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Uberisation III. : Perspectives

Perspectives

 

Au Luxembourg, l’uberisation semble pour le centre radical un atout économique plutôt qu’un risque d’érosion sociale. Force est de constater, que nombreux sont ceux qui perçoivent l’uberisation comme une forme de prestation de service moins chère tout en se pensant soi-même sauves de cette transformation de la place, des conditions et des modes du travail. En plus, les travaux uberisés, comme par exemple les délivreurs de nourriture ou de paquets, sont souvent invisibles au Luxembourg parce qu’ils ne prennent en règle générale pas la forme de cyclistes en uniforme Deliveroo ou de camionnettes de livraison privés connue dans les autres capitales et régions du monde.

 

Comme le soulignent la juridiction européenne et les rapports commissionnés par le gouvernement luxembourgeois, un premier pas essentiel pour éviter les dégâts potentiels de l’uberisation est de créer une nomenclature légale précise et forte, qui prévient la création de faux indépendants ou le déguisement d’une entreprise traditionnelle en plateforme, par exemple dans le sillage de la promotion du télétravail. Le programme électoral de de déi Lénk de 2018 observait sur ce point qu’il faut :

 

« Contrecarrer la tentative de sortir les travailleurs de l’entreprise et du statut du salariat menant à des statuts d’auto-entrepreneuriat précaires, en imposant :

 

  • La protection par le droit du travail et la reconnaissance de la dépendance économique envers un employeur via la création d’un statut de « salarié autonome »

 

  • L’introduction d’un statut de « salarié externalisé », qui doit permettre d’intégrer au salariat les travailleurs et travailleuses des plateformes de tâches distribuées en ligne ;

 

  • L’affiliation de tous ces travailleurs comme salariés à la sécurité sociale. »

 

D’autres propositions dans ce sens sont :

 

  • Considérant les plateformes et ses différentes économies (sharing, gig, etc.) comme surtout un nouvel instrument et une nouvelle philosophie du management capitaliste, il faut renforcer une législation des modes et formes de pouvoir au sein des relations de production, notamment en ce qui concerne la division en temps, espaces et appareils professionnels et privés (par exemple : travailler sur un laptop professionnel ou privé ; interagir avec un numéro téléphonique professionnel accessible que 40 heures par semaine ou avec un numéro privé …) .

 

  • Il faut interdire les contrats « zero heure ».

 

  • Il faut assurer une taxation juste et stricte des plateformes, ainsi que le versement des cotisations sociales.

 

  • En vue d’une automatisation liée à la prolifération des plateformes et à leur renforcement du de-skilling des travailleurs, il faut protéger les métiers-surtout artisanales-et qualifications et garantir les droits et possibilités de la formation continue et du up-skilling.

 

  • Il faut dorénavant éviter les discriminations et transformations du marché de travail traditionnel qui poussent les travailleurs dans la sharing economy et fait souvent de l’uberisation soit un nécessaire complément à un travail sous-payé, soit même la seule forme de travail accessible.

 

  • Il faut garantir une rémunération au moins égale au SSM dans les secteurs dont l’uberisation est inévitable ou irréversible.

 

  • Il faut assurer le respect des droits syndicaux des uberisés.

 

  • En tant que parti de la classe ouvrière, déi Lénk doit aussi confronter les discours cherchant à dévaloriser et détruire les termes comme « travailleur », « classe » ou « salariat » au profit d’un prétendu idéal de l’individu ultra-autonome « indépendant » en quête permanente de toujours plus de succès financier, toujours plus de statut et de bonheur atomisé et personnel plutôt que collectif.

 

Les avocats de l’uberisation doivent être pris au sérieux. Les plateformes digitales ont changé et continuent de bouleverser les formes de productions, les relations sociales et économiques, et ils ne peuvent ni être supprimés, ni interdits. Le potentiel social d’une vraie économie de partage soustrait aux grandes institutions capitalistes et au marché est radical et important. Il faut donc s’assurer que les plateformes ne deviennent pas (ou plutôt : ne restent pas) eux-mêmes des marchés, des monopoles, des grandes institutions capitalistes. Prendre sérieux les avocats, c’est donc reconnaitre qu’il faut déclarer d’intérêt public et « inter »-nationaliser[i] les grandes plateformes ayant désormais acquis une importance (infra-)structurale (too big too fail ou simplement trop grand pour les laisser agir à leur gré). Pour les plateformes qui ne seront pas mis sous contrôle de législations et institutions internationales-européennes au minimum-fortes, il faut créer une instance nationale unifié du contrôle du travail, y inclus celui par/sur plateforme, comparable à l’Inspection du travail et des mines, qui procèdera à des contrôles et sur les plateformes (architecture, conditions d’utilisation, etc.) et sur le lieu de travail. Ce contrôle inclura nécessairement une supervision continue de la gestion des données crées par les plateformes et leurs applications en-delà de ceux indispensables au bon fonctionnement de son offre de biens et services. Pour cela, il faut bien rendre impossible tout revendication d’un droit au fonctionnement expressément opaque au nom d’un secret professionnel érigeant les droits du capital au-dessus de ceux des travailleurs[ii]: tout plateforme et tout autre constellation rendant possible l’uberisation et ses risques devra se conformer comme minimum absolu aux règles de transparence, de comptes et de contrôle imposés aux entreprises ordinaires. Elle devra être clair et responsable de son mode de fonctionnement, de créer des profits, de traitement et de la catégorisation de son personnel et de ses produits, afin de permettre un contrôle et une législation précise et juste.

 

GT Syndicats, Travail, Social 06/04/2020

 

 

[i] Nick Srincek. We need to nationalise Google, Facebook and Amazon. Here’s why. Guardian.co.uk, 30/08/2017. https://www.theguardian.com/commentisfree/2017/aug/30/nationalise-google-facebook-amazon-data-monopoly-platform-public-interest

[ii] Cf. Frank Pasquale. The Black Box Society. The Secret Algorithms that control Money and Information. Boston: Harvard UP, 2016.