Lutte des classes et guerre des idées
La lutte des classes a-t-elle disparu de nos jours ? Même si on ne cesse pas de le répéter dans beaucoup de médias, une vérification des faits sérieuse ne peut apporter qu’un démenti à une telle affirmation. Non seulement la lutte des classes ne disparaît pas, mais, tout au contraire, elle est en train de s’intensifier.
Ce qui devrait nous préoccuper, ce n’est pas le fait que la lutte des classes s’accentue, mais qu’actuellement ce sont les riches qui raflent la mise. Un récent rapport de l’« Institute for Policy Studies » constate qu’entre le 18 mars et le 10 avril 2020, plus de 22 millions de personnes ont perdu leur emploi aux États-Unis, alors que le taux de chômage y atteignait 15%. Au cours de cette même période, la richesse des milliardaires américains a augmenté de 282 milliards de dollars, soit un gain de près de 10%[1].
Afin de renverser cette tendance, « Que faire ? ».
Une question que Lénine s’était déjà posé dans son célèbre ouvrage publié en 1902. Le traité politique était sous-titré « Questions brûlantes de notre mouvement ». Lénine y analysait surtout les aspects organisationnels du combat révolutionnaire dans la Russie tsariste du début du siècle dernier.
Nous savons aujourd’hui que « Que faire ? » a fortement influencé le mouvement ouvrier russe et a contribué, sans aucun doute, à l’instauration et à la consolidation d’une expérience socialiste après la révolution victorieuse d’octobre 1917, même si des dérives ultérieures ont finalement abouti à une restauration capitaliste en Russie.
« Guerre de mouvement » et « guerre de position »
Depuis l’époque de Lénine, les conditions objectives ont évidemment beaucoup changé. Dans les pays capitalistes modernes, la prise du Palais d’Hiver prendra nécessairement d’autres formes que dans la Russie du début du siècle passé. Les mobilisations sociales et syndicales ainsi que l’auto-organisation populaire sur les lieux de résidence et de travail, précédant et surtout accompagnant des victoires électorales, joueront un rôle essentiel pour avancer vers des changements révolutionnaires, ou, pour parler dans un langage plus moderne, vers une profonde transformation sociale et écologique de la société. Un rôle tout aussi important dans la lutte des classes incombera aux confrontations culturelles et idéologiques dans les pays capitalistes hautement développés.
Dans la période entre les deux guerres mondiales, Antonio Gramsci, le grand théoricien politique et membre fondateur du Parti communiste italien, a fait un constat qui est encore plus vrai aujourd’hui. Dans un pays ayant une société civile développée, où s’imbriquent de façon complexe strates sociales, culturelles et idéologiques, une « guerre de mouvement » n’est pas possible sans « guerre de position ». Les forces socialistes et communistes ne peuvent avancer, tant au plan électoral qu’à celui de la transformation révolutionnaire de la société, qu’après avoir pris d’assaut et surtout sécurisé une multitude de « tranchées » idéologiques et culturelles.
Le langage : un important terrain de bataille
Dans la « guerre de position », le langage constitue un terrain de bataille de première importance.
Prenons un exemple concret et en même temps emblématique. Tant dans les discours publics que dans les conversations privées, le terme « réforme » est souvent utilisé avec une connotation positive. Nous constatons cependant que la personne qui prononce ou entend ce mot peut lui donner des contenus concrets totalement opposés.
Le terme « réforme » est-il synonyme de démantèlement d’acquis sociaux, de privatisation des services publics, de flexibilisation du marché du travail ou bien, au contraire, d’avancées sur la voie d’une transformation sociale et écologique de la société ?
Il existe une multitude de mots qui peuvent être interprétés de façon tout aussi divergente. La gauche radicale doit impérativement investir ce terrain de bataille culturo-idéologique et contester aux élites bourgeoises le monopole d’interprétation des mots et des expressions que nous utilisons dans la vie quotidienne.
Résister aux idées nationalistes et xénophobes
Alors que la pandémie du coronavirus accentuera les phénomènes de crise propres au capitalisme financiarisé, notamment le chômage de masse et la paupérisation accrue de larges couches populaires, la gauche radicale devra livrer une autre bataille culturelle et idéologique de dimension épique.
L’adversaire est-il l’immigré ou le banquier ? De la réponse que donneront les couches populaires à cette question toute simple dépendront bien des évolutions politiques futures. Les droites populistes et extrêmes feront tout pour tirer profit des crises économiques et écologiques futures, qui risquent d’être accompagnées de grands flux de réfugiés. Elles populariseront leurs solutions simples, qui font appel aux plus bas instincts des couches populaires.
L’antidote de la gauche radicale au venin nationaliste et xénophobe devra consister en un grand travail de pédagogie populaire. La gauche radicale devra aider les classes et couches subalternes à prendre conscience des mécanismes d’exploitation capitalistes. Elle devra les convaincre que les solutions à apporter aux problèmes engendrés par le capitalisme devront être internationalistes et humanistes et s’inscrire dans une perspective de transformation sociale et écologique de la société.
Les forces socialistes et communistes n’ont pas le droit de tergiverser. Elles doivent se donner les moyens politiques et organisationnels pour pouvoir mener la guerre des idées avec le maximum d’efficacité et contribuer à l’émergence d’une contre-hégémonie au sein de la société bourgeoise. Ce combat de longue haleine doit être mené avec intelligence et conviction et aboutir à une situation où des associations d’idées, normes et valeurs progressistes et humanistes influencent de plus en plus le « sens commun » du peuple.
C’est une précondition pour des avancées en direction d’une société écosocialiste ! Cela est d’autant plus vrai qu’un projet de transformation de cette ampleur exigera, pour être durable, un approfondissement de la démocratie et devra recueillir l’adhésion, au moins passive, d’une large majorité du peuple !
Jean-Laurent Redondo 14/06/2020
[1] https://ips-dc.org/billionaire-bonanza-2020/