avec tout le respect dû à vos soucis, nous vous demandons de ne pas soulever des questions internes de notre pays qui sont loin d’être critiques à l’échelle nationale de la Fédération de Russie. Et d’ailleurs, nous vous demandons de ne pas amener des troupes pour régler un conflit que vous voyez apparemment, mais que nous n’arrivons pas à remarquer. Nous vous remercions de votre compréhension. Avec respect, les citoyens russe et russophones de l’Ukraine. »
L’étincelle
Le mouvement actuel a débuté en réaction à la volte-face d’Ianoukovitch qui a abandonné des négociations pour le partenariat avec l’UE pour signer un accord avec Poutine pour un crédit de 15 milliards de dollars et une réduction du prix de gaz fourni. C’était l’étincelle. Le combustible, c’était autre chose, et pas seulement la question européenne.
Le problème fondamental en Ukraine n’est ni le choix entre l’Europe et la Russie, ni l’opposition entre Est et Ouest. Il réside dans le caractère de la société ukrainienne. Comme ailleurs en ex-Union soviétique dans les années ’90, il s’est installé un capitalisme mafieux et corrompu. Comment pourrait-il en être autrement, car ce capitalisme a été créé sur la seule base possible, celle du détournement et du vol de la propriété publique à une échelle de masse.
Les oligarques et autres affairistes qui ont accaparé les entreprises nouvellement privatisés agissent comme leur compères en Russie. Ils enregistrent leurs sociétés à l’étranger, souvent dans des paradis fiscaux, ils exportent leurs capitaux. Ils ne paient pas d’impôts.
Qui vole, dirige
A l’Est, dans les zones industrielles, les privatisations ont été accompagnées d’une montée de chômage et de salaires impayés. Aujourd’hui, les salaires sont de misère mais les salariés qui ont un emploi s’y accrochent. C’est souvent le cas, comme à l’époque soviétique, que l’usine où ils travaillent est la seule de la ville, ce qui les rend dépendant de leur employeur, qui par ailleurs contrôle souvent en plus les média locaux et les élus de la ville. A l’Ouest, il y a une autre situation.
Ce sont des régions relativement peu industrialisées, où l’agriculture joue un rôle dominant. Les terres sont tombées sous le contrôle d’énormes entreprises de l’agrobusiness, des agroholdings, chassant beaucoup de paysans de leurs terres. Beaucoup sont partis travailler à l’étranger. Beaucoup de ceux qui restent dépendent des versements en provenance de l’étranger et des allocations publiques.
Il aurait été étonnant que sur cette base socio-économique apparaisse une société et une vie politique propre. Et ce ne fut pas le cas. A l’époque de l’Union soviétique, l’Etat s’occupait, tant bien que mal, de ces citoyens, du berceau jusqu’au tombeau. Aujourd’hui en Ukraine, on paie pour tout, de la crèche jusqu’au cimetière.
Et ce n’est pas à cause des privatisations, car beaucoup de services sont encore publics. Tout simplement, pour avoir une place à la crèche, un diplôme à l’Université, un emploi, une autorisation pour créer une entreprise, une place au cimetière, il faut graisser des paumes.
Corruption généralisée
Et évidemment quand on arrive dans le monde des affaires et celui de la politique, les sommes concernées, par exemple pour avoir des contrats d’Etat ou se faire élire député, sont beaucoup plus importantes. Toute la société est gangrénée par la corruption, sur fond d’une énorme inégalité entre riches et pauvres.
Quand aux partis politiques, ils sont liés, soutenus et financés par les différents oligarques: et une fois au pouvoir, les hommes et femmes politiques s’enrichissent. Ianoukovitch, ses fils et son entourage l’ont fait grossièrement. Mais cela vaut aussi pour le parti de Tymoshenko quand elle était au pouvoir.
Quant à l’ancien boxeur Vitali Klischko, il jouit encore d’un certain respect parce qu’il n’a pas encore été au pouvoir et qu’il a gagné l’argent honnêtement comme sportif. Cela ne veut pas dire que son parti agirait différemment des autres une fois au pouvoir. Sans parler de la probabilité qu’il reçoive de l’argent d’Allemagne.
Ce qui manque en Ukraine, ce sont des partis qui se basent sur des programmes politiques et sociaux et non pas sur les intérêts de tel ou tel clan. Ce qui manque très spécifiquement, c’est un parti de gauche. Certes, il y a le Parti communiste d’Ukraine. A regarder son programme social, il n’y a pas grand chose à redire. Par ailleurs, il a fait la proposition constructive d’un référendum sur les choix d’orientation internationale et défendait le retour à un régime parlementaire plutôt que présidentiel.
Où est la gauche?
Le hic est que ce parti est perçu, et avec raison, comme ayant été lié au régime de Ianoukovitch. Il a voté systématiquement avec le Parti des régions, rejoignant même le gouvernement en 2010. Il a voté en faveur des lois répressives du 16 janvier dernier, qu’il justifiait par la suite. Et malgré certaines critiques tardives à l’encontre du régime Ianoukovitch, il place la responsabilité pour la crise actuelle sur le Maïdan.
Il faut voir comment il se positionne dans la nouvelle situation qui s’ouvre. Par ailleurs, surtout depuis la chute de Ianoukovitch, il a été victime d’agressions et d’attaques contre ses locaux qui sont à condamner absolument.
Revenons à l’origine du mouvement. Ce qui l’a déclenché, c’est la volte face de Ianoukovitch. Mais à la différence de la « Révolution orange » de 2004, le mouvement est parti d’en bas. En 2004, les manifestations demandaient l’annulation d’une élection présidentielle truquée et la tenue d’une nouvelle élection et il a était clairement dirigé par le candidat Youshchenko et par Ioulia Tymoshenko.
Cette-fois-ci, le mouvement a été spontané et dés le début plutôt méfiant à l’égard de l’opposition officielle qui a été obligée de lui courir après et se trouvait souvent coincée entre le mouvement et le pouvoir.
Qu’est-ce qui a motivé les premières manifestations? Bien sûr, la question de l’Europe a eu son importance. Pour beaucoup de gens, vue d’Ukraine, l’Europe représentait la prospérité, la démocratie, les droits de l’Homme. Ils ne croyaient pas forcément que l’Europe était le paradis. Juste mieux que l’Ukraine. Avaient-ils raison ? Sur la démocratie et les droits de l’Homme, oui et non. Bien sûr, comme nous le savons, l’UE a un fonctionnement anti-démocratique.
UE: les désavantages, sans les avantages
Mais les Etats membres des Etats sont des démocraties qui respectent les droits civiques – avec des bémols, avec des lois répressives, bien sûr. Mais ce n’est pas comparable à l’Ukraine ou la Russie. A propos du partenariat avec l’Union européenne, c’est autre chose. Dans le cadre de l’accord proposé, l’Ukraine n’aurait même pas eu la perspective d’adhésion à l’UE et ses citoyens n’auraient donc pas eu de liberté de mouvement.
Ce serait une zone de libre échange avec acceptation des règles de l’Union, avec l’imposition des « réformes » qu’on connaît bien, avec l’ouverture de son marché et son économie aux exportations et investissements occidentaux, avec exploitation de sa force de travail bon marché. Tous les désavantages de l’UE sans beaucoup d’avantages.
Mais on peut parier que pas grand monde en Ukraine n’avait lu les termes de l’accord. En fait, l’UE avait une autre attraction. Elle n’était pas la Russie. Surtout en ce qui concerne l’Ouest et le Centre, où le sentiment antirusse reste fort, cela a beaucoup joué. Il y avait la suspicion que les accords avec la Russie n’étaient que le premier pas vers l’adhésion à l’Union douanière et plus tard à l’Union eurasienne de Poutine. Et le sentiment était, « surtout pas ça, nous avons déjà donné. »
On a déjà donné!
