PS : naufrage annoncé
Le Parti socialiste abordait la campagne présidentielle dans le désordre, un désordre qui vient de loin. François Hollande avait été élu président en 2012 sur un discours de gauche, déclarant notamment, «mon adversaire, c’est la finance». Il s’engageait aussi à contester la politique d’austérité européenne et à défendre une politique de relance, mais il s’est vite fait rappeler à l’ordre par Angela Merkel. Le quinquennat d’Hollande était le dernier en date d’une série désolante: Mitterrand, 1981-86 et encore 1988-93, Jospin 1997-2002. Après le tournant de la rigueur en 1983, la séquence était toujours le même: après une période où la droite était aux affaires, le PS arrivait au pouvoir plein de promesses, pour ensuite faire une politique en continuité avec celle de la droite. La suite était prévisible: en 1986, 1993 et 2002 la droite revenait en force au pouvoir. La série de gouvernements en alternance à partir de 1983 conduisait progressivement à un désillusionnement avec la politique et une crise de crédibilité des partis, qui de droite comme de gauche se suivaient en faisant essentiellement les mêmes politiques, connues diversement comme celle de la rigueur, du franc fort, d’austérité, de «réformes».
Pourtant l’effet sur le Parti socialiste (et parfois ses alliés communistes, comme en 2002) était pire, puisque l’écart entre les aspirations des électeurs de gauche et les promesses électorales de la gauche d’un côté, et de l’autre la politique gouvernementale, était plus grand. En plus, droite et gauche agissaient dans le cadre de, et avec le concours d’une Union européenne de moins en moins populaire. Le revirement de Mitterrand en 1983 et la politique de la rigueur coïncidaient avec la relance de l’UE sur des bases néolibérales, qui mènera à l’Acte unique en 1986 et le Traité de Maastricht en 1992. Ce qu’on appellera plus tard les élites politiques ont remporté de justesse le référendum sur Maastricht. En 2005 ils ont perdu celui sur le projet de Traité constitutionnel européen.
Le tournant de 2008
Il y avait pourtant un tournant après la crise de 2008. Partout en Europe les gouvernements de droite et de gauche imposaient les politiques dures d’austérité et de réformes structurelles, associées pour les pays de la zone euro avec des mesures contraignantes, tel le pacte fiscal. Cette politique, appliquée par Sarkozy, lui a coûté l’Élysée en 2012. Quand, après quelques hésitations, Hollande est rentré dans le rang, il a rencontré des résistances. Sous Jospin en 1997-2002 on avait vu des grèves et des manifestations contre la politique du gouvernement; mais les grands mouvements de 1995, 2003 et 2010 ont tous été dirigés contre des gouvernements de droite. Mais cette fois-ci c’était différent. La première moitié de l’année 2016 était marquée par un mouvement massif de grèves et de manifestations contre la Loi El-Khomri, qui démantelait une partie importante du Code du travail. Le gouvernement a eu recours à la répression à une échelle plus grande que n’importe quel gouvernement de droite ou de gauche depuis des décennies, utilisant même l’état d’urgence en vigueur depuis les attentats de novembre 2015 pour assigner à résidence des militants parmi les plus actifs. Le mouvement dans la rue était accompagné de débats houleux à l’Assemblée, avec le spectacle inouï de députés socialistes déposant une motion de censure, dans une tentative, qui n’était pas loin de réussir, de bloquer l’utilisation de l’article 49,3 qui permettait au gouvernement de faire adopte la loi Khomri sans majorité parlementaire. Ce mouvement sans précédent sous un gouvernement de gauche et sa répression ont eu des répercussions politiques sans précédent. Au mois d’avril 2016, la cote de popularité de Hollande était de 14%; en novembre il dégringole jusqu’à 4%, du jamais vu. Le 1er décembre 2016, François Hollande est devenu le premier président de la Ve République à renoncer à se présenter pour un deuxième mandat.
Une «belle alliance populaire»…
Les primaires pour choisir un candidat socialiste pour l’élection présidentielle ont eu lieu en janvier 2017. Cinq jours après l’annonce de Hollande, Manuel Valls, Premier ministre depuis 2014, a démissionné et s’est porté candidat. Il était le préféré de Hollande et de l’appareil du PS et portait une grande responsabilité pour l’évolution néolibérale et répressive du gouvernement. Mais à l’image des primaires de droite qui venaient d’avoir lieu, celles de la gauche étaient ouvertes à tous ceux qui considéraient comme leurs les «valeurs de gauche». Ainsi y a-t-il eu 1,6 million de votants au premier tour des primaires (baptisées celles de la «belle alliance populaire») et 2 millions au second. Pour mettre ces chiffres en perspective, en 2014 le PS avait 60,000 adhérents (173,000 en 2012). Les trois principaux candidats étaient Valls, Benoît Hamon et Arnaud de Montebourg, deux anciens ministres devenus opposants à la politique du gouvernement. Au premier tour Hamon est arrivé en première place, au second tour il a battu Valls. Il critiquait la présidence de Hollande pour ne pas avoir tenu ses engagements. Son programme envisageait l’augmentation des dépenses publiques, notamment sur la santé et l’éducation, la réduction du temps de travail, la taxation du capital et des personnes aisées et la mesure phare, un revenu universel minimum de 750 euros par mois.
Hamon a été élu par une bonne partie de ce qu’on appelle en France le «peuple de gauche». Si le vote avait été limité aux membres du PS, il n’aurait certainement pas gagné. Mais une fois vainqueur il n’était pas le candidat d’une «belle alliance populaire» qui n’avait jamais été plus qu’un slogan: il était le candidat du Parti socialiste. Candidat minoritaire dans le parti, encore plus dans le groupe parlementaire et l’appareil. Fort de plus d’un million de voix au second tour, il aurait pu mener une campagne large, indépendante de l’appareil. Mais il a fait le choix d’être le candidat du PS stricto sensu, ce qui l’amenait à faire des compromis avec les élus et l’appareil. Il a fini par perdre sur les deux tableaux. Son message est devenu brouillé, laissant un grand espace à Jean-Luc Mélenchon, candidat de la gauche radicale, sans vraiment convaincre la droite de son parti, pour qui il serait toujours trop à gauche. Certains commençaient déjà à faire défection vers la candidature centriste d’Emmanuel Macron, ancien ministre de l’Économie de Hollande.
Ce n’est pas un hasard que dans les deux primaires c’étaient, contre toute attente, le candidat le plus à droite, Fillon, et le candidat le plus à gauche, Hamon qui ont gagné. C’était l’expression au sein des partis traditionnels d’une polarisation représentée de manière plus aiguë par Le Pen et Mélenchon. À droite, le noyau dur de l’électorat de LR a voulu que leur parti mène une vraie offensive contre le monde du travail. Fillon s’engageait à licencier 500,000 fonctionnaires, abroger la loi sur les 35 heures hebdomadaires, baisser les impôts sur les couches aisées et les entreprises. Il était largement soutenu par les milieux patronaux. À gauche Hamon a été élu par ceux qui voulaient une vraie rupture avec le quinquennat de Hollande et plus largement avec le social libéralisme du PS.
Signe de la profonde crise sociale en France, sur tous les côtés les gens cherchent une rupture, un renouveau. Chacun à sa manière les cinq candidats principaux veulent incarner cette rupture, être l’homme ou la femme du renouveau. Nous reviendrons sur Le Pen et sur Mélenchon. Regardons maintenant le dernier venu, qui peut même rafler la mise.
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