Les remèdes de Papa Bettel
Lorsque le Premier Ministre doit s’exprimer devant la Fedil (Fédération des Industriels Luxembourgeois), de quoi parle-t-il? De bouffe. Xavier Bettel a faim: faim de « changer » le pays, faim d’action politique. Le grand patronat lui aussi a faim: faim d’une baisse des cotisations sociales (qu’il préfère appeler « charges »), faim de plus de « flexibilité » des salariés, faim de marges bénéficiaires. Tout le monde a faim, donc.
On a donc appris, lors de la réception de Nouvel an de la Fedil, que la mère du nouveau premier ministre lui faisait ingurgiter quotidiennement de l’huile de foie de morue. Ce n’est pas bon, mais cela fait du bien. Paraît-il du moins. Il faut en tout cas l’espérer, car c’est le programme santé que Xavier Bettel préconise au pays. Nous allons tous boire de l’huile de foie de morue.
A table, les enfants!
Non content d’user dans son discours (prononcé en anglais à l’occasion de la présence du vice-premier ministre irlandais, il aurait pu faire un effort et le dire en gaélique, mais bon…) jusqu’à la corde des métaphores gastronomiques à vous en filer une indigestion, Xavier Bettel ressasse tous les poncifs de la vulgate néolibérale. Ce n’est pas original, mais cela a l’avantage d’être clair. Et pour bien souligner son propos, afin que l’on comprenne bien à quel point il est aux affaires, il va, tout au long de son discours comparer le pays à une famille, avec des rôles bien répartis: les parents, c’est le gouvernement et les enfants… les citoyens, pardi! Même Jean-Claude Juncker, patriarche en chef, n’aurait pas osé.
Restons dans l’enfance: il faut « dire la vérité aux enfants » et « cesser de jouer à cache-cache ». En effet, Monsieur le Premier ministre: nous aurions bien aimé que vous cessiez de jouer à cache-cache et nous disiez clairement quels sacrifices à l’huile de foie de morue vous nous préparez. Le patronat devait être assez frustré: ce lundi, il ne lui a pas révélé « which things we will have to give up ». Le « we » dans ce cas est purement rhétorique: les membres de la Fedil ont certainement compris qu’il ne s’adressait pas à eux.
Le courage de se battre pour les puissants
Bettel n’a pas peur d’être un père de famille que les enfants, dans leur naïveté, trouveraient injuste. Ils ne s’en rendent pas encore compte, mais c’est pour leur bien. Il prendra des mesures impopulaires. Le mot « impopulaire » est ambigu: d’une part, ces mesures ne seront pas appréciées par le peuple. D’autre part, ce sont aussi des mesures qui, justement, n’ont rien de populaires, qui donc n’émanent ni de lui, ni ne seront en sa faveur.
Et c’est normal: ce nouveau gouvernement s’engage à lutter contre le « gaspillage ». Pendant trop longtemps, les parents ont été bien trop généreux avec leurs enfants gâtés-pourris.
Mais il ne suffit pas de leur faire avaler régulièrement de l’huile de foie de morue et de cesser de leur acheter tous les jouets qu’ils désirent, il faut aussi, dans ce grand mouvement de vérité, leur faire comprendre que la vie, ça va être très, très dur: « We should stop telling our children that everybody can become everything ». En clair: tout le monde aura la place qu’il mérite. Ou plutôt: tout le monde aura la place que le marché lui proposera.
Quand Bettel fait du Sarkozy
La rhétorique bettelienne ressemble à s’y méprendre à celle de Sarkozy: on justifie et prépare une société plus inégalitaire en jouant sur un pseudo bon sens commun. Vous voyez, le genre de phrases qui, à première vue, sonnent bien, paraissent logique, mais qui, en fin de compte, sont particulièrement perverses. Exemple tiré du discours de Bettel: « on ne peut pas empêcher un jeune de devenir mécanicien sous prétexte qu’il ne maîtrise pas les règles du subjonctif en français ». C’est vrai que ce serait un peu con. Sauf que même si notre système d’éducation actuel n’est pas très efficace, il n’a jamais exigé ce genre de choses de la part d’un apprenti mécano (et franchement, à part les profs de français, qui connaît vraiment ces règles?).
Le pseudo bon sens commun
Dernier « truc » de papa Bettel: parlant toujours des jeunes (donc les enfants des enfants), le chef du gouvernement se montre néanmoins magnanime. Après avoir demandé à son peuple puéril des larmes et du sang, il se dit prêt à aider « ceux qui veulent vraiment s’en sortir ». Faites très attention à cette phrase, elle va revenir très souvent. Elle va même imprégner la politique d’emploi du gouvernement. Car si le chômage augmente régulièrement au Luxembourg (nous en sommes maintenant à 7,1 %), c’est probablement que le nombre de personnes ne désirant pas vraiment « s’en sortir » augmente lui aussi… Il faudra donc voire qui, parmi ces chômeurs inscrits, « veut vraiment s’en sortir »… ça promet!
Apprendre de l’Irlande… et mourir
Mais bon, il suffit de faire de gros sacrifices et tout ira mieux. Et tiens, quel aubaine, vu que le discours est prononcé en présence d’Eamon Gilmore, le vice-premier ministre irlandais, on peut tirer un joli parallèle. Car l’Irlande, comme tout le monde le sait, avait été durement touchée au début de la crise financière. Et c’est uniquement grâce à d’énormes sacrifices (des millions de litres d’huile de foie de morue) qu’elle va à nouveau mieux. Bon, évidemment, il n’aurait peut-être pas été très courtois de déclarer à un représentant d’un gouvernement étranger que sa politique est nulle, mais ce n’est pas une raison non plus pour raconter n’importe quoi. Comme vous pourrez le lire dans cet article, la cure irlandaise a un prix élevé: augmentation de la TVA à 23 % (tiens, tiens!), abaissement des allocations familiales (re-tiens, tiens!), division par deux des allocations de chômage et triplement des frais de scolarité… Et pourtant, la dette publique ne cesse d’augmenter. Apparemment, l’huile de foie de morue n’a pas convenu aux enfants irlandais. Problème: selon Xavier Bettel, « This, dear Eamon, is a very sweet conclusion for Ireland, for the European Union and for the global economy ».
Indeed Xavier, this is very sweet!