Et à l’Est ? Les sentiments antirusses sont beaucoup plus faibles et il y a avec la Russie des liens linguistiques, culturels mais aussi économiques. Pour la majorité de la population, les accords avec Poutine ont beaucoup moins choqué. Mais de là à dire que le gens seraient prêts à se laisser entraîner dans l’Union eurasienne… c’est beaucoup moins sûr. Et il y a eu des manifestations à l’Est. Elles ont été réprimées. Mais elles n’ont pas été négligeables.
Un sondage a indiqué que le mouvement avait le soutien de 80 % des gens à l’Ouest, 30 % à l’Est et 20 % au Sud. Il semble aussi que c’est à partir du mois de janvier, quand la question européenne a été éclipsée par l’affrontement avec les forces de répression, quand la lutte contre tout le système représenté par Ianoukovitch est devenue centrale, que l’Est a commencé à bouger.
Les vrais problèmes de l’Ukraine sont endogènes, le produit de la transition vers le capitalisme et la société ainsi engendrée.
Ce sont sur des questions qui en découlent que les gens sont descendus dans la rue en 2004. Bien sûr, le soutien actif de l’Occident a été un facteur important. Mais les Ukrainiens ne sont pas descendus dans la rue à l’appel de l’Occident, mais par indignation à la fraude électorale. Et à partir du 21 novembre dernier, ils ne sont pas descendus dans la rue à l’appel de l’UE mais parce qu’ils pensaient que Ianoukovitch était en train de les amener là où ils n’avaient pas envie d’aller et que quelque part, ils avaient été floués.
Ni Russie, ni Occident
C’est important de dire cela, car les gens ne sont pas des moutons. A trop insister sur les complots et les ingérences extérieurs, on laisse les arbres cacher la forêt. Et la forêt, c’est le mouvement de masse. Ceci dit, ces ingérences existent, et l’environnement international a toujours pesé – et pèse encore plus depuis la chute de Ianoukovitch.
L’Ukraine est devenue un enjeu géopolitique entre l’Ouest – les Etats-Unis et l’UE – et la Russie. A l’Ouest, chacun a son poulain. Pour les Américains, c’est Yatseniuk, pour les Européens et surtout les Allemands, c’est Klitschko.
Pour la Russie, ce qui est central, c’est le projet de l’Union eurasienne. Poutine regrette l’Union soviétique. Mais pas pour ses fondements socio-économiques. Ce qu’il regrette, c’est son statut de grande puissance, ses frontières et l’appareil policier où il a été lui-même formé. Et il essaie de les restaurer. L’Union eurasienne est sa tentative de rétablir une sphère d’influence économique et politique dans l’espace qui était celui de l’Empire russe et de l’URSS. Et pour cela, l’Ukraine est essentielle.
Voilà pourquoi il a fait tellement d’efforts pour empêcher que l’Ukraine signe le partenariat. Sur le plan économique, la Russie est infiniment plus faible que l’Europe ou les Etats-Unis. Mais il a plus besoin d’Ukraine qu’eux. Et si la situation en Ukraine le permet, il peut intervenir militairement. Là-dessus, il aura sans doute le soutien de l’opinion publique russe, car ce que certains appellent le nationalisme russe, mais que Lénine appelait toujours le chauvinisme grand-russe, reste très fort et est largement partagé à travers l’éventail politique.
Un parti communiste… impérialiste?
Malheureusement, c’est aussi vrai pour le Parti communiste de la Fédération de Russie. Les déclarations telles « le présidium du CC du PCFR se prononce pour une posture active et maximale de la part de la Fédération de Russie dans la tâche de normaliser la situation en Ukraine » sont une honte, un appel à l’intervention en Ukraine. Un vrai parti communiste s’opposerait aux ambitions impérialistes de son pays plutôt que de les encourager.
En guise de conclusion, une question. Sommes-nous devant une révolution en Ukraine ? Dans la préface à son « Histoire de la révolution russe », Léon Trotsky écrit : « L’histoire de la révolution est pour nous, avant tout, le récit d’une irruption violente des masses dans le domaine où se règle leurs propres destinées ».
Par cette définition-là, ce qui se passe en Ukraine est une révolution. Ce n’est pas tout joli? Il y a des fascistes et des idées réactionnaires? Lénine avait une réponse à cela qui est trop longue à citer ici mais qui se résume de la manière suivante: quiconque s’attend à une révolution pure ne la verra jamais.
Il est impossible d’avoir une vraie révolution sans l’éruption sur la scène de la petite bourgeoisie avec tous ses préjugés réactionnaires. On peut dire qu’en Ukraine, avec son histoire, avec l’extrême faiblesse du mouvement ouvrier et de la gauche, c’est encore plus vrai.
Le mouvement en Ukraine a beaucoup de faiblesses et pas mal de tares. Mais il a connu une première et grande victoire. Il reste beaucoup d’obstacles sur la voie d’une vraie révolution sociale et démocratique. A l’intérieur, la classe politique, les fascistes, les oligarques. A l’extérieur, les impérialismes occidentaux, la Russie. Il mérite la solidarité de la gauche en Europe pour les surmonter. On y reviendra.
20-02-2014
Venezuela: Approfondir la révolution pour la sauver
Marea Socialista est un des courants du PSUV (Parti socialiste uni du Venezuela)
Le 12 février dernier a débuté la partie violente de l’offensive de la droite. Jusqu’à présent prédominait la pression économique, l’organisation des pénuries, la spéculation sur les prix et une manipulation de la crise économique ayant une caractéristique de guerre économique. La violence s’ajoute aujourd’hui à la pression politique et idéologique.
Un secteur de cette droite, dont les principales figures sont Leopoldo López et María Corina Machado, occupe la rue de manière violente pour compléter la prise en tenaille, approfondir l’usure du gouvernement de Nicolás Maduro et chercher à récupérer le contrôle du pays en faveur de la bourgeoisie locale et internationale.
Négociatrice ou violente, la droite vénézuélienne poursuit le même objectif
Il ne faut pas s’y tromper : qu’elle soit « négociatrice » ou « violente », la droite politique et la bourgeoisie n’ont qu’un seul et unique plan de gouvernement. Ce plan a été rendu public par un communiqué de 47 économistes de l’opposition à la fin du mois de janvier dernier. Et il repose sur trois axes : la libération du dollar, l’endettement international avec les centres du pouvoir financier comme le FMI et, prétextant du déficit budgétaire, l’application de contre-réformes afin de démanteler les conquêtes politiques, sociales et économiques du peuples vénézuélien. Tout cela vise également à récupérer le contrôle du PDVSA (entreprise de pétrole nationalisée). Ils veulent tout et pas seulement une partie des dollars provenant de la rente pétrolière.
Au-delà des deux tactiques de la droite, nous sommes en présence du schéma classique des contre-révolutions. Il consiste à mettre le gouvernement sous pression pour qu’il applique des mesures anti-populaires et perdre ainsi sa base sociale, en approfondissant son usure vis-à-vis du peuple bolivarien. Il sera alors forcé de partir, que ce soit de manière violente ou plus « en douceur ».
Le gouvernement du président Maduro est en train de commettre une grave erreur en pensant qu’il existe une droite « violente » et une autre « pacifique » avec laquelle on peut négocier et qui serait prétendument respectueuse de la Constitution. Comme dans la vieille combinaison de la carotte et du bâton, ces secteurs convergent en réalité dans un objectif commun : abattre le processus bolivarien.
Mais l’erreur principale du gouvernement réside dans ses oscillations hésitantes qui l’amènent à appliquer les mesures exigées par la droite. Avec l’annonce du « SICAD 2 » (système financier de gestion des taux de change) s’ouvrirait la voie à la libération d’une partie substantielle de la rente pétrolière en faveur du capital et le risque de transformer l’inflation importante actuelle en hyperinflation, accentuant encore plus les problèmes de pénuries de produits. Cette annonce d’un nouveau taux de change du dollar ne fera qu’augmenter le malaise social ressenti aujourd’hui dans le pays. Et il approfondira la désorientation et le mécontentement du peuple qui vit de son travail.
