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Le Boycott académique et culturel d’Israël: Pourquoi? Pour – quoi?

Un bref rappel

C’est en 2005 que plus de 150 organisations et fédérations palestiniennes lancent leur appel au boycott, au désinvestissement et aux sanctions. Elles

«invitent les organisations des sociétés civiles internationales et les gens de conscience du monde entier à imposer de larges boycotts et à mettre en application des initiatives de retrait d’investissement contre Israël, semblables à ceux appliqués en Afrique du Sud à l’époque de l’Apartheid. Nous vous appelons à faire pression sur vos États respectifs afin qu’ils appliquent des embargos et des sanctions contre Israël. Nous invitons également les Israéliens scrupuleux à soutenir cet appel dans l’intérêt de la justice et d’une véritable paix.»

Ainsi est né le fameux mouvement BDS contre les politiques israéliennes d’occupation et de colonisation. Les raisons principales en étaient l’échec des Accords d’Oslo (accélération de la colonisation, répressions de toutes les formes, non violentes et violentes, de résistance, etc.), ainsi que la paralysie internationale et européenne un an après que l’ONU eut adopté une résolution, la résolution ES 10/15, consacrant fin juillet 2004 l’avis de la Cour internationale de Justice de La Haye contre le mur israélien et son système associé (début juillet 2004).

Ce que l’on oublie généralement, c’est qu’un autre « appel » avait précédé celui-là : l’« appel au boycott académique et culturel », signé par plus de cent organisations et fédérations palestiniennes, représentant bien l‘ensemble de la société civile palestinienne.

Avant d’analyser plus en profondeur la pertinence et l’importance stratégique de cet appel et d’en restituer le sens profond, contre diverses incompréhensions ou hésitations, il est bon de prendre connaissance une fois pour toutes de l‘entièreté de cet appel, souvent méconnu et travesti.

Le texte de l’appel au boycott universitaire et culturel

Attendu que l’oppression coloniale, fondée sur l’idéologie sioniste, qu’Israël exerce sur le peuple palestinien comporte les éléments suivants:
– le déni de sa responsabilité dans la Nakba – notamment dans les vagues d’épuration ethnique et les spoliations qui sont à l’origine du problème palestinien – et, en conséquence, son refus de reconnaître les droits inaliénables des réfugiés et des personnes déplacées tels que définis et protégés par les lois internationales,
– l’occupation militaire et la colonisation de la Cisjordanie (y compris Jérusalem-est) depuis 1967, en violation des lois internationales et des résolutions de l’ONU,
– la mise en place d’un système de discrimination raciale et de ségrégation des Palestiniens citoyens d’Israël, comparable à l’ancien système d’apartheid en Afrique du Sud,
Attendu que les institutions universitaires israéliennes (la plupart contrôlées par l’État) et la majorité des intellectuels et universitaires israéliens contribuent directement au maintien, à la défense et à la justification des formes d’oppression décrites ci-dessus ou s’en rendent complices par leur silence,
Attendu que toutes les interventions internationales n’ont pas réussi à contraindre Israël à respecter le droit humanitaire ou à mettre fin à l’oppression du peuple de Palestine, oppression qui s’exerce de multiples façons, notamment en assiégeant, en tuant indistinctement, en détruisant gratuitement, en construisant ce mur raciste,
Considérant le fait qu’au sein de la communauté universitaire et intellectuelle internationale, des hommes et des femmes de conscience ont historiquement endossé la responsabilité morale de combattre l’injustice, comme l’a montré leur lutte pour abolir l’apartheid en Afrique du Sud grâce à diverses formes de boycott,
Conscient que l’expansion du mouvement de boycott international contre Israël rend nécessaire la rédaction de ses lignes directrices,
Dans un esprit de solidarité internationale, de cohérence morale et de résistance à l’injustice et à l’oppression,
Nous, universitaires et intellectuels palestiniens, appelons nos collègues de la communauté internationale à boycotter toutes les institutions universitaires et culturelles israéliennes, afin de contribuer à la lutte pour mettre fin à l’occupation israélienne, à la colonisation et au système d’apartheid, en adoptant les pratiques suivantes :
– s’abstenir de toute participation, sous quelque forme que ce soit, à la coopération universitaire et culturelle, à des collaborations ou des projets communs en partenariat avec les institutions israéliennes,
– plaider en faveur du boycott complet des institutions israéliennes aux niveaux national et international, y compris la suspension de toute forme de financement et de subvention de ces institutions,
– encourager les désinvestissements et le désengagement vis-à-vis d’Israël de la part des institutions universitaires internationales,
– œuvrer en faveur de la condamnation de la politique d’Israël en incitant les associations et des organisations universitaires, professionnelles ou culturelles, à adopter des résolutions,
– soutenir directement les institutions universitaires et culturelles palestiniennes sans faire de leur éventuel partenariat avec leurs homologues israéliens une condition implicite ou explicite de ce soutien.

