La droite travailliste cherche à se débarrasser de Jeremy Corbyn
Il y a un peu plus d’un an, le dirigeant du Parti travailliste, Ed Miliband, a démissionné suite à la défaite de son parti aux élections législatives de mai 2015. En septembre, Jeremy Corbyn a été élu pour lui succéder, avec plus de 60% des voix face à trois autres candidats. Ce fut un véritable choc pour le monde politique britannique, un choc qui ne s’est pas atténué depuis.
Dans les années 1980, il y avait une gauche forte dans le Parti travailliste, dont la figure emblématique était Tony Benn, décédé en 2013. Au cours d’une véritable chasse aux sorcières, cette gauche a été cassée par l’appareil du parti. Certains ont été exclus, d’autres ont abandonné, quelques-uns ont retourné leur veste. La gauche a été complètement marginalisée, gardant quand même une poignée de députés au Parlement. Corbyn était de ceux-là.
Depuis, le Parti travailliste a beaucoup changé. Il est devenu le New Labour de Tony Blair, un parti normalisé et formaté pouvant entrer, en alternance, dans un cadre néolibéral, en acceptant l’essentiel des contre-réformes de Margaret Thatcher: privatisations, dérèglementation, lois antisyndicales. Et soutenant, contre l’opposition massive de la population britannique, la guerre de Bush en Iraq en 2003.
Plus le parti virait à droite, plus les militants de gauche qui étaient encore restés le quittaient. Son électorat aussi. Blair a gagné les élections de 1997 avec 13,5 millions de voix, en treize ans, le parti en a perdu 5 millions.
A la surprise générale, Ed Miliband a été élu en 2010 à la direction du parti sur un programme de gauche, grâce notamment au soutien des syndicats. Dirigeant faible et vacillant, il a largement déçu les espoirs de ceux qui l’avaient soutenu, mais il a au moins ouvert la voie à une certaine contestation du bilan du parti au gouvernement depuis 1997.
La défaite de mai 2015 a produit un déclic. Les semaines suivantes ont vu l’arrivée de dizaines de milliers de nouveaux adhérents, en très grande majorité des gens qui adhéraient pour se battre contre la perspective de cinq ans de plus d’austérité sous le gouvernement conservateur de David Cameron.
L’élection pour la succession de Miliband a eu lieu pour la première fois selon un système «une personne, une voix», les électeurs étant répartis en trois catégories : les membres du parti, les syndicalistes affiliés et ceux qui s’enregistraient comme supporters du Labour. C’est ce qui a permis la victoire de Corbyn.
Dès le premier jour, il était confronté à l’hostilité d’environ 80% de la fraction parlementaire, allant de la droite blairiste à ce qu’on appelle « the soft left », la gauche molle. Ces derniers avaient soit soutenu Blair, soit s’opposaient à lui dans des limites «acceptables».
Corbyn a été élu sur la base d’un refus de l’austérité. Il s’était engagé à renationaliser les chemins de fer et à nationaliser le secteur de l’énergie; son opposition aux armes nucléaires et son refus de toute guerre impérialiste étaient connus. Il a gagné les voix de 250.000 personnes, ce qui lui permettait d’être élu à la direction du parti, avec un programme totalement inacceptable pour la grande majorité des députés. Des discours contre l’austérité, pourquoi pas, cela ne coûte pas cher et cela ne nous empêche pas d’être «responsables» une fois au gouvernement et d’imposer notre propre austérité. Mais des nationalisations, l’abandon de l’arme nucléaire, l’abrogation des lois antisyndicales … pas question.
Les attaques étaient constantes, et pas toujours directement centrées sur les divergences politiques. Avec Corbyn on ne peut pas gagner, disaient-ils. Pourtant, à chaque élection partielle, les candidats travaillistes gagnaient avec des majorités accrues, le parti obtenait plus de voix que les Conservateurs aux élections locales et gagnait la mairie de Londres.
Il y avait des bruits incessants de tentatives de déboulonner Corbyn, et quelques tentatives avortées. Le référendum sur le Brexit a fourni l’occasion d’agir. Corbyn avait fait campagne pour rester dans l’UE. Mais, à la différence de l’aile droite de son parti, en critiquant l’UE et en avançant la perspective d’un combat pour changer l’UE avec les autres forces de gauche en Europe. Logiquement, il refusait de faire campagne commune avec Cameron, à la différence des Blairistes. Après la victoire du Brexit, face à la possibilité d’élections anticipées, ils ont décidé de frapper. Dans un premier temps, ils faisaient pression pour que Corbyn s’en aille, qu’il démissionne. Dans un vote, 172 députés travaillistes, 75% de la fraction, lui refusaient la confiance. Corbyn résistait et il était soutenu, de façon décisive, non seulement par les adhérents dans le pays, mais par la plupart des syndicats.
Enfin une députée, Angela Eagle, a annoncé qu’elle se présentait contre Corbyn (depuis lors il y a eu un deuxième candidat). Pour le contester dans sa fonction, elle avait besoin des signatures de 51 députés ou eurodéputés. Elle les avait. S’ensuivait une tentative d’obliger Corbyn à les avoir aussi, ce qui était quasiment impossible. Finalement, le 12 juillet, le Comité exécutif national du parti a tranché, par 18 voix contre 14. Corbyn n’en avait pas besoin. Mais en fin de réunion, alors que certains des soutiens de Corbyn étaient déjà partis, l’exécutif a adopté une règle selon laquelle seulement ceux qui étaient membres du parti au 12 janvier 2016 pouvaient voter, privant ainsi 130.000 membres du parti du droit de vote. C’est tellement gros qu’il n’est pas sûr que cela tienne.
On va donc vers une nouvelle élection du leader du Parti travailliste. Et les lignes sont assez claires : d’un côté la fraction parlementaire et l’appareil du parti ; de l’autre les soutiens de Corbyn dans les sections du parti et les syndicats, les gens qui se battent quotidiennement contre l’austérité, le racisme, les contre-réformes néolibérales. Cette fois-ci encore, plus qu’en 2015, les médias et le monde politique seront mobilisés contre Corbyn. S’il gagne, le congrès du parti en automne peut être l’occasion de faire peser dans la décision les nouveaux adhérents et de renforcer la gauche dans l’exécutif. Et il y aura sans doute des initiatives pour évincer certains députés. Mais qu’il gagne ou qu’il perde, la guerre civile au parti travailliste n’est pas près de se terminer. Aujourd’hui de plus en plus nombreux sont ceux qui parlent d’une scission à terme.