Contre la droite: plus de pouvoir au peuple!
En tant que Marea Socialista, nous affirmons avec détermination notre engagement en faveur du processus bolivarien contre toute tentative de coup d’Etat, même déguisé avec des mobilisations de sympathisants de la droite dans les rues. Mais nous alertons sur le fait que la poursuite de la voie de l’adaptation aux exigences des capitalistes nous entraînera dans une situation de reculs et de perte de contrôle irrécupérable.
C’est pour cela que nous appelons le gouvernement du président Maduro à rectifier son orientation et à appliquer des mesures anticapitalistes afin de garantir l’approvisionnement en produits, freiner l’augmentation incontrôlée des prix et mettre en œuvre une nouvelle phase du processus bolivarien. Nous proposons en outre les mesures d’urgence économiques et politiques suivantes :
1) Pas un dollar de plus pour la bourgeoisie. Que l’Etat applique sous contrôle social et anti-corruption le monopole du commerce extérieur et soit l’unique importateur des biens essentiels de notre peuple.
2) Centralisation nationale sous contrôle social de tous les dollars du pays. Que ce soit ceux qui proviennent du pétrole comme ceux qui sont déposés dans des fonds à l’étranger.
3) Intervention et contôle étatique et social des travailleurs bancaires, de tout le système bancaire privé qui opère dans le pays, afin de financer le fonctionnement de l’économie. Contrôle centralisé de tous les fonds gérés par la banque publique.
4) Renforcement urgent de la production alimentaire étatique et en produits de consommation de base. Expropriation sous contrôle ouvrier et populaire des grandes entreprises impliquées dans les opérations d’accaparement, de spéculation ou de contrebande.
5) Demander aux peuples et exiger des gouvernements d’Amérique latine leur soutien solidaire en aliments et médicaments pour affronter la situation d’urgence.
En même temps nous demandons:
1) De mettre un terme à l’impunité de la droite. Nous soutenons ainsi l’ordre d’arrestation contre Leopoldo López du fait de sa responsabilité morale et intellectuelle par rapports aux événements violents du 12 février. Mais nous réclamons aussi la détention d’Enrique Capriles et de tous les responsables des 11 assassinats du 15 avril 2013.
2) Nous appelons à encourager et à soutenir la mobilisation et la lutte des secteurs du peuple bolivarien et au-delà qui sont en train de défendre leurs conquêtes. Ceux qui luttent pour les salaires, pour la défense de leur poste de travail, pour leurs contrats collectifs, comme les électriciens et bien d’autres. Nous appelons à encourager et non à criminaliser la protestation légitime du peuple qui vit de son travail. Il faut affronter de manière déterminée la contre-révolution mais en respectant et en stimulant la lutte du peuple travailleur, paysan et populaire et l’orienter afin d’obtenir des mesures anticapitalistes.
3) Nous insistons sur la proposition d’une participation réelle et effective à la prise de décision du gouvernement des organisations sociales et politiques du peuple révolutionnaire, de ses syndicats de base, de ses conseils de travailleurs, de ses mouvements sociaux et populaires, afin de garantir qu’on gouverne au service du peuple travailleur et en faveur des intérêts de la révolution.
4) Nous demandons de soutenir les médias communautaires et alternatifs en tant que réseau national de communication de ceux qui luttent contre la droite et en défense des conquêtes de la révolution. Nous exigeons d’ouvrir immédiatement les médias publics aux débats et opinions de tous ceux qui défendent le processus bolivarien.
5) Nous appelons à ouvrir les casernes de notre Force Armée Bolivarienne au débat public avec l’ensemble du peuple révolutionnaire et de ses organisations.
Il est encore temps aujourd’hui de changer de cap par rapport à l’orientation conciliatrice avec la bourgeoisie et pour impulser des mesures anticapitalistes effectives avec la participation démocratique du peuple qui vit de son travail. Mais demain, il sera peut-être trop tard.
19-02-2014
Des jeux pas gays mais complètement givrés
Avant même de commencer, les Jeux olympiques d’hiver de Sotchi avaient battu un record: celui des JO les plus chers de l’histoire. 50 milliards de dollars, alors que les pouvoirs publics russes sont mis à la diète, notamment dans les services de santé où il y a des pénuries graves de personnel et même d’ambulances !
2ème « médaille » pour la Russie de Poutine : l’homophobie. Votées en juin 2013, les lois homophobes « interdisant toute propagande homosexuelle parmi les jeunes » ont suscité une vive indignation parmi de nombreuses organisations de défenses des droits des LGBTQI (Lesbiennes, Gays, Bisexuels, Transgenres, Queers, Intersexes) à travers le monde, certaines appelant au boycott des Jeux de Sotchi.
Des élus européens se sont eux aussi montrés inquiets et « demandent » par ailleurs à la Russie d’abroger la loi. La question des discriminations envers les homosexuels était jusqu’à présent simplement ignorée par le pouvoir russe. Les JO ont obligé le maire de Sotchi et Poutine lui-même à sortir de leur silence, soit en nous expliquant qu’il n’y avait pas de problème, soit d’une manière encore plus stupide en déclarant que « les homosexuels sont les bienvenus à Sotchi, à condition qu’ils laissent les enfants tranquilles »… Toujours est-il que les députés russes se préparent à débattre très bientôt d’une nouvelle loi anti-gay qui retirera leurs droits parentaux aux homosexuels en raison de leur orientation.
Entre stupidité poutinienne et hypocrisie européenne
De leur côté, l’Union européenne et Coca-Cola mènent une même politique hypocrite. La célèbre boisson gazeuse qui sponsorise les JO a récemment dévoilé une campagne de pub « gay-friendly » mais se tait dans toutes les langues sur les lois discriminatoires russes. Quant à l’Union européenne, ses dirigeants donnent des leçons de morale à Poutine alors qu’ils mettent en place et votent des politiques tout aussi réactionnaires et antisociales, comme l’illustre la loi anti-avortement récemment passée en Espagne ou encore le fait que près de 30 % des Grecs sont actuellement sans aucune couverture sociale.
Larbins crétins
L’esprit olympique n’a pas vraiment dopé le sens critique des journalistes. Au contraire, les commentateurs sportifs français rivalisaient dans leurs « disciplines » de prédilection :
1. La mysoginie et le sexisme
2. Le chauvinisme
3. La méconnaissance des sports qu’ils sont sensés commenter
4. Le placement de certaines marques et sponsors dans les commentaires
Bref, d’un point de vue journalistique, des records de médiocrité ont été battus, mais on n’a pas eu droit à une seule allusion critique sur l’organisation des Jeux. Peut-être ces dociles « journalistes » n’avaient-ils même pas remarqué qu’à peine arrivés à Sotchi, leurs ordinateurs portables et leurs téléphones avaient été piratés par les services de renseignement russes (FSB).
Heureusement, certains médias engagés se sont posé des questions, comme par exemple : « Pourquoi Sotchi ? Choisir une station balnéaire désertée pour accueillir des JO d’hiver n’est pas plus stupide que choisir un émirat où règne des températures extrêmes (45°C) pour le mondial de foot. »
Reste que ces Jeux laissent un goût amer aux amoureux du sport dont nous faisons partie. Ils posent indirectement la question de la toute-puissance du business sur un grand nombre de disciplines sportives et de l’utilisation du sport à des fins politiques (ce qui n’est pas vraiment nouveau).
Que faire ?
Alors que faire ? Faut-il fuir le sport pour ne pas participer à son aliénation ? Non, ce ne serait pas fair-play, et puis si tous les dégoûtés s’en vont, on sait trop bien ce qui restera.
La solution, ce serait plutôt de reprendre le pouvoir sur le sport, ses structures, son fonctionnement, afin de décider démocratiquement des règles du jeu. Comment ? Voici quelques pistes :
· Les fédérations sportives devraient être gérées par des représentants élus par les sportifs, les supporters, et le public (dont les parents des jeunes notamment).