L’importance fondamentale et stratégique du boycott académique et universitaire d’Israël : analyses et arguments de Eyal Sivan et de Armelle Laborie

« Nous connaissons tous le cinéaste israélien Eyal Sivan. En octobre 2009 il avait décliné l’invitation qui lui avait été faite par le Forum des Images d’être associé à une rétrospective intitulée Tel Aviv, le paradoxe, et qui bénéficiait du soutien du gouvernement israélien. En y présentant son film « Jaffa, la mécanique de l’orange », il aurait participait à un événement célébrant des artistes et des cinéastes, qui, comme il l’écrivait aux organisateurs, célèbrent des artistes et des cinéastes qui évitent « de s’exprimer clairement au sujet de la brutale répression des populations palestiniennes. Ce sont les arguments invoqués dans cette lettre qu’il reprend et développe dans un livre écrit en collaboration avec la productrice Armelle Laborie, et qui est sorti en librairie le 21 octobre 2016.
Contre ceux, encore trop nombreux, qui soutiennent que « l’université et la culture seraient par nature situées au-delà des querelles politiques », les deux auteurs montrent qu’aujourd’hui les productions culturelles et les institutions de savoir sont, à la différence des kumquats et des avocats ou même des armements, clairement identifiées à une nation. Dans la mesure où les institutions universitaires et culturelles forment une « vitrine dans laquelle Israël présente d’elle-même une image démocratique, libérale et critique », l’appel au boycott est comme « un pavé lancé dans cette vitrine ».


Devant le ralliement de plus en plus d’universitaires et d’artistes à la campagne BDS, désormais coordonnée au niveau international par le PACBI, les autorités israéliennes perçoivent la menace, et mettent en place un impressionnant dispositif de propagande, la hasbara, le terme hébreu pour explication, qui, en 2016, a été dotée d’un budget de 30 millions d’euros. Un ministre, Gilad Erdan, est même désigné pour mener à bien le combat contre BDS. Il s’agit de restaurer l’image d’Israël et tous les moyens vont être bons, qu’il s’agisse de proposer une image positive d’Israël ou de conduire une cyber-guerre, voire une guerre juridique globale. On se souvient qu’en mars 2016, un autre ministre, Israël Katz, a même annoncé « l’élimination civile ciblée » des principaux militants du BDS.
Eyal Sivan et Armelle Laborie répondent point par point à tous ces arguments de propagande. Ils montrent avec précision, que l’université israélienne, loin d’être le lieu d’une culture pluraliste et dynamique, non seulement garde le silence sur l’occupation et les crimes de guerre, mais sert d’auxiliaire à l’armée et fabrique des discriminations. Défendre le boycott universitaire, ce n’est en aucun cas s’opposer aux libertés académiques, c’est au contraire permettre de les développer, d’autant plus que tel qu’il est défini dans les directives de PACBI, le boycott n’empêche nullement la collaboration avec des universitaires israéliens pris à titre individuel. Et il offre même une possibilité d’expression et d’échange à tous ceux qui souffrent d’un isolement croissant.


La culture israélienne, telle qu’elle s’est affichée, par exemple à Paris, au Salon du livre de 2008, jouit d’un grand prestige en Occident. Cependant « elle est en complet décalage avec la réalité israélienne ». Les écrivains et les cinéastes considérés comme appartenant au « Camp de la paix » et qui sont tellement présents sur la scène nationale, constituent en quelque sorte une « dissidence officielle », qui participe à la représentation d’un État d’Israël juif et démocratique où régnerait la liberté d’expression.


