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15-07-2016 Par

Retour sur les privatisations en Grèce

A défaut d'avoir préparé une réelle alternative à l'Euro et à l'austérité sans fin, Athènes a fini par capituler devant les exigences de ses « partenaires » européens en juillet 2015. En plus d'une perte totale de souveraineté sur ses décisions budgétaires et fiscales, le plan imposé au pays prévoit le plus vaste programme de privatisations jamais imposé à un pays de l'Union Européenne.

Retour sur les privatisations en Grèce

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A défaut d’avoir préparé une réelle alternative à l’Euro et à l’austérité sans fin, Athènes a fini par capituler devant les exigences de ses « partenaires » européens en juillet 2015. En plus d’une perte totale de souveraineté sur ses décisions budgétaires et fiscales, le plan imposé au pays prévoit le plus vaste programme de privatisations jamais imposé à un pays de l’Union Européenne.

Des dix-neuf privatisations engagées (gaz, électricité, entreprises publiques…) deux sont particulièrement emblématiques et cristallisent l’absurdité de telles solutions : le port du Pirée et   quatorze aéroports régionaux, notamment ceux des îles de Rhodes, de Corfou et de Santorin.

 

Le port du Pirée, le plus grand de Grèce, a été entièrement acquis par l’entreprise d’État chinoise Cosco. Elle gérait déjà depuis 2008 deux des trois terminaux à conteneurs et s’est retrouvée seul destinataire de l’appel d’offre. Elle a donc quasiment pu imposer son propre prix de rachat, mais aussi plusieurs conditions favorables. Ainsi, depuis 2008, la Cosco reversait à la société du port du Pirée (OLP, à l’époque encore sous contrôle majoritaire de l’État) 35 millions d’euros par an pour l’exploitation des deux terminaux à conteneurs. Selon les termes de l’accord signé l’année passée, c’est aujourd’hui les deux tiers de cette somme qui seront versés au propriétaire majoritaire de l’OLP, qui se trouve être… la Cosco ! Retour à l’envoyeur…

 

Le cas des quatorze aéroports régionaux privatisés est encore plus éloquent en terme d’opacité. C’est la société allemande Fraport qui a acquis les droits d’exploitation et d’extension de ces aéroports pour une durée de quarante ans, avec une option pour cinquante années supplémentaires. En plus des 1,23 milliards d’euros versés à la signature du contrat, Fraport s’engage à verser à l’État grec annuellement 200 millions en droit de concession et en impôts, soit 8 milliards d’euros sur 40 ans.

Mais les aéroports sont déjà bénéficiaires et dégagent un bénéfice annuel de 150 millions d’euros, soit 6 milliards sur 40 ans. Et selon le directeur financier de Fraport, la croissance du trafic aérien vers ces îles touristiques très prisées devrait rapporter 100 millions d’euros de gains supplémentaires par an, soit 2 milliards d’euros de bénéfices nets pour le groupe sur la durée totale du contrat… Sans compter que les projets d’extension et « d’optimisation considérable des surfaces commerciales » vont « générer rapidement des bénéfices supplémentaires », toujours selon le directeur financier de Fraport.

 

La procédure de privatisation, menée par l’agence grecque chargée des privatisations (Taiped), à laquelle ont participé trois candidats, s’est-elle conclue en faveur de Fraport « grâce à la qualité de son dossier », comme l’affirme le patron du groupe, M. Stefan Schule ?

 

On peut en douter. Tout d’abord, il est plus qu’interpellant de voir un État vendre des entreprises largement bénéficiaires. La procédure envisagée jusqu’en 2013 par le gouvernement grec consistait à mettre en vente des lots d’aéroports regroupant des installations bénéficiaires et déficitaires, afin d’inciter l’acquéreur à investir et améliorer les aéroports dans des îles reculées et moins fréquentées. Mais la « troïka » (Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international) s’y est fermement opposée, obligeant le gouvernement grec à brader les aéroports hautement bénéficiaires. L’Allemagne, très influente au sein de la troïka, n’est pas étrangère à cette situation : la Taiped a choisi comme « conseillère technique » dans ce dossier la Lufthansa, elle-même actionnaire à 8,45 % de Fraport… Le conflit d’intérêt est ici flagrant. Et c’est même un pillage à peine dissimulé qui est opéré ici : Fraport appartient majoritairement au Land de Hesse et à la ville de Francfort, ce qui ramène les profits, accumulés grâce à la vente des biens publics grecs, dans les caisses publiques en Allemagne, elle-même créancière de la Grèce…

 

De plus, Fraport est déjà bien connue aux États-Unis par sa gestion des aéroports : salaires très bas, pas d’assurance-maladie, pas de sécurité à l’emploi… Dans le dossier grec, elle s’est assurée d’avoir le maximum de liberté pour maximiser ses profits, souvent aux frais de l’État grec. Celui-ci s’engage par exemple à indemniser les travailleurs licenciés, ceux victimes d’accidents de travail, même si la responsabilité de Fraport ne fait aucun doute. L’État mettra aussi la main à la poche pour les expertises environnementales nécessaires en cas de travaux d’extension d’un aéroport, et versera des indemnités de retard en cas de découvertes archéologiques malencontreuses…

 

Les salariés des services de l’aviation civile ont, eux, bien compris la monstruosité de cette gigantesque braderie. Ils se sont mis en grève entre les 20 et 25 juin de cette année pour protester contre la dégradation de leurs conditions de travail et la possible vente de 23 autres aéroports. La privatisation conclue l’année passée, en plus de priver l’État de revenus stables à long terme, pose aussi la question de la dette du pays. Vendre à des prédateurs internationaux à  prix bradé les joyaux économiques du pays n’apporte aucune solution à la crise actuelle. C’est plutôt la stratégie inverse qui porte ses fruits. On se souviendra qu’il y a tout juste 60 ans, en juillet 1956, le président égyptien Gamal Abd al Nasser décida de nationaliser le canal de Suez, pour entamer le développement du pays et pour sortir le pays de l’endettement sans fin utilisé par Londres pour maintenir sa domination coloniale.