· Des financements publics doivent être prévus pour toutes les disciplines, afin de démocratiser l’accès au sport. Le football qui était traditionnellement le sport le plus accessible (et le plus populaire) est devenu de moins en moins abordable pour les familles qui veulent inscrire leur enfant dans un club.
· L’organisation des compétitions devrait être confiée à des comités élus par les sportifs et indépendants des sponsors et autres financeurs privés.
· Le pluralisme (hommes / femmes / handicapés…) devrait être introduit dans les épreuves relais ou dans les sports collectifs où cela est praticable. Ce serait une manière de faire vivre une véritable fraternité au travers du sport.
Bref, pour devenir plus sain, le sport a besoin d’une véritable révolution. Car ce qui devrait être avant tout un loisir populaire et un facteur de santé publique ne peut pas être laissé aux mains des marchands du temple. En sport comme dans la société, il est temps de marquer des buts contre le capitalisme.
07-01-2014
Gauche européenne: le saut qualitatif
Du 13 au 15 décembre 2013 s’est tenu à Madrid le 4e Congrès du Parti de la gauche européenne (PGE). Quelque trois cents délégués des 33 partis membres et observateurs, ainsi que de nombreux invités de partis, organisations et mouvements progressistes, y ont assisté. Les orientations du PGE pour les élections européennes de mai 2014 ont fait l’objet de discussions et de décisions. La volonté de rupture avec les politiques austéritaires, indépendamment des formes concrètes qu’elles peuvent prendre dans les différents pays, a été réaffirmée avec force. Ce congrès fera date dans l’histoire du parti dont la gauche radicale européenne s’est doté il y a à peine dix ans.
Dix ans ne représentent qu’un court laps de temps. Ils ont cependant suffi au PGE pour devenir un acteur incontournable de la scène politique internationale. En témoigne la présence au congrès d’Álvaro García Linera, vice-président de l’État plurinational de Bolivie. Le discours de ce dernier a incontestablement été un des moments forts de ce congrès. Le vice-président bolivien a exhorté les peuples européens à dépasser l’état de léthargie dans lequel ils ont sombré et à renouer avec les rébellions, révolutions et messages universalistes, qui par le passé ont fait la grandeur de l’Europe.
Une grande signification politique revêt la présence au 4e Congrès du PGE de la Confédération européenne des syndicats (CES) au plus haut niveau – une première dans l’histoire du PGE. Tant le président de la CES, Ignacio Fernández Toxo, que la secrétaire générale Bernadette Ségol, se sont adressés aux délégués et aux invités présents à Madrid pour décrire la situation accablante que vivent aujourd’hui les salariés européens, à commencer par les 27 millions d’hommes et de femmes actuellement au chômage dans l’Union européenne et pour présenter leurs alternatives à la Troïka en matière de politiques économiques et sociales. Le congrès a connu beaucoup d’autres moments forts, notamment les interventions de représentants de peuples en lutte, venant des quatre coins du monde: Colombie, Venezuela, Cuba, Tunisie, Égypte, Palestine…
Un congrès de l’unité
Incontestablement, le 4e Congrès du PGE a été celui de l’unité. Le document politique «Unir pour une alternative de gauche en Europe», qui est certainement le document de congrès dans la jeune histoire du PGE le plus accentué dans la dénonciation des orientations capitalistes et impérialistes de l’Union européenne et dans l’opposition à ses traités et institutions existants, a été adopté par les délégués à une majorité de 93 %. Les axes programmatiques pour les élections européennes de mai 2014, conçues comme document de travail que les partis nationaux devront concrétiser en tenant compte des spécificités de chaque situation nationale, l’ont été à une majorité de 86 %. Pierre Laurent, secrétaire national du Parti communiste français, a été reconduit dans la fonction de président du PGE par plus de 78 % des délégués. Les vice-présidents du PGE Marisa Matias, Margarita Mileva, Maite Mola et Alexis Tsipras, ainsi que le trésorier Diether Dehm, ont également obtenu des scores très élevés.
Une des décisions les plus importantes du congrès a été la désignation d’Alexis Tsipras comme candidat du PGE à la présidence de la Commission européenne. Cette candidature, présentée dans le cadre de la campagne pour les élections européennes de mai 2014, ne doit cependant pas être comprise comme un ralliement aux institutions non démocratiques de l’actuelle Union européenne.
Dans son discours d’ouverture du congrès du PGE, Pierre Laurent a apporté les clarifications nécessaires en rappelant la résolution du Conseil des Présidents du PGE à ce propos: «Le Conseil des Présidents a discuté de la possibilité de présenter un candidat commun à la Présidence de la Commission européenne. Le PGE ne croit pas que cette disposition nouvelle soit de nature à démocratiser l’Union européenne. Elle ne masquera pas, comme l’espèrent les dirigeants européens de la Troïka, leur autoritarisme. (…) Il n’y a pourtant aucune raison, lors de la campagne électorale, de laisser le monopole de la parole aux forces responsables de la crise. Les peuples, les travailleurs, toutes celles et ceux qui luttent contre l’austérité et pour une refondation de l’Europe doivent avoir un porte-voix. Pour le PGE, cette candidature serait un symbole fort d’espoir pour l’Europe. La Grèce a servi de cobaye aux politiques d’austérité. Mais la Grèce a résisté et résiste encore. Syriza, le parti dont Alexis Tsipras est le président, a su rassembler le peuple grec contre les memoranda barbares et l’autoritarisme et pour un redressement de la Grèce dans une Europe solidaire. La voix d’Alexis Tsipras serait donc celle de la résistance et de l’espoir face aux politiques ultra-libérales et face à la menace de l’extrême droite. Cette candidature pourrait rassembler de nombreux citoyens et de nombreuses forces politiques.»
Le ralliement à la candidature d’Alexis Tsipras annoncée aux congressistes réunis à Madrid par Jonas Sjöstedt, le président du parti de gauche suédois Vänsterpartiet, en a encore souligné la grande valeur symbolique. Le Vänsterpartiet est actuellement crédité dans les sondages d’un score de 8 % aux prochaines élections générales suédoises prévues pour septembre 2014. Pour mesurer à sa juste valeur l’importance de cette décision, il faut se rappeler que la sensibilité gauche verte nordique avait au début pris beaucoup de distance avec le projet de construction d’un parti de gauche européen.
Il faut également insister sur l’ambiance du congrès. Au fil des dix ans de son existence, le PGE s’est transformé progressivement d’une union de partis frères nationaux en un parti européen, qui a comme ambition de refonder l’Europe sur des bases totalement opposées à l’actuelle construction de l’Union européenne au service des seuls intérêts du capitalisme financiarisé. Une ambiance de fraternité, qui commence à transcender la diversité des cultures politiques ayant convergé dans le PGE, s’est installée. Les votes sur les documents politiques, ainsi que les élections aux fonctions dirigeantes du parti, qui font apparaître des majorités et minorités fluctuantes, sont devenus une méthode de travail normale. Au cours des premières années de l’existence du PGE, il en allait encore autrement. Au congrès de Madrid, les résultats des votes ont même été parfois très serrés. Tel était le cas pour les votes sur les motions relatives à l’écosocialisme et sur les structures féministes, dont le PGE devrait se doter.
Tout en prenant acte avec satisfaction des progrès démocratiques réalisés dans la vie interne du PGE, on doit cependant convenir que la méthode de travail basée sur le consensus devra prévaloir à l’avenir. C’est cette méthode qui a fait ses preuves depuis les premières concertations entre partis frères nationaux en vue de fonder un sujet politique européen, il y a une dizaine d’années. Mieux vaut marcher plus lentement, mais continuer le chemin ensemble en plus grand nombre! Dans le cas du PGE, le bien-fondé de cette approche s’est vérifié tout au long de ses dix années d’existence. Qui plus est, elle n’a pas été un obstacle aux progrès continuels réalisés dans la perception collective des défis européens qui se posent à la gauche radicale. La grande unité constatée à Madrid est précisément le résultat d’un processus d’une année, au cours duquel les partis membres et observateurs du PGE ont préparé le 4e Congrès de façon collective et consensuelle, tout en s’enrichissant mutuellement.
Après le congrès de Madrid, le PGE est en ordre de bataille pour entamer une année importante avec en ligne de mire les élections européennes. La candidature d’Alexis Tsipras à la présidence de la Commission européenne en dit long sur les nouvelles ambitions du PGE pour construire une autre Europe. Au printemps déjà, le PGE organisera à Bruxelles une conférence sur la restructuration des dettes publiques. Cette conférence, qui sera largement ouverte aux forces politiques et syndicales, mouvements sociaux et milieux universitaires progressistes, devra défricher des pistes pour briser le cercle vicieux des politiques austéritaires imposées à l’Europe par la Troïka. Évidemment, le PGE s’engagera, tout au long de l’année, dans la «mère de toutes les batailles» contre le grand marché transatlantique entre l’Union européenne et les États-Unis, qui fait planer un danger mortel sur le modèle social européen tel qu’il subsiste encore. Enfin, le PGE se propose d’organiser à l’avenir chaque année un «Forum européen des alternatives», conçu comme nouvel espace de convergences progressistes avec toutes les forces politiques, syndicales et sociales, qui y sont disponibles. Une première édition de ce forum est prévue pour l’automne.
Retour en arrière
En se rappelant les origines du PGE, on doit regretter que la méthode de travail basée sur le consensus n’ait pas toujours été appliquée avec assez de conséquence. Il en est résulté des blessures, qui, jusqu’à ce jour, tardent à cicatriser complètement. On s’en est bien rendu compte en écoutant attentivement les interventions à Madrid des représentants de partis communistes, jouissant d’une grande représentativité dans leur paysage politique national, tel le Parti communiste de Bohême et Moravie (République tchèque) et le parti chypriote AKEL. Le fait que ces partis ont gardé jusqu’à ce jour le statut de parti observateur résulte des difficultés surgies au cours de la période de fondation du PGE.
À cette époque, l’interprétation du concept de «stalinisme» faisait débat et les avis divergeaient sur la vitesse avec laquelle on devait avancer dans la construction du nouveau sujet politique européen. Évidemment, on ne pouvait transiger sur la nécessaire rupture avec les néfastes pratiques staliniennes, qui, au cours du siècle passé, ont causé d’innombrables torts au mouvement ouvrier. De même, on ne pouvait pas prolonger indéfiniment le processus de formation du nouveau sujet politique européen sans courir le risque de faire échouer tout le projet. Il n’est non moins vrai qu’en agissant avec plus de circonspection lors de la fondation du PGE, on aurait pu éviter certaines controverses dont les conséquences négatives se font ressentir jusqu’à ce jour.
Il faut bien se rendre compte que la tâche entreprise il y a une dizaine d’années, consistant à rassembler dans une maison européenne commune des partis politiques aux orientations idéologiques et aux traditions et cultures politiques très diverses, représentait un défi énorme. Trouver un consensus entre partis communistes, socialistes de gauche et rouges-verts et dépasser l’antinomie stérile entre «stalinisme» et «trotskisme» étaient déjà en soi une entreprise difficile. Mais, au-delà de toutes les différenciations idéologiques, il fallait également rassembler des forces politiques qui avaient des vues différentes sur l’Union européenne et ses institutions.
Le point de départ du processus innovant entrepris à l’époque consistait dans la prise de conscience qu’indépendamment de l’analyse concrète qu’on pouvait faire de l’Union européenne, il ne suffisait plus de s’opposer aux contre-réformes néolibérales et de lutter pour une alternative sociale et écologique au seul niveau de l’État national. La gauche radicale était désormais obligée d’affronter les bourgeoisies européennes sur le terrain privilégié qu’elles avaient choisi pour renverser les rapports de forces en leur faveur et annuler les conquêtes sociales du mouvement ouvrier obtenues au cours de la période historique précédente. Il fallait impérativement étendre la lutte des classes au niveau européen. Ce terrain politique ne devait pas être abandonné aux seules forces conservatrices, libérales et sociales-démocrates. La gauche radicale y devait peser de tout son poids en regroupant au sein d’une formation politique supranationale, dans la mesure du possible, tous les partis situés à gauche de la social-démocratie qui disposaient d’une assise électorale dans les différents pays européens.
Controverses
Il faut aussi revenir sur certaines controverses suscitées à Madrid par la délégation du Parti de gauche français (PG). La première de ces controverses renvoyait au concept d’«écosocialisme». Avec 48 % de votes pour et 43 % contre, la motion sur les questions écologiques proposée par le PG, conjointement avec l’Alliance rouge-verte (Danemark), Syriza (Grèce), le Bloco de Esquerda (Portugal) et Die Linke (Allemagne), a été approuvée par le congrès. La motion a donné lieu à un débat contradictoire non pas à cause de son contenu, mais à cause de la volonté d’imposer au PGE dans son ensemble le concept d’«écosocialisme». Sur les idées fortes de la motion, un consensus beaucoup plus large aurait pu être atteint: la nécessité d’une transformation socialiste de la société allant de pair avec une transition écologique et énergétique; la dénonciation du productivisme capitaliste, qui met en danger notre écosystème et les bases mêmes de la civilisation humaine; la critique du consumérisme et l’affirmation de la nécessité d’un partage équitable des richesses produites aujourd’hui, en opposition à la course effrénée vers toujours plus de croissance économique comme préalable à une «redistribution des richesses», qui en fait ne fait qu’augmenter les inégalités sociales; l’insistance sur la nécessité d’une planification écologique, du développement de formes diverses de propriété collective et du contrôle exercé par les travailleurs et les usagers sur les moyens de production. C’est le mot «écosocialisme» qui a suscité des oppositions. Certains partis membres du PGE ne reprennent pas à leur compte le concept d’«écosocialisme», tout en partageant largement les analyses contenues dans la motion. N’aurait-il donc pas été plus efficace, dans le cadre des choix programmatiques à assumer par le PGE dans son ensemble, de renoncer au concept idéologique d’«écosocialisme», afin d’aboutir à un consensus beaucoup plus large sur les contenus concrets?
L’opposition réitérée par la délégation du PG à la reconduction de Pierre Laurent à la tête du PGE a été à l’origine d’une autre controverse. Dans son intervention en session plénière du congrès, François Delapierre, secrétaire national du PG, a motivé une nouvelle fois cette position en invoquant l’alliance du PCF avec le PS français dès le premier tour aux élections municipales de mars 2014 dans un certain nombre de villes et en insistant en particulier sur la situation créée à Paris. Il a cependant dû concéder que sur ce sujet le PG n’était suivi par aucun autre parti.
Malgré ce constat, le PG a annoncé en fin de congrès qu’il allait suspendre sa participation au PGE jusqu’aux élections municipales. Un grand nombre de délégués ont accueilli cette annonce avec désapprobation. Comme il ressort d’un billet de blog rédigé à ce sujet par Éric Coquerel, secrétaire national du PG lui aussi, cette décision ne devrait avoir qu’un caractère tout à fait symbolique: «Pour autant, la décision de suspendre de façon provisoire notre participation au PGE a été prise. Jusqu’aux municipales très exactement, soit 4 mois. C’est en quelque sorte une suspension conservatoire.»
«Une suspension conservatoire»
Il n’en reste pas moins que cette façon de procéder est contestable. Avec le respect dû à la grande nation française, qui a apporté tant de progrès de civilisation à l’humanité toute entière depuis la Révolution de 1789, posons-nous la question suivante: Quelle est l’incidence des élections municipales à Paris sur l’Europe prise dans son ensemble? Pierre Laurent a été un très bon président depuis sa première élection au 3e congrès du PGE à Paris en 2010. Depuis lors, le PGE n’a fait aucune concession au social-libéralisme. Tout au contraire! Il n’a fait que progresser dans ses analyses de l’Europe capitaliste – collectivement et dans l’unité! C’est également le cas pour l’approfondissement d’une stratégie de désobéissance vis-à-vis de l’Union européenne et de ses traités néolibéraux.
Quant au débat de fond qui agite actuellement le Front de gauche, il faut convenir qu’il dépasse de loin les frontières françaises. À ce jour, une réponse définitive n’a pas pu y être apportée. Partout en Europe, la gauche radicale doit assumer les contradictions provenant des deux stratégies suivantes: «se positionner en autonomie conquérante» respectivement «devenir le centre de gravité de la gauche toute entière». Comme sur beaucoup d’autres sujets, aucune dichotomie noir-blanc n’est de mise ici! Il faut sortir par le haut de ce débat. Une gauche radicale moderne se doit d’assurer une dialectique qui prend en compte la complémentarité des deux stratégies et non de leur irréductibilité.
Laissons le mot de la fin à Éric Coquerel. Dans le billet de blog cité plus haut, il écrit: «Cela nous oblige […] à politiser nos discussions, à les dégager des facilités de la polémique gratuite, et à chercher en toute occasion les équilibres à même de préserver notre unité. Cette unité qui doit être protégée comme notre plus grand acquis, car elle fut (et elle reste) aux fondements de tous nos succès des quatre années écoulées, de notre percée au premier tour de l’élection présidentielle, de la place incontournable que nous occupons sur le champ de la gauche française.» En effet, les peuples européens, qui sont confrontés à la pire crise du capitalisme depuis la Grande Dépression de 1929, ont besoin d’une gauche européenne unie – et, en France, d’un Front de gauche qui l’est tout autant!
18-12-2013
Retour sur les élections municipales à Paris
Sans aucun doute eût-il été préférable que les adhérents parisiens du Parti communiste français (PCF) aient voté pour une liste autonome du Front de gauche au premier tour des élections municipales de mars 2014. Le fait qu’ils aient voté à 57 % pour des listes communes avec le Parti socialiste dès le premier tour doit cependant être accepté comme expression démocratique de la base du PCF à Paris.
Remarquons que la discussion ne porte que sur le premier tour, alors que le système électoral français impose à la gauche de se rassembler de façon très large au deuxième tour, si elle veut s’imposer face à la droite et à l’extrême droite. Et prenons acte du fait que dans l’essentiel des villes de plus de 20.000 habitants, dont Marseille, Nice, Bordeaux, Lille, Strasbourg, Nîmes, Metz, Le Havre, ou encore Lyon – dans ce dernier cas la base du PCF a voté contre les consignes de sa direction – le Front de gauche dans son ensemble est au cœur de rassemblements à gauche de la social-démocratie.
Mais revenons un instant sur la situation créée à Paris. À décharge de la fédération de Paris du PCF, on peut invoquer les importantes concessions qu’Anne Hidalgo, candidate socialiste à la Mairie de Paris, a dû faire.
Ainsi, en cas de victoire, le PCF obtiendra substantiellement plus de postes de conseillers de Paris, de conseillers d’arrondissement et de maires adjoints. Une augmentation du nombre d’élus locaux communistes est toujours une garantie pour une plus grande prise en compte des besoins et des droits sociaux des travailleurs français. D’ailleurs au niveau programmatique, les communistes parisiens ont su imposer des objectifs ambitieux, tel que la construction de 30 % de logements sociaux à Paris à l’horizon de 2030 ou encore la gratuité des premiers m3 d’eau.
Meeting Place au Peuple à Paris, discours de… par lepartidegauche
Cependant, tous les arguments qu’on peut avancer pour justifier le choix des communistes parisiens ne contrebalancent pas les inconvénients. Objectivement, on doit constater que le changement dans les rapports de force, qui a permis au PCF de tirer son épingle du jeu, résulte de l’émergence du Front de gauche sur la scène politique française suite à la formidable campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon en 2012.
Mais le principal inconvénient de la situation créée à Paris est la dilution du message politique du Front de gauche dans la capitale française, donc aussi au niveau national. En effet, même s’il ne s’agit que d’élections municipales, celles-ci, pour des raisons évidentes, ne peuvent pas se réduire à une dimension purement locale à Paris. Au moment où la politique néolibérale du président «socialiste» François Hollande risque d’entraîner la gauche, bien au-delà de la seule social-démocratie, dans le discrédit, la confusion provoquée à Paris ne contribuera certainement pas à éclaircir les enjeux politiques. On doit donc constater avec regret qu’il ne reviendra qu’aux seules listes «À Paris, place au peuple!» constituées par le Parti de gauche derrière sa chef de file Danielle Simonnet et la majorité des composantes du Front de gauche, à défendre une authentique alternative sociale et écologique.
Sortir par le haut d’une phase difficile
Au vu des contradictions apparues à l’occasion des élections municipales, toutes les formations politiques qui constituent le Front de gauche, sont appelées à agir avec un grand sens des responsabilités afin de sortir par le haut de cette phase difficile et d’aborder de la meilleure façon possible, ensemble avec leurs alliés européens regroupés dans le Parti de la gauche européenne, les élections européennes de mai 2014. L’enjeu de ces dernières sera cette fois-ci particulièrement important, alors que l’Europe est frappée de plein fouet par la crise du capitalisme financiarisé.
Et il appartiendra au Front de gauche dans son ensemble d’apporter des solutions aux problèmes non résolus à ce jour. Mentionnons la relative stagnation de ses résultats électoraux après la séquence euphorisante des présidentielles de 2012, la nécessaire reconquête du vote populaire face à la dangereuse pénétration des idées du Front national au sein de la classe ouvrière ou encore la bonne façon de s’adresser à ces nombreux militants et sympathisants du Parti socialiste, qui, tout en devenant de plus en plus critiques avec la politique gouvernementale, ne reconnaissent pas encore une alternative de gauche crédible à leurs yeux.
Aucun repli sectaire n’aidera à résoudre ces problèmes vitaux pour la gauche radicale en France. Les solutions devront être trouvées dans une dialectique fructueuse entre d’une part l’approfondissement des réponses écosocialistes apportées à la crise systémique et d’autre part la nécessaire ouverture sur la société et l’élargissement du Front de gauche à de nouveaux milieux et couches populaires.
03-12-2013
La gauche européenne en 2014
Dans six mois, presque jour pour jour, il y aura les élections pour le Parlement européen. Ce parlement a des pouvoirs assez limités, bien qu’aujourd’hui il en ait un peu plus qu’avant. Jusqu’ici, les citoyens-électeurs européens lui ont accordé de moins en moins d’importance. De 1979 à 2009, le taux de participation au niveau européen est tombé de 62% à 42,9%. Cette désaffection s’explique sans doute essentiellement par les faibles pouvoirs du parlement, l’essentiel des décisions étant pris par la Commission européenne et le Conseil, qui réunit les gouvernements. Pourtant les électeurs ont souvent utilisé cette consultation soit pour voter pour des partis qui avaient peu de chance de se faire élire aux élections nationales – les Verts dans plusieurs pays ou encore l’UKIP en Grande-Bretagne, soit pour envoyer un message politique fort. Le score du PS français en 1994, à 14,5%, a effectivement mis fin à la carrière politique de Michel Rocard.
Cette fois-ci, il se peut bien que les élections conduisent à un résultat qui sera marquant non seulement au niveau de tel ou tel pays mais à celui de l’Europe. Ouvrez n’importe quel journal, écoutez n’importe quelle émission de télévision et vous l’entendrez: tout le monde ou presque prédit une percée des forces dites populistes, anti-européennes ou pour le moins eurosceptiques: le parti de Geert Wilders aux Pays-Bas, le Front national en France, l’UKIP et tant d’autres. Au-delà de leurs différences, il s’agit de forces de droite et d’extrême droite; il vaut mieux les appeler comme cela, plutôt que d’utiliser ce vague terme de «populiste» que certains appliquent aussi à la gauche radicale selon les besoins. Ces partis font campagne contre l’Union européenne au nom d’intérêts nationaux. Ils mélangent une opposition démagogique à l’austérité, le refus de l’euro, une dénonciation des pouvoirs exorbitants de Bruxelles et un discours anti-immigré, raciste, xénophobe.
« Au-delà de leurs différences, il s’agit de forces de droite et d’extrême droite; il vaut mieux les appeler comme cela, plutôt que d’utiliser ce vague terme de «populiste» que certains appliquent aussi à la gauche radicale selon les besoins. «
Pour comprendre pourquoi ces forces politiques parviennent à atteindre leur audience actuelle, il faut situer ces élections dans le cadre de la crise financière et économique qui frappe le monde, et l’Europe tout particulièrement, depuis 2008. Aux dernières élections en 2009, la crise était déjà là, mais ni son ampleur ni sa durée n’étaient encore évidents. Depuis, nous avons connu cinq années d’austérité, de réformes structurelles, d’attaques contre la démocratie. Pour certain pays, cela a été vraiment dramatique. En Grèce surtout, mais aussi au Portugal et en Espagne, le chômage a explosé, surtout parmi les jeunes, et les fondements de l’Etat social sont en train d’être dynamités. Mais l’offensive antisociale se poursuit partout. Le «pacte fiscal» et les mesures qui l’accompagnent visent à enfermer tous les pays dans une politique austéritaire. Et tout cela se mène sous l’égide de l’Union européenne et de sa Commission, laquelle, avec la Banque centrale européenne et le FMI, composent la sinistre Troïka qui soumet des pays entiers à la misère. Ce faisant, ils donnent des armes aux démagogues de droite pour mener leurs campagnes xénophobes.
C’est dans ce cadre que le Parti de la gauche européenne (PGE), dont déi Lénk fait partie, va mener la campagne la plus large possible pour les élections de mai 2014. Puisque les dirigeants européens cherchent à donner un peu plus de légitimité au Parlement européen en autorisant les partis à soumettre au suffrage universel leurs candidats au poste de son président, le PGE va en profiter. Nous proposons comme candidat Alexis Tsipras, dirigeant de Syriza en Grèce. Cela nous permettra de mettre au centre de notre campagne la situation dramatique du peuple grec, mais aussi leurs multiples formes de résistance. Et de montrer que dans leur combat, ils ne sont pas seuls. Dans une tribune du quotidien britannique The Guardian du 27 novembre, Alexis Tsipras écrit que sa candidature est «motivée par notre volonté de réunifier l’Europe et de la reconstruire sur une base démocratique et progressiste ». Il s’agit bien de réunifier l’Europe, car elle est de plus en plus divisée par ceux dont les discours parlent sans arrêt de toujours plus d’unité… Divisée et désarticulée par l’austérité, les réformes antisociales, les attaques contre la souveraineté populaire. Derrière leurs discours, les divisions se creusent: entre Nord et Sud, Est et Ouest, nationaux et migrants, vieux et jeunes.
« Il s’agit bien de réunifier l’Europe, car elle est de plus en plus divisée par ceux dont les discours parlent sans arrêt de toujours plus d’unité… »
Ce n’est bien sûr pas la droite anti-européenne qui combattra ces divisions. D‘ailleurs, il est assez comique de voir leurs tentatives de s’unir le temps de ces élections, à l’image de la conférence de presse de Wilders et Le Pen, alors que tout leur programme mettrait les nations et les peuples d’Europe les uns contre les autres.
Ce sera donc à la gauche radicale, la gauche qui conteste l’Europe actuelle, de se battre pour unifier l’Europe sur d’autres bases. Nous refusons une Union européenne construite pour défendre les intérêts du capitalisme financiarisé. Tout son fonctionnement, les traités, les lois, les directives, les structures sont destinées à cela. Nous voulons, nous, refonder l’Europe dans l’intérêt des peuples, faire une Europe sociale, démocratique, qui mette les besoins humains avant les profits, qui brise la mainmise de la finance, qui mette l’économie au service des populations, des salariés, des jeunes, de retraités.
Dans ce combat nous ne partons pas de rien. Le PGE a moins de dix ans, mais il comporte des partis avec des vrais racines dans leurs pays. En Grèce, Syriza est en tête des intentions de vote. Il y a des partis solidement implantés en Espagne, au Portugal, en France, en Allemagne. Et les derniers résultats électoraux de nos amis de l’Alliance rouge et verte au Danemark montrent que ce n’est pas seulement en Europe du Sud que la gauche peut progresser.
Alors faisons en sorte que la grande nouvelle des élections de mai prochain ne soit pas la progression des forces mortifères de l’extrême droite, mais celle de la gauche de transformation sociale.
30-11-2013
TTPI verhindern!
Im Zuge des Abhörskandals von Angela Merkel wurde wiederholt mit dem Abbruch der Verhandlungen zum Freihandelsabkommen TTIP (Transatlantic Trade Investment Partnership) zwischen den USA und der EU gedroht. Schön wärs! Wir glauben aber nicht so recht daran, denn sowohl für die europäischen wie die US-Monopolkapitalisten geht es dabei um saftige Profite. Da es schon seit längerem keine traditionellen Schutzzölle mehr gibt, geht es dabei vor allem um den Abbau von noch bestehenden « legislativen Beschränkungen » für den « freien Waren und Dienstleistungsverkehr ». Im Klartext geht es dabei in erster Linie um allerlei Umweltschutzbestimmungen, Regulierungen die derzeit den Verbraucher noch gegen OGM Produkte, den Gebrauch von Pestiziden in der Landwirtschaft und Giften in Kunststoffen schützen und die jetzt noch obligatorisch auf der Verpackung verzeichnet werden müssen. Alle diese legislativen Reglementierungen werden von den Multis als « Wettbewerbsverzerrung », « Unlauterer Wettbewerb » und » Protektionismus » bezeichnet und sollen nun definitiv abgeschafft werden. Wenn sich die Öffentlichkeit nicht bald rührt und sich dagegen in Bewegung setzt, dann droht unseren Parlamenten ein Maulkorb in Form eines Völkerrechtlich verbindlichen Abkommens das die kühnsten Alpträume in den Schatten stellen wird.
22-11-2013
Eine Saga von Revolution und Reaktion
2009, ein halbes Jahr nachdem das Land von einer großen Finanz- und Wirtschaftskrise erfasst wurde, wurde in Island die konservativ-sozialdemokratische Regierung nach massiven Protesten der Bevölkerung gestürzt, woraufhin eine provisorische linke Minderheitsregierung gebildet wurde, die sich aus der sozialdemokratischen Allianz und der Links-Grünen Bewegung zusammensetzte. Diese wurde wenig später bei den Parlamentswahlen mit einer deutlichen Mehrheit belohnt – es war die erste isländische Linksregierung ohne Beteiligung der agrarliberalen Fortschrittspartei. Dementsprechend hoch waren natürlich auch die Erwartungen – und nicht alle wurden erfüllt.
Trotz einiger Defizite gelang es der neuen Linksregierung, die Wirtschaftskrise ohne weitreichende Sparprogramme zu meistern; stattdessen wurde u.a. eine Vermögenssteuer eingeführt, die Banken wurden unter staatliche Aufsicht gestellt und reguliert und Landsbanki sogar in staatliches Eigentum überführt. Zugleich wurde privaten Haushalten ein Großteil der Schulden erlassen und der frühere konservative Premierminister musste sich vor einem isländischen Sondergericht wegen „politischer Fahrlässigkeit“ verantworten. Zwar wurden bei diesem Prozess keine Strafen erlassen, dennoch hatte er einen großen symbolischen Wert. Gegen die Bankenchefs wurden ebenfalls Strafverfahren eingeleitet.
„Island ist ein freier und souveräner Staat, dessen Grundpfeiler Freiheit, Gleichheit, Demokratie und Menschenrechte sind.“
Die größte Errungenschaft der Linksregierung war aber die angestrebte Verfassungsreform. Die isländische Verfassung basiert immer noch auf der dänischen, und dies obwohl Island seit 1944 eine unabhängige Republik ist. Dies sollte sich nun endlich ändern – und um dem demokratischen Anspruch einer Republik gerecht zu werden, sollte das Volk nicht nur an der Diskussion über die Verfassung beteiligt werden, sondern an der Formulierung und Ratifizierung der Verfassung selbst. So wurde von der wahlberechtigten Bevölkerung ein 25-köpfiger Verfassungsrat gewählt, der unabhängig war von Parteipolitik und von den politischen Institutionen. Dieser Verfassungsrat erhielt über soziale Medien und Netzwerke, E-Mail und SMS direktes Feedback von der Bevölkerung und erarbeitete einen Verfassungsentwurf, der unglaublich fortschrittliche Züge trug.
Der Verfassungsentwurf enthielt, im Gegensatz zur alten Verfassung, erstmals eine Präambel, die diese Fortschrittlichkeit schon andeutet:
„Island ist ein freier und souveräner Staat, dessen Grundpfeiler Freiheit, Gleichheit, Demokratie und Menschenrechte sind. Die Regierung soll danach streben, die Wohlfahrt der Einwohner des Landes zu stärken, ihre Kultur zu fördern und die Lebensvielfalt der Menschen, des Landes und seiner Biosphäre zu respektieren.“ Damit bekennt sich der Verfassungsentwurf bereits eingangs zu vielfältigen Lebensentwürfen, aber auch zum Umweltschutz. Dies geht aber noch weiter; im Entwurf wird auch explizit erläutert, dass die natürlichen Ressourcen, inklusive des Meeres und des Meeresbodens, öffentliches Eigentum sind und als solche nicht an die Privatwirtschaft verkauft oder auf unbestimmte Zeit verliehen werden dürfen. Aber auch soziale Rechte werden erstmals formuliert; ein Recht auf Bildung, auf angemessene medizinische Versorgung, soziale Sicherheit und öffentliche Hilfe im Falle von Armut oder Behinderung. Ebenso werden demokratische Prozeduren erweitert, sodass es etwa möglich ist, von der Regierung bindende Volksentscheide zu fordern.
2013 aber wurde die Linksregierung abgewählt – und die Verfassungsreform ist gescheitert, obwohl sich die Bevölkerung in einem Referendum mit überwältigender Mehrheit für den vorgelegten Verfassungsentwurf ausgesprochen hat. Dies weil Referenda in Island generell nicht bindend sind. Also bedurfte es noch der Zustimmung des Parlaments; da es derzeit aber noch nicht mal mehr eine absolute linke Mehrheit gibt und es einer Zwei-Drittel-Mehrheit bedarf, um die Verfassung zu ändern, kann die neue Regierung den Vorstoß der Linken und Sozialdemokraten problemlos blockieren. Bereits während des Verfassungsgebungsprozesses versuchte besonders die konservative Unabhängigkeitspartei ununterbrochen, die neue Verfassung zu sabotieren.
Nun ist die neue Verfassung Geschichte. Damit wurde die demokratische Entscheidung von der konservativen Elite schlicht übergangen. Doch nicht nur das: Die neue konservativ-liberale Regierung, eine Regierung der Krisenverursacher, konnte nur mit Hilfe eines perfiden und verlogenen Wahlkampfs überhaupt an die Macht kommen. Die Fortschrittspartei, die sonst in EU-Fragen einen eher opportunistischen Standpunkt vertritt, entdeckte kurz vor den Wahlen auf einmal ihre entschiedene Ablehnung einer möglichen EU-Mitgliedschaft. Auch die Konservativen spielten diese Karte im Wahlkampf, versprachen den Wählern aber auch, den Sozialstaat auszubauen und auf keinen Fall ein rigides Sparprogramm zu Ungunsten der Mehrheitsbevölkerung durchzusetzen.
Zurück zur Vetternwirtschaft…
Das Einzige was heute davon bleibt, ist die Ablehnung der EU-Mitgliedschaft. Tatsächlich ist die derzeitige Regierung in erster Linie eine Regierung der Vetternwirtschaft. So soll die Vermögenssteuer, die besonders die regierenden Minister derzeit schwer belastet, da sie großes Vermögen angehäuft haben, abgeschafft werden und die Fischereigebühren stark herabsetzen wollen. Gegen Letzteres gab es bereits Proteste und eine Unterschriftensammlung, die bereits von 10% der wahlberechtigten Bevölkerung unterschrieben wurde. Von der Herabsetzung der Gebühren profitieren zumeist wohlhabende Familien, während dem Staat zugleich einige Milliarden Kronen durch die Lappen gehen.
Aber auch die bereits einsetzenden Kürzungen in den Bereichen der sozialen Sicherheit und der Gesundheit, ebenso wie die erneute Deregulierung der Wirtschaft und die Privatisierung öffentlichen Eigentums sind Resultat der konservativen Politik der neuen Regierung. Damit wird der skandinavische Sozialstaat endgültig demontiert, nachdem er bereits in den 80er und 90er Jahren durch die Konservativen massiv angegriffen wurde.
Man merkt aber auch, dass die Isländer sich dies nicht gefallen lassen – denn sie wollen weiter in einem Land leben, wo der Unterschied zwischen Arm und Reich niedrig ist und sich die Menschen auf Augenhöhe begegnen können. Dem steht derzeit die Arroganz der Unabhängigkeitspartei entgegen, die – ähnlich der CSV in Luxemburg – ihre konservativen Wurzeln im Staat geschlagen hat und nicht wahrhaben will, dass sie nicht immer an der Macht bleiben kann.
Es wäre aber nicht das erste Mal, dass die demokratische Kultur der isländischen Gesellschaft diesem Gehabe vorzeitig ein Ende setzt – und so bleibt es abzuwarten, ob die konservativ-liberale Regierung, deren Zustimmungswerte in Umfragen rapide auf unter 50% gefallen sind, die Legislaturperiode übersteht oder durch Massenproteste gestürzt wird. Vielleicht haben dann auch der Sozialstaat und der Verfassungsentwurf wieder eine Chance.
03-11-2013
Front de Gauche: Gespalten in den Gemeindewahlen
Wie vorhersehbar wird die französische kommunistische Partei (PCF) in den wichtigsten Städten gemeinsame Listen mit der Sozialdemokratie für die kommenden Kommunalwahlen aufstellen. In Paris stimmten 57% der Mitglieder des PCF (670 gegen 500 Stimmen) für die Einheit mit dem PS und gegen eine autonome Kandidatur des Front de Gauche. Dies ist ein schwerer Rückschlag für das linke Bündnis. Für Jean-Luc Mélenchon ist diese Abstimmung des PCF ein folgenschwerer Schritt « nachdem nichts mehr so sein wird wie vorher ». Die Leitung des PS war sich sehr wohl der Gefahr von Links, einer einheitlichen Liste des Front de Gauche bewusst. Nicht umsonst hat sie der PCF, entgegen den bisherigen 8 Gemeinderäten, diesmal 13 sichere Listenplätze angeboten. Mit Speck fängt eben man Mäuse!
Dieses erneute Umfallen der PCF Führung beweist wozu dieser Verein auch heute immer noch fähig ist und für Mélenchon ist dies eine gute Lektion, aus der er die notwendigen Konsequenzen ziehen sollte. Im Frühjahr sind Europawahlen und daraus ergibt sich die Qual der Wahl zwischen dem Aufbau einer klaren antikapitalistischen Opposition zum Bankrott des neoliberalen PS oder eines erneuten Zweckbündnisses mit den gleichen Taschenspielern die die Linke seit 80 Jahren verraten.