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LA MATERNITE SUISSE D’ELNE, un berceau d’humanité au cœur de l’inhumain

S’il y a 20 ans l’on m’avait demandé de raconter quelque chose sur la maternité d’Elne, je n’aurais pas su. Impossibilité qui n’aurait pas été liée exclusivement à mon ignorance, mais surtout au manque d’information sur cette formidable aventure de solidarité et de lumière.

Voici encore un chapitre de l’histoire qui est resté méconnu, voire ignoré pendant presque un demi-siècle.

A la base, une femme, Elisabeth Eidenbenz, née à Wila (Suisse) en juin 1913. Institutrice de formation, elle répondit à l’appel de l’Aide Suisse aux Enfants d’aller en Espagne. C’était l’année 1937 et la guerre sévissait la population civile dont tout particulièrement les enfants et les femmes. Elle mit en place des cantines, à Valencia d’abord et ensuite à Madrid. Elle suivit les presque 500000 personnes qui, après la chute de Barcelone, traversèrent les Pyrénées, dans cette tragédie dénommée La Retirada.

Le calvaire continua après l’arrivée sur le territoire français. Accueillies sous la pluie, le froid et la neige, ces centaines de milliers de personnes furent conduites dans des camps de concentration improvisés, situés en Cerdagne, dans le Vallespir et sur la côte. Les dénommés “camps sur la plage” (Argelès-sur-Mer, Barcarès, Gurs, Saint-Cyprien, Rivesaltes…) étaient de vastes surfaces de sable entourées par des barbelés et avec la mer pour horizon. Sans être dans la moindre mesure assurées les conditions d’habitabilité, l’entassement et l’insalubrité ne tardèrent pas à avoir leurs effets sur les hommes, les femmes et les enfants qui y étaient internés.

La situation sanitaire était particulièrement dramatique pour les femmes sur le point d’accoucher. Les hôpitaux et les cliniques refusaient de les accueillir et le taux de mortalité à la naissance y était alors proche du 100 %.

Elisabeth Eidenbenz, qui était rentrée en Suisse, décida de retourner dans le midi français, pour aider les femmes et les enfants.

« Un fragile havre de vie dans un paysage de mort »

Dans un bâtiment qui autrefois était une usine, le château d’en Bardou, dans la petite ville d’Elne, à côté de Perpignan, elle mit en place une maternité. Entre décembre 1939 et avril 1944, Elisabeth Eidenbenz et son équipe ont permis la naissance de plus de 600 enfants, dont les mères étaient d’abord des femmes espagnoles réfugiées et plus tard, à partir de 1941, également des femmes juives et tsiganes. Sorties par Elisabeth Eidenbenz des camps, les femmes étaient soignées avec dévouement et affection pendant les derniers mois de leur grossesse, afin de leur permettre de faire naître leurs enfants dans les meilleures conditions possibles. Dans la Maternité il y avait des infirmières suisses et des aides-soignantes, parfois recrutées parmi les réfugiées, puis formées.

« Nous accueillons les femmes de n ‘importe quelle nationalité. La misère n’a pas de patrie, ni le malheur ».

Vu les conditions d’insalubrité et de détresse dans lesquelles les femmes se trouvaient, il va de soi que, sans l’intervention d’Elisabeth Eidenbenz et son équipe, la plupart d’entre elles aurait péri dans l’accouchement. Cette poignée de volontaires a donc aussi sauvé les mères et leur a assuré également la possibilité d’allaiter les nouveau-nés, en leur permettant de se nourrir correctement et de se remettre suite à l’accouchement. Les enfants en bas-âge ont été aussi pris en charge dans la Maternité.

Temps d’exil et de solidarité

Comme le dit Frédéric Goldbronn, « au milieu de la barbarie qui se déchaînait alors sur l’Europe, la maternité d’Elne fut un îlot de paix, un fragile havre de vie dans un paysage de mort. Jusqu’à ce jour de Pâques 1944, où des officiers allemands réquisitionnèrent le château et fermèrent la maternité. »

Si le contexte historique actuel n’est plus celui de la fin de la guerre d’Espagne et de la deuxième Guerre Mondiale, il n’est pas moins vrai que, en regardant des images des camps « sur la plage », nous y retrouvons les mêmes éléments que dans celles de nos jours. En montrant l’exposition à la Maternité du CHEM, nous avons donc voulu signaler les dégâts et les conséquences de la guerre et de la violence, avec un volet historique et un volet lié à l’actualité. De même, nous avons voulu rendre hommage aux personnes qui s’engagent dans la défense et la protection des plus démunis et rappeler le besoin de solidarité et d’entraide. Car, si dans toutes les époques de l’histoire des injustices sont commises, dans toutes les époques de l’histoire il est possible d’agir pour restituer aux êtres humains la droit à une vie digne de ce nom.

Rappel du besoin de solidarité et de l’entraide

En 2002, au même endroit où elle a accompli son immense travail, Elisabeth Eidenbenz a reçu la médaille des justes des nations. C’est la même année de la sortie du film de Frédéric Goldbronn « La maternité d’Elne », que nous verrons le 6 avril à 19h30 au Kinosch (Kulturfabrik), en présence de son réalisateur. Voici quelques extraits de la lettre qu’Elisabeth Eidenbenz lui a adressée, après en avoir reçu la cassette :

« Cela a été merveilleux de revoir notre vieille maison dans laquelle nous avons vécu tant de choses, et surtout les gens qui l’ont autrefois fait vivre.

Je reçois très souvent des lettres et des appels téléphoniques d’anciens enfants qui ont vu le film et qui aimeraient en savoir davantage sur moi. Je n’aurais jamais cru pouvoir avoir encore une fois, après soixante ans, un rapport avec ces gens qui un jour ont été essentiels dans ma vie.

Ces rencontres m’accompagnent désormais comme une douce lumière au fil de mes dernières années à vivre et je vous remercie de tout cœur pour cela. »

Laissons à Frédéric Goldbronn les mots de la fin, en attendant le moment de le rencontrer personnellement à Esch : « […] ce ne sont pas seulement des enfants qui ont été sauvés à la maternité suisse d’Elne, mais aussi une certaine idée de l’humanité. En permettant à ces enfants de naître et de survivre à l’écart des camps, cette maternité a permis aussi à l’humanité de renaître symboliquement à travers eux. Ces enfants, qui ont aujourd’hui atteint l’âge des bilans, sont les produits et les porteurs de cette humanité, ils en sont les dépositaires. D’où viennent-ils ? Qu’ont-ils fait de cet héritage ? Quel est le fil qui les relie ? Quels sont les contours, intellectuels et sensibles, de cet échantillon d’humanité ? Telles sont les questions auxquelles ce film entend chercher une réponse. »

L’exposition restera ouverte jusqu’au 16 avril, au couloir de la maternité du CHEM (Esch-sur-Alzette).

Rendez-vous au Kinosch : http://kulturfabrik.lu/en/program/details/event/la-maternite-delne/