Présidentielles en France – une élection comme nulle autre
Ce qui se passe en France ce printemps est beaucoup plus qu’une élection, ou une suite d’élections, présidentielles et législatives. Les deux grands pôles de la vie politique française; le Parti socialiste et Les Républicains (droite) sont en crise.
Dans le cas du PS, la crise pourrait se révéler terminale. L’extrême droite et la gauche radicale occupent des espaces considérables dans la campagne et dans les sondages. Et la campagne a été marquée par tellement de rebondissements et coups de théâtre que tout semble encore possible. Nous assistons à une crise politique sans précédent de la Ve République qui ne sera pas résolue de si vite, quels que soient les résultats de la série électorale.
Depuis 1965, les élections présidentielles se suivaient et se ressemblaient. Au deuxième tour s’affrontaient des représentants des grands partis et alliances de droite et de gauche. Avec deux exceptions: en 1969 le vieux parti socialiste, la SFIO, n’était pas encore mort, bien qu’avec 5% au premier tour il fût aux soins intensifs; et le nouveau Parti socialiste, dont le chef sera François Mitterrand, n’était pas encore né. Le deuxième tour se passait donc entre le gaulliste Pompidou et le vieux routier centriste Alain Poher. La deuxième exception est plus récente. En 2002 Jean-Marie Le Pen du Front national s’est qualifié pour le deuxième tour face à Jacques Chirac, en dépassant le candidat socialiste et Premier ministre, Lionel Jospin, au premier tour. Sur fond d’énormes manifestations contre le Front national, Chirac a remporté le deuxième tour de l’élection avec 82% des suffrages. Le danger était donc écarté – provisoirement, comme on allait voir.
La montée du Front national
Le premier élément frappant de l’élection présidentielle de 2017 est la position de force avec laquelle Marine Le Pen a commencé la campagne. En 2002 son père avait fait 16,86% au premier tour, avec 4,8 millions de voix. En 2012 elle a obtenu 17,9% et 6,4 millions de voix. Avec 1% de plus, 2,4 millions de voix de plus. L’explication est simple: en 2002 le taux d’abstention au premier tour était de 28,4%; Le Pen n’a gagné que 300,000 voix par rapport à son score de 1995. Pas de percée fulgurante donc, il devait son succès au piètre score de Jospin: les électeurs socialistes avaient déserté leur candidat en grand nombre, pour revenir au deuxième tour afin de battre Le Pen. En 2012 Marine Le Pen a fait 2,8 millions de voix de plus que son père à l’élection de 2007, où Sarkozy avait mordu sur l’électorat du FN en reprenant une partie de son discours. Le FN a confirmé et élargi sa percée aux élections européennes de 2014, avec 24,86% des voix, ainsi qu’aux régionales de 2015, avec 27,73%. Et c’est avec un plancher de 25% que Marine Le Pen a commencé sa campagne de 2017. Nous avons donc une situation aussi ironique qu’inquiétante. C’est une candidate qui se situe à l’extérieur du jeu institutionnel qui représente l’élément de stabilité relative– une stabilité qui vient du fait que le vote FN aujourd’hui n’est plus essentiellement un vote de protestation, mais un vote d’adhésion. Alors qu’autour d’elle le Parti socialiste se délite, Jean-Luc Mélenchon, l’outsider de gauche, avance et le candidat officiel du PS, Benoît Hamon perd sur sa gauche face à Mélenchon et sur sa droite face à Emmanuel Macron. Quant à François Fillon, candidat de la droite, il donne une illustration de la corruption des élites françaises et voit aussi fuir certains de ses soutiens vers Macron.
Essayons de voir comment les choses sont arrivées là.
À droite, Nicolas Sarkozy avait été président de 2007 à 2012, avant d’être battu par François Hollande en 2012. Il n’avait jamais abandonné l’espoir de prendre sa revanche en 2017. Malgré le fait d’être embourbé dans une suite de scandales et affaires judiciaires, la plupart concernant de grosses sommes d’argent, il s’est présenté aux primaires de son parti, Les Républicains (LR). Parmi les autres concurrents, il y avait deux anciens premiers ministres, Alain Juppé et François Fillon. Juppé représentait le courant modéré, centre-droite, du parti et partait favori pour remporter la nomination. Fillon défendait une politique ultralibérale sur des questions socio-économiques. En fait, il se propose pour le rôle du Thatcher français (encore un…) avec ce que cela suppose en termes d’affrontement avec le mouvement ouvrier et les mouvements sociaux. Il veut renégocier les accords de Schengen, dans un sens qui limiterait la liberté de circulation. Sur des questions de société il se situe sur le terrain catholique-conservateur. Il garde une position assez critique à l’égard des institutions européennes: en 1992 il avait fait campagne aux côtés de Philippe Séguin contre le Traité de Maastricht. Au premier tour des primaires, Sarkozy était éliminé et Fillon devançait Juppé. Le second tour confirmait la victoire de Fillon.
A priori, avec le discrédit du Parti socialiste, Fillon aurait pu être relativement sûr d’arriver en première ou deuxième place au premier tour et de battre Marine Le Pen au deuxième. Malheureusement pour lui, un scandale a éclaté, qu’on a vite nommé le Penelopegate. Il est apparu que sa femme avait été salariée comme attachée parlementaire de son mari et qu’elle aurait empoché pas loin d’un million d’euros au fil des années pour un travail qui, semble-t-il, n’a jamais été fait. Par la suite, on apprit que ses deux filles ont bénéficié du même traitement. Puis on a su que Fillon a reçu un prêt de 50,000 euros, non déclaré et sans intérêts, de la part d’un homme d’affaires: le même qui avait engagé et payé Penelope Fillon pour un travail journalistique aussi douteux que ses activités parlementaires. Enfin, il est apparu que Fillon a reçu en cadeau deux costumes d’une valeur de 13,000 euros d’un riche avocat. Fillon proclamait son innocence et assuré que s’il était mis en examen il se retirerait de la course à l’Élysée. Il a été mis en examen, il ne s’est pas retiré. Maintenant Penelope Fillon a aussi été mise en examen. L’effet de cette série de révélations a fait descendre Fillon dans les sondages, d’environ 25% à 17%. Pressé par la majorité des dirigeants de son parti à démissionner, il a résisté. Aux abois, il a appelé à un rassemblement à Paris pour le soutenir. Si la réponse était moins importante que Fillon l’a prétendu, il a quand même pu mobiliser quelques dizaines de milliers de personnes. Face à son obstination et sans avoir un candidat de remplacement crédible et qui faisait consensus, l’appareil de LR, suivi par les centristes de l’UDI, a dû se résigner à soutenir Fillon.
A côté d’une droite « républicaine » qui se débat avec les affaires, le tableau des autres partis n’est pas plus réjouissant, à l’exception de la France Insoumise. Notre dossier en 3 chapitres :