Or cette gauche sioniste, dont ces artistes sont les porte-drapeaux et qui défend ses propres libertés sans trop s’inquiéter des atteintes aux libertés des Palestiniens, permettant de « chanter les louanges de la seule démocratie au Moyen-Orient », n’a jamais été inquiétée par le pouvoir, parce qu’en fait elle le légitime et l’a toujours servi sans broncher. Les institutions auxquelles ils appartiennent et qu’ils défendent sont devenues « un atout solide pour la communication de tous les gouvernements, et un instrument privilégié de la « hasbara-marketing ».
Israël qui se considère et est reconnu comme une démocratie occidentale, revendique cependant un statut singulier l’autorisant à violer impunément les droits humains. Israël jouit donc « d’un statut d’État d’exception ». Il est fort inquiétant de penser que ce modèle d’état d’urgence permanent est en train de devenir une référence y compris en France. C’est cette exception qu’il s’agit de boycotter, en exerçant « une pression citoyenne non-violente » pour forcer cet État à se plier aux exigences du droit international et devenir ainsi un État normal, qui cesse d’être hors-la-loi. La campagne BDS qui exige qu’il soit mis fin à l’impunité d’Israël est donc légitime. Ce mouvement « polymorphe et rhizomique » est également juste et urgent. Juste, parce que c’est un acte de solidarité envers les Palestiniens, mais aussi envers les Israéliens anticoloniaux. Urgent, « car la société israélienne est en processus de fascisation ».


La lecture du livre d’Eyal Sivan et Armelle Laborie, dont il faut saluer le courage et la détermination, est elle aussi urgente. Elle est même indispensable. Tous les éléments de la hasbara (justification, propagande) y sont pointés et démontés. On y trouve tous les arguments permettant de répondre à la propagande israélienne dont nous sommes abreuvés en permanence. Mais on le referme aussi avec le sentiment qu’un espoir reste possible pour la construction de ce monde commun auquel nous aspirons.

Appels en France et en Belgique

Dans un article précédent (Goosch.lu, 10 février 2017), nous avons donné de nombreux exemples de ce boycott académique et culturel parmi les nombreux pays où des organisations soutenant les droits des Palestiniens ont adopté l’appel palestinien au boycott académique et culturel, nous n’en citerons que deux, à titre d’exemple.
L’appel belge par le BACBI (Boycott Académique et Culturel Belge d’Israël) http://www.bacbi.be/cult/declaration-bacbi.htm
Et l’appel en France : le boycott universitaire : https://www.bdsfrance.org/category/bds-quest-ce-que-cest/c31-le-boycott-universitaire/
Des textes législatifs importants et récents
Plusieurs textes de hautes instances internationales, ainsi qu’une loi votée récemment en Israël confirment largement l’importance stratégique et fondamentale du boycott académique et universitaire d’Israël bien compris. Je n’en cite que les principaux, les plus récents :


ONU:
Résolution 2334 du 23 décembre 2016 sur l’illégalité des colonies (2016)
Rapport de son importance pour L’Observatoire Euro-Méditerranéen pour droits de l’homme
Rapport de la Commission économique et sociale pour l’Asie Occidentale
Retrait de ce rapport sous la pression des USA et d’Israël :


UE:
Nouveau rapport 2016 des chefs de postes européens à Jérusalem inquiétant


En Israël
– Loi du 7 mars contre le BDS (1), (2)

Et pour terminer, l’histoire continue

Depuis le 7 mars, après le vote de cette loi israélienne, plusieurs militants du BDS ont été interdits d’entrée en Israël, dont, ce dimanche 13 mars, Hugh Lanning, président du PSC britannique (Palestine Solidarity Campaign), et représentant de la Grande-Bretagne à l’ECCP (la coordination européenne des associations pour la Palestine).
L’histoire peut continuer aussi avec nous, si nous acceptons de comprendre mieux l’importance fondamentale et stratégique du boycott académique et culturel d’Israël et de dépasser les idées préconçues et souvent tronquées qui dominent à son